Amar Belani : l’Arrêt de la Cour de justice constitue une défaite politique majeure pour le Maroc

A la suite du grave camouflet administré par la Cour de Justice de l’Union Européenne au Maroc, Afrique Asie a interviewé M. Amar Belani, ancien porte-parole du Ministère algérien des Affaires étrangères et actuel Ambassadeur de l’Algérie à Bruxelles et auprès de l’Union Européenne. Cheville ouvrière de cette éclatante victoire juridique et diplomatique qui modifie la donne en faveur des sahraouis, Monsieur Belani estime, à juste titre, que cet « arrêt constitue une défaite politique sévère pour le Maroc et ses implications juridiques et politiques sont énormes. Interview.
M. l’Ambassadeur comment réagissez-vous à cet arrêt tellement attendu de la Cour Européenne de Justice ?
Cet arrêt constitue une défaite politique sévère pour le Maroc et ses implications juridiques et politiques sont énormes.
S’inscrivant dans le droit fil de la charte des Nations unies et de ses dispositions sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que sur l’exercice du droit à l’autodétermination, qui a été réaffirmé avec force par la Cour internationale de justice en 1975, cet arrêt dispose que le territoire du Sahara Occidental a un statut séparé et distinct et que le Maroc n’a pas et ne peut prétendre a aucune espèce de souveraineté sur ce territoire autonome. Par ailleurs, parmi les implications importantes de cette importante décision de justice, qui est exécutoire et opposable aux institutions européennes et aux pays membres de l’UE, il convient de relever qu’au regard de l’arrêt :
-le Maroc est et doit être considéré comme une puissance d’occupation et que la fiction commode de « puissance administrante de facto » derrière laquelle s’abritait l’Union Européenne, ne tient plus la route puisque elle est désormais catégoriquement récusée par la Cour.
– du point de vue du droit international, aucun accord signé entre le Maroc et l’UE ne peut être appliqué au Sahara occidental. Les prochains accords bilatéraux devront déterminer explicitement et avec précision le champ territorial, c’est-à-dire le seul territoire du Maroc dans ses frontières internationalement reconnues, à l’exclusion du territoire du Sahara Occidental, pour éviter cette ambiguïté qui foule au pied la légalité internationale. Les prochains accords que l’UE sera amenée à signer avec le Maroc se feront obligatoirement sans le Sahara Occidental qui ne fait pas partie du territoire marocain.
-Enfin, toutes les entreprises européennes basées sur le territoire du Sahara Occidental et qui contribuent au pillage des ressources du peuple sahraoui, sont dans une situation de violation du droit tel qu’édicté par la cour européenne de justice. Elles ne peuvent s’y maintenir qu’à la condition de solliciter et d’obtenir le consentement du Front Polisario, en sa qualité de seul représentant légitime du peuple sahraoui. Ce dernier est tout à fait dans son droit de leur réclamer des dommages et intérêts pour compenser la spoliation et leur présence illégale au Sahara Occidental durant les 15 dernières années. je dois signaler que les stratagèmes visant à contourner le Front Polisario, à travers une pseudo consultation de la « population sahraouie » choisie et triée sur le volet, comme évoqué par certains responsables marocains, ne passeront pas car les résolutions des Nations-Unies, tout comme les accords signés par le Maroc et le Polisario consacrent ce dernier comme le seul représentant légitime du peuple du Sahara Occidental.
Quelle est votre commentaire sur le communiqué du Ministère marocain des Affaires étrangère suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui a statué, en dernier recours, sur la validé l’Accord agricole UE-Maroc de 2012 ?
Il ne me revient certainement pas de commenter ce communiqué mais il est loisible à tout un chacun de relever deux choses ; premièrement, la tonalité de ce communiqué tranche singulièrement avec la posture triomphaliste à laquelle nous a habitué le Maroc. Deuxièmement les éléments de langage du communiqué trahissent en fait une gêne, voire une inquiétude, née d’une prise de conscience des implications politico-juridiques de l’arrêt de la Cour de justice européenne. Cela transparait clairement dans la manière de focaliser uniquement sur les aspects techniques de l’arrêt ( annulation de l’arrêt du tribunal de première instance, irrecevabilité du recours du Polisario) et de rester dans le déni absolu des considérations politico-juridiques cruciales qui fondent pourtant cet arrêt et qui remettent en cause, de manière irréfragable, la légitimité de la conclusion par le Maroc d’accords internationaux couvrant le territoire du Sahara occidental. Contrairement a ce qui est dit, l’Arrêt ne rectifie aucune « appréciation politique erronée », mais bien au contraire, il va au-delà des considérations de l’arrêt du Tribunal de première instance du 10 décembre 2015, en ruinant définitivement la fiction d’une prétendue souveraineté marocaine sur le territoire non autonome du Sahara Occidental. Tout le reste n’est que fuite en avant et lecture volontairement biaisée pour dénaturer la portée historique de cet Arrêt.
A la lecture de la déclaration conjointe de la Haute Représentante de l’UE, MmeFedericaMogherni, et du ministre marocain des affaires étrangères et de la coopération, SalaheddineMezouar, sortie le jour même de la publication de l’arrêt rendu par la CJUE, l’on relève pourtant certains éléments communs avec le communiqué officiel marocain..
Je doute fort que l’UE ait pris de son propre chef l’initiative d’une telle déclaration, en tous cas aussi promptement (moins de quatre heures après la publication de l’arrêt). Je crois plutôt qu’elle y a été contrainte sous la pression du pays concerné et de ses alliés traditionnels et inconditionnels parmi les États membres de l’UE, qu’il n’est pas utile de citer, tant ils sont connus et se comptent sur les doigts d’une seule main. 
Vous remarquerez que les expressions choisies dans la déclaration conjointe sont extrêmement prudentes et neutres (ex. les deux parties prennent acte, les deux parties constatent), ce qui dénote le refus de l’UE de se laisser entraîner dans une entreprise hasardeuse qui la mettrait en porte-à-faux avec une décision de justice européenne qui constituera, désormais, un point de jurisprudence incontournable qui s’imposera aussi bien aux institutions européennes qu’aux États membres de l’UE
Vous remarquerez également que la référence dans le corps de la déclaration conjointe aux « implications possibles » de l’arrêt, confirme, bel et bien, que l’UE se met déjà dans la perspective de trouver les correctifs nécessaires pour être en phase avec cette nouvelle jurisprudence et, ce qui est sûr, elle va faire preuve d’un surcroît de prudence pour encadrer, désormais, ses actes juridiques régissant ses relations avec le Maroc.
Enfin, le recours introduit par le Front Polisario concernant l’accord de pêche UE-Maroc, où existe une pratique documentée qui établit que le champ d’application dudit accord concerne bel et bien les eaux territoriales du Sahara occidental, devrait être la prochaine séquence pour capitaliser sur les avancées politico-juridiques induites par la procédure engagée par le Front Polisario contre l’accord agricole. 
Que pensez-vous de la déclaration du Président du Groupe d’amitié UE-Maroc, l’eurodéputé socialiste français, Gilles Pargneaux?
Sa déclaration à rebours des conclusions de la Cour de justice européenne, est pour moi un non-événement, c’est pourquoi je ne souhaite même pas la commenter, tant ce monsieur a perdu toute crédibilité en tant que porte-voix zélé toujours en service commandé pour des raisons qu’il est aisé de deviner.
Est-ce que cet arrêt pourrait avoir un impact sur la demande du Maroc de rejoindre l’Union Africaine?
Certainement. Car il est manifeste que le fait que la plus haute juridiction européenne ait affirme, de la manière la plus tranchée, que le Maroc et le Sahara occidental sont deux territoires séparés et distincts et que, par conséquent, ce dernier échappe totalement à la souveraineté du Maroc rejoint tout à fait la position de droit défendue par de nombreux pays africains, à savoir que, dans le meilleur des cas – et c’est loin d’être acquis – le Maroc ne serait que le 55ème Etat membre de l’UA et que son éventuelle adhésion sera conditionnée par son acceptation formelle des critères et des principes consignés dans l’Acte constitutif de l’UA (notamment l’acceptation et le respect des frontières héritées du colonialisme) et elle ne se fera certainement pas au détriment de la RASD qui est un Etat fondateur de l’Union Africaine.
Sur un tout autre registre, comment qualifieriez-vous les relations entre l’Algérie et l’UE? Pensez-vous qu’elles pourraient pâtir des crispations épisodiques et les crises larvées entre l’Algérie et le Maroc.
Je vous rassure tout de suite. Les relations entre l’Algérie et l’UE sont confiantes et sereines, et suivent continuellement une trajectoire solide et prometteuse. Anciennes et bien ancrées, elles sont immunisées contre les velléités de tous ceux qui tentent, vainement, de les compliquer dans le but illusoire d’isoler l’Algérie dans son environnement régional. 
Je voudrais illustrer mon propos par trois exemples concrets d’actualité. Il y à peine trois semaines, s’est tenue à Alger la 6e session du Comité d’association Algérie-UE qui a été marquée par l’adoption des priorités de partenariat établissant un cadre de coopération politique renouvelé et une coopération renforcée entre l’Algérie et l’UE. Ces priorités qui s’inscrivent dans le cadre de la politique européenne de voisinage révisée, ont été convenues d’un commun accord et encadreront la coopération bilatérale pour les trois prochaines années. 
Lors de ce même Comité d’association, les deux parties ont également clôturé le cycle d’examen conjoint de la mise en œuvre de l’accord d’association, 11 ans après son entrée en vigueur. Il s’agit d’un exercice unique en son genre, l’UE n’ayant jamais consenti un tel effort d’écoute et de compréhension des difficultés conjoncturelles au plan économique d’un partenaire de son voisinage, ce qui souligne l’importance qu’attache l’UE à maintenir avec l’Algérie une relation forte et dense compte tenu de son poids et de son potentiel économiques, énergétique…etcet de son rôle pivot dans la sécurité et la stabilité régionales. 
Cela constitue une indication tangible et probante de l’étroite et profonde coopération multiforme qui lie l’Algérie et l’UE.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*