Comment le Maroc et les Emirats avancent leurs pions dans le Sahel

Avec le retrait de la France, et alors que la Russie s’impose comme le principal allié des régimes militaires sahéliens, les experts notent avec attention l’action de la Turquie et du Maroc qui multiplient les initiatives en direction du Sahel.

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Alors que la guerre en Ukraine dessine déjà sa phase terminale, les puissances internationales et régionales dessinent les prochaines « ères de jeu ». Et malheureusement, le Sahel en fait partie. Principale force motrice de cette stratégie de sous‐traitance, les Emirats ont déjà leur aéroport secret, placé en plein désert, pour convoyer des forces anti-constitutionnelles dans les zones grises du Grand Sahara.

Un de ces parcours prend le Fezzan pour piste d’atterrissage pour déborder vers le Tchad voisin. La jonction Emirats‐Haftar‐Hametti n’est plus à démontrer ; de même que l’acheminement des troupes de Hametti vers le Yémen au profit des Emirats ou celui des troupes de Haftar et de la logistique émiratie vers le Soudan.

Mais il n’y a pas que les Emirats et ses relais ; d’autres forces militaires avancent leurs pions dans le Sahel, par d’autres biais. Avec le retrait de la France, et alors que la Russie s’impose comme le principal allié des régimes militaires sahéliens, les experts notent avec attention l’action de la Turquie et du Maroc qui multiplient les initiatives en direction du Sahel. Toutefois, ces derniers pourraient y subir la concurrence de l’Iran, qui, depuis les coups d’État au Mali, Burkina Faso et Niger, multiplie les initiatives.

Mais d’autres stratégies de nuisances que la Turquie, l’Iran et le Maroc multiplient les initiatives en direction des régimes militaires du Sahel afin de diversifier leurs partenaires. Début 2024, le Mali a réceptionné un nouveau lot de drones turcs Baykar prisés pour leurs performances, valant au P‐DG de l’entreprise qui les fabrique, Haluk Bayraktar, d’être décoré à Ouagadougou en avril 2022 sur instruction de l’homme fort du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré.

Et si Moscou s’impose comme le principal allié des régimes militaires sahéliens, Ankara fait montre d’une politique « opportuniste » qui « tente de se positionner comme une alternative aux Européens et à la Russie », explique‐t‐il. L’ancien chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu, « avait été la première figure internationale de haut niveau à rencontrer la junte militaire au Mali après le coup d’État d’août 2020.

Ankara a également adopté une position conciliante avec la junte au Niger, pays clé dans la région pour la Turquie car situé à la frontière sud de la Libye, où Ankara possède de très nombreux intérêts », selon le groupe de réflexion italien ISPI. Le Maroc n’agit pas par sa logistique militaire, n’ayant pas beaucoup à proposer là‐dessus, mais par une économie qui cherche à s’implanter durablement dans la région.

Plusieurs banques sont déjà opérationnelles, avec des lignes de crédit aguichantes, des partenariats avec des universités sahéliennes pour orienter les étudiants subsahariens vers les universités marocaines, etc. On passera sur la fausse alliance dite Atlantique, qui veut que les trois pays ciblés, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, trouvent issue à leur commerce dans un port atlantique.

Passé l’effet d’annonce, cette illusion de partenariat est tombée à l’eau d’elle‐même. Mais qu’importe ! En politique, l’esbroufe est un outil de propagande, même si ses effets s’estompent très rapidement. Les puissances agissent soit par elles‐mêmes, de manière directe, ce qui est rare, soit par des biais, en utilisant des entités-liges, comme c’est le cas dans ce que nous observons aujourd’hui.

Par exemple en Libye, voisin immédiat de l’Algérie, une dizaine de pays tentent de placer leurs pions dans les meilleurs endroits dans la perspective des élections présidentielles et d’avoir un homme à sa guise : Russie, Turquie, Italie, Grande‐Bretagne, Etats‐Unis, Israël, Egypte, Emirats arabes unis et Arabie Saoudite. Et chaque pays a ses objectifs, son agenda, ses hommes et ses outils pour percer le mur et s’insinuer dans les affaires intérieures d’un pays déjà saigné à mort…

L’Algérie vigilante face à un espace saharo-sahélien «explosif»

A mesure que les deux guerres, celle en Ukraine et celle à Gaza, s’approchent de la fin, les yeux des experts en géopolitique scrutent les nouveaux espaces où les bivouacs militaires vont planter les nouveaux décors des zones‑crises.

Car si la guerre à Gaza mobilise les médias et l’opinion publique dans tout l’espace du monde arabe et musulman, c’est par égard à la charge émotionnelle et spirituelle qu’elle dégage. D’autant que l’agresseur sioniste fait reculer le «fascisme d’Etat» chaque fois un peu plus.

Mais pour l’Algérie, il y a des soucis aux portes, et urgence il y a ; car l’Algérie partage des frontières terrestres avec ses sept pays voisins (Sahara occidental, Libye, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, et Tunisie) pour un total de 6 734 km de frontières. Et à la lisière de ces bandes frontalières, les tensions montent. Si au Niger, le mot qui résume le plus la situation des putschistes est celle du «Niger ni paix», c’est le pays voisin, le Mali, qui nous pose le plus de soucis, cette fois‑ci.

La guerre entre les Mouvements de l’Azawad et Bamako a atteint le point de non‑retour, et il est aujourd’hui de l’ordre de l’invraisemblable que les belligérants puissent faire l’effort de s’asseoir autour d’une table de négociations, après ce qui s’est passé à Kidal, la semaine passée. Les choses ont dépassé le stade du casus belli et sont entrées dans la phase de la guerre ouverte où tous les coups sont permis.

Bamako s’appuie sur la souveraineté nationale pour récupérer les bastions qu’occupait la Minusma jusque‑là, alors que la rébellion du Nord‑Mali rappelle qu’elle occupait ses bastions avant l’arrivée de la mission onusienne et que les Famas ne respectent pas les Accords convenus entre les deux parties.

Après l’intercession d’Alger pour ramener la paix au Nord‑Mali en 1991, avec les accords de Tamanrasset, puis celle de 2006, puis de 2015, il serait difficile aujourd’hui de faire entendre la voix de la raison à deux camps bien décidés cette fois‑ci à en découdre.

Le Soudan est l’autre guerre oubliée par un Occident concentré depuis deux ans sur celle menée contre la Russie par Ukraine interposée. Les deux camps rivaux usent d’armes lourdes pour s’imposer sur un terrain qui prend au piège surtout les populations civiles, avec près de 1,5 million de déplacés et des centaines de morts.

La déflagration au Soudan est surtout inquiétante par le poids et la diversité des acteurs indirects qui manipulent Abdel Fattah al‑Burhane et Mohamed Hamdan Dagalo Hemedti pour leur propre compte.

L’Express (Algérie)

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