Maroc : La Zahia de BHL

C’est à quelques mètres du palais royal, devant la Koutoubia et la place Jamâa El-Fna, que le « philosophe de gauche » a installé sa « base arrière » : un magnifique riad appelé Zahia qui a appartenu au multimilliardaire américain Paul Getty (1892-1973), puis à l’acteur français Alain Delon avant d’être acheté par le philosophe dans les années 1980. Dans son roman Ce que nous avons eu de meilleur (Grasset, 2008), l’écrivain Jean-Paul Enthoven décrit Zahia : « Un palais de la médina au décor envoûtant et délicieusement nécrosé. Dédales de galeries. Entrelacs de jardins andalous. Miroitement de lumières sur des bassins ornés. Il y flottait toujours des relents de cannelle et d’oranges amères. On y croyait entendre, surtout la nuit, des grondements de passé agité par les voix de tous ceux qui, depuis un siècle, avaient vécu dans cet espace vaguement hanté. On m’expliqua que Zahia, en arabe, signifiait “joie” – et ce fut comme une promesse […] Je m’étais tout de suite senti chez moi dans ce palais où le soleil se faufilait à travers des portiques et des cascades de lianes. J’étais protégé par ses zelliges, ses jalousies, ses portes de bois syrien, ses plafonds en coupole […] Tout, à la Zahia, me relançait sans cesse vers d’anciennes sensations. La transparence de l’air, la fraîcheur mobile des patios, le parfum des buissons de roses chauffées au soleil, me transportaient, chaque fois, vers des plaisirs qui avaient appartenu à mon enfance… » À Tanger, ancienne ville internationale au nord du Maroc, séparée des côtes espagnoles par 15 kilomètres de flots, BHL possède un autre pied-à-terre face à la Méditerranée, dont le faste fait souvent les choux gras des magazines de décoration. « On n’entre pas ici comme cela, prévient Arielle Dombasle, l’épouse du philosophe. Il faut se faire adopter par Tanger. C’est une ville très particulière, au bout du continent africain face à l’Espagne. Une ville mystérieuse, secrète, dangereuse (la mer surtout, beaucoup de vent, de vagues…), pas si touristique que l’on croit. Longtemps délaissée par le roi Hassan II, elle a été ressuscitée par Mohammed VI. Tanger a surtout été un lieu d’élection pour écrivains et intellectuels ; certains y sont restés pour la vie : Bowles (1910-1999) et sa femme, Jane, mais aussi Beckett ou Morand. C’est ici aussi que Bernard-Henri a écrit Comédie. C’est cette intense magie que j’aime, et ses lieux sont rares et uniques— ! » La maison tangéroise de BHL est située sur une falaise battue par les vagues à quelques mètres du mythique café Hafa où Jean Genet, Mohamed Choukri et Paul Bowles passaient des heures à refaire le monde. Du long bassin qui donne l’impression d’être coupé dans la mer en se confondant avec elle, le couple peut contempler les côtes espagnoles en nageant et distinguer, par une belle journée printanière, une ville comme Tarifa. C’est Andrée Putman, l’architecte d’intérieur et designer française de renommée mondiale, qui s’est chargée de la décoration. « Elle en a fait un bijou, une maison d’architecte étonnante, avec de grandes baies vitrées taillées dans la falaise qui surplombe l’endroit exact où l’Atlantique rencontre la Méditerranée », précise Arielle Dombasle. En 2006, une tension est née dans le quartier lorsque le philosophe a construit un grand mur d’enceinte pour protéger sa villa des regards indiscrets. Du jour au lendemain, les voisins de BHL se sont retrouvés privés de la magnifique vue sur la baie de Tanger et les côtes espagnoles, au-delà du détroit de Gibraltar. « Un saccage du paysage », avait dénoncé l’écrivain tangérois Rachid Taferssiti, cité par le Sunday Times qui avait réalisé à l’époque un reportage sur la ville. Le 1 er juillet 2017, Christie’s International Estate, la société de vente aux enchères mondialement connue, basée à Londres, annonce que la demeure tangéroise de BHL est en vente pour… 6 millions d’euros. « J’ai trop de maisons et il y a trop d’endroits où il me faut être dans le monde, et hélas, l’année n’a que 52 semaines, déclare-t-il au site américain Bloomberg pour justifier sa décision de vendre. Je l’ai utilisée alternativement pour travailler, écrire, recevoir des amis et organiser des fêtes. »