Maroc : La Rifaine de Sa Majesté

Les obligés du roi se recrutent également parmi ces Franco-Marocains qui se sont hissés à des postes élevés du pouvoir politique en France : une tendance qui s’est renforcée avec la mise en place par le roi Mohammed VI, à partir de 2007, du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Sa mission ? Faire la promotion de la monarchie à l’étranger. Tout commence lorsque le monarque nomme à la tête de ce conseil Driss El Yazami -, un ancien militant qui a occupé pendant plusieurs années, à Paris où il vivait depuis les années 1970, le poste de vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). El Yazami pense aussitôt à son amie Najat Vallaud-Belkacem qui était, à l’époque, conseillère régionale en Rhône-Alpes. La proposition de Driss El Yazami de faire partie du CCME en tant que membre « nommé par Sa Majesté » tombe à point nommé pour la jeune élue ; elle la saisit au vol. Ce « grand écart » lui permet d’avoir un pied en France et un autre au Maroc : c’est donc entre Paris et la Mamounia (où elle descendait dans le cadre des activités du CCME) qu’elle a vécu sa « traversée du désert » après la défaite à la présidentielle de 2007 de Ségolène Royal, dont elle était la porte-parole. Née dans le Rif marocain en 1977, Najat Vallaud-Belkacem est une battante. Les cinq premières années de son enfance, elle les passe au Maroc, dans cette région paria dont la population a toujours été marginalisée par la monarchie. Le massacre, en 1958, de milliers de Rifains par Hassan II (à l’époque prince héritier) et le général Mohamed Oufkir fait partie de la mémoire collective des habitants. Arrivée en France au début des années 1980, la jeune Najat intègre l’école de la république. C’est son « nouveau monde ». Elle y plonge et évolue comme un poisson dans l’eau : « À 13 ans, je me suis mise au théâtre, amateur, bien sûr. Poussée par ma professeure de français. Ou la magie du collège. On lit un peu Molière, ou Marivaux. C’est difficile. Mais il y a des scènes amusantes. Les portes claquent. Les amoureux se confondent. Les maîtresses embrassent leurs valets. Les codes se jouent de nous. Et la petite gardienne de chèvres parle le français de la scène. Magie de l’école et de l’intégration —. » Elle monte ensuite à Paris et parvient à décrocher le concours de Sciences- Po, pépinière de l’élite politique française. À 26 ans, elle frappe à la porte du PS et devient, grâce à Gérard Collomb, le puissant sénateur de Lyon aujourd’hui ministre de l’Intérieur, adjointe au maire en charge des grands événements et de la vie associative. Pendant quatre ans, de décembre 2007 à décembre 2011, Najat Vallaud- Belkacem a su maintenir sa « double appartenance » sinon dans le secret, du moins dans la discrétion. Seul son nom de jeune fille (Belkacem) figure sur le site du CCME et les indemnités qu’elle percevait en tant que membre n’ont jamais été rendus publics. En 2011, le journaliste marocain Ali Amar évoque dans son blog la « double vie » politique de Mme Vallaud-Belkacem, avec un titre disproportionné : « L’espionne du roi qui se rêve à l’Élysée » (février 2011). L’impact de l’article est immédiat en France où la jeune protégée de Ségolène Royal venait d’intégrer l’équipe du candidat Hollande pour la présidentielle de 2012. La jeune Franco-Marocaine est traitée par ses adversaires politiques d’« agent double » et son appartenance au CCME qualifiée de « double allégeance ». Mais force est de reconnaître que le choix de Najat Vallaud-Belkacem de se jeter dans les bras de l’entourage royal en avait étonné plus d’un. Avait-elle besoin d’adhérer à une instance officielle dont tous les membres sont nommés par un régime qui combat la laïcité et ne reconnaît l’égalité homme- femme que dans la mesure où elle « respecte les fondements de la religion islamique » ? Dans le groupe de travail « Approche genre et nouvelle génération », où elle a officié pendant quatre ans, certains profils en disent long sur la mission que la jeune « républicaine et laïque » accomplissait au sein du CCME : Ali Sadki (ministère de l’Intérieur) ; Touria Lihia (Conseil supérieur des Oulémas- -) ; Mohammed Rifki (ministère des Habous et des Affaires islamiques), etc. L’attaque la plus virulente est venue de la députée sarkozyste de Meurthe- et-Moselle, Valérie Rosso-Debord, pour qui le CCME a « pour but de renforcer “l’identité marocaine” des Marocains de l’étranger, d’émettre des avis sur leur “éducation religieuse” [en l’occurrence musulmane]… Mme Vallaud-Belkacem est prompte à s’indigner quand l’UMP parle d’identité nationale, mais elle est prête à défendre l’identité marocaine ». La jeune Rifaine réagit aussitôt en faisant prévaloir le droit à la double nationalité, « un droit magnifique, dit-elle à l’AFP, profondément ancré dans l’histoire de notre pays [la France] ». Mais rien n’y fait, la polémique enfle et prend des proportions démesurées dans le tumulte de la campagne présidentielle de François Hollande, dont elle était l’une des porte-parole. Elle finit par annoncer sa démission et son retrait du CCME mais sa réputation est faite : si elle incarne, pour les uns, la jeune battante issue de l’immigration qui s’est imposée via l’école laïque et républicaine, d’autres, en revanche, sont troublés par sa proximité avec l’entourage royal qui continue de l’utiliser pour promouvoir l’image d’un régime « ouvert et modéré ». En cela, elle se rapproche d’une autre Franco-Marocaine de la « république de Sa Majesté » : Rachida Dati.