Le rôle de l’Afrique dans la stratégie de multilatéralisme de la Chine

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Les efforts de la Chine pour remodeler les institutions et les normes mondiales existantes reposent sur le soutien des gouvernements africains, même si cela peut souvent aller à l’encontre des intérêts des citoyens africains.

Le remodelage des institutions et des normes mondiales pour refléter les perspectives chinoises est au cœur de l’approche chinoise de la concurrence géostratégique. C’est ce que le Parti communiste chinois (PCC) appelle la « réforme » lorsqu’il demande à la Chine de « jouer un rôle vigoureux dans la conduite de la réforme du système de gouvernance mondiale » (jiji canyu yinling quan qiu zhili ti xì gaige, 积极参与引领全球治理体系改革). Ce concept a été adopté pour la première fois lors de la Conférence centrale de travail sur les affaires étrangères de juin 2018 – une séance de stratégie rarement organisée qui donne des orientations générales à l’établissement de la politique étrangère de la Chine. Il s’agit d’une pierre angulaire de l’approfondissement des liens entre la Chine et l’Afrique au cours du troisième mandat de Xi Jinping.

« Les efforts de la Chine pour remodeler de manière sélective le fonctionnement de parties cruciales du système international (…) peuvent également porter atteinte aux normes africaines fondamentales ».

Le désir de la Chine de remodeler les institutions multilatérales et d’en créer de nouvelles repose en partie sur sa capacité à obtenir le soutien du Sud à ses initiatives mondiales. L’Afrique est le bloc le plus important à l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) avec 28 % des voix, contre 27 % pour l’Asie, 17 % pour les Amériques et 15 % pour l’Europe occidentale. L’Afrique détient également plus d’un quart des voix dans tous les organes directeurs des Nations unies et constitue le bloc le plus important dans d’autres organismes tels que l’Organisation mondiale du commerce, le Groupe des 77 et le Mouvement des pays non alignés. Les votes africains sont donc d’une importance capitale pour les efforts chinois visant à redéfinir les institutions mondiales.

Les priorités de la politique étrangère de la Chine sont résumées dans la doctrine : « Les grandes puissances sont la clé, la périphérie de la Chine la priorité, les pays en développement le fondement, et les plateformes multilatérales la scène » (daguo shì guanjian, 大国是关键, zhōubiān shì shouyào, 周边是首要, fazhan zhong guojia shì jichu, 发展中国家是基础, duobian shì zhong yao wu tai, 多边是重要舞台). En conséquence, la Chine a beaucoup investi dans la création d’affinités idéologiques avec les pays du Sud, ce qui lui permet d’exploiter plus facilement leur force de représentation dans les organismes mondiaux et de s’assurer leur soutien politique.

Bâtir des coalitions dans le Sud pour réinterpréter les normes mondiales

La Chine aime se positionner comme un leader dans le monde en développement. Alors que la Chine reçoit chaque année 5 milliards de dollars de prêts des banques multilatérales de développement, elle a régulièrement augmenté ses contributions à un large éventail d’institutions multilatérales de développement au cours de la dernière décennie. En 2016, avec le soutien de l’Afrique, la Chine a parrainé le Fonds d’affectation spéciale des Nations unies pour la paix et le développement avec une contribution de 200 millions de dollars sur 10 ans. Le Fonds soutient la sécurité, le maintien de la paix, les systèmes d’intervention rapide, la prévention des conflits et la médiation. En 2018, toujours grâce au lobbying de l’Afrique, la Chine a mis à la disposition de l’ONU une force d’intervention de 8 000 hommes qui peut être déployée sur les lieux de crise.

Les contributions multilatérales accrues de la Chine ont renforcé son pouvoir de vote au sein du système multilatéral, ce qui lui permet de peser davantage dans l’élaboration des agences mondiales, de leurs normes et de leurs méthodes de travail.

La société civile et les organisations non gouvernementales (ONG) ayant le statut d’observateur à l’ONU ont cependant rarement une visibilité sur la manière dont la Chine et ses partenaires africains exploitent leur pouvoir de représentation. Par exemple, lors des négociations budgétaires 2018/2019 de l’ONU, la Chine aurait fait pression pour éliminer le financement des observateurs des droits humains au sein des missions de l’ONU, réduire le nombre d’observateurs issus des ONG au Conseil des droits de l’homme de l’ONU et diminuer la coopération du gouvernement avec la société civile.

Bien que ces propositions n’aient pas été adoptées, la Chine a clairement montré sa volonté d’exercer son influence au sein des institutions multilatérales de manière à servir ses objectifs.

Certains membres de l’ONU (y compris des pays africains) ont discrètement soutenu ces mesures qui auraient évincé les ONG du Conseil des droits humains de l’ONU (CDH) et dégradé la capacité d’investigation de l’ONU. Il s’agit notamment des missions en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Mali et au Soudan du Sud, où se sont produites certaines des pires violations des droits humains.

Le soutien de certains membres de l’Union africaine (UA) était particulièrement paradoxal compte tenu des normes établies de l’UA en matière de droits humains. Il reflète le soutien chinois à la tentative de certains gouvernements africains de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) en échange du soutien continu de ces gouvernements aux positions diplomatiques de Pékin.

Les groupes de la société civile africaine et les citoyens ordinaires étaient furieux car la CPI est la cour de dernier recours lorsque les gouvernements ne veulent pas ou ne peuvent pas enquêter sur les atrocités de masse. Ils se sont également sentis trahis par leurs gouvernements, car cette cour a été créée grâce à un intense leadership diplomatique africain.

De nombreux dirigeants africains ont également fustigé leurs collègues pour leur volte-face, notamment les Sages, un groupe d’anciens présidents distingués fondé par feu Nelson Mandela. En outre, les positions de la Chine à l’encontre de la CPI l’ont dépeinte comme hostile à ceux qui s’efforcent de résoudre certains des conflits les plus meurtriers d’Afrique. « Notre propre continent a subi suffisamment d’horreurs émanant de l’inhumanité d’êtres humains envers des êtres humains », ont écrit les Sages, « … beaucoup d’entre elles n’auraient peut-être pas eu lieu, ou du moins auraient été minimisées, s’il y avait eu une Cour pénale internationale efficace ».

Les pays africains ont joué un rôle essentiel dans l’expansion de l’influence mondiale de la Chine

Les votes africains ont été décisifs lors du débat de l’Assemblée générale des Nations unies en 1971, qui a permis à la Chine communiste de réintégrer l’ONU et d’en expulser Taïwan. Selon Mao Zedong, la Chine a une dette de gratitude envers l’Afrique pour avoir « porté la République populaire de Chine aux Nations unies », un point de discussion standard dans toutes les réunions du Forum pour la coopération sino-africaine (FOCAC).

Les pays africains restent la clé des efforts de la Chine pour isoler Taipei. À l’heure actuelle, un seul État africain – l’Eswatini – reconnaît Taïwan. En outre, les dirigeants africains condamnent fréquemment les engagements de haut niveau avec Taïwan. En fait, les accords bilatéraux et régionaux de la Chine en Afrique comprennent toujours deux éléments : le « principe d’une seule Chine » et le soutien mutuel sur les questions de gouvernance mondiale. Ceux-ci sont énoncés dans divers protocoles d’accord entre l’UA et la Chine et, plus récemment, dans le plan d’action de Dakar du Forum de coopération Chine-Afrique (2022-2024). Ainsi, « le soutien mutuel dans le système de gouvernance mondiale » faisait partie du programme en quatre points du ministre chinois des affaires étrangères, Qin Gang, lors de sa visite de cinq pays africains en janvier 2023.

L’Eclairage, 08/02/2023

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