Trafic d’armes des EAU vers la Libye, Paris a fermé les yeux

Trafic d’armes des EAU vers la Libye, Paris a fermé les yeux – Emmanue Macron, Khalifa Haftar,

L’Etat français a été informé des livraisons d’armes des Emirats arabes unis au maréchal Haftar, en Libye, dès 2015. Un trafic illégal passé sous silence par Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron est en tournée dans le Golfe jusqu’au 4 décembre. Aux côtés de sa ministre des armées, Florence Parly, et de son ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le président de la République fait une première escale aux Emirats arabes unis (EAU), avant de se rendre au Qatar puis en Arabie saoudite. Trois régimes autoritaires, trois partenaires stratégiques de la France, trois importants clients d’armes « made in France ».

Pour préparer cette visite politiquement sensible, son conseiller Afrique du Nord et Moyen-Orient a organisé un « briefing presse », mardi 30 novembre. « Pour cette tournée, le président de la République a trois priorités, explique-t-il. La lutte contre le terrorisme, la stabilité et la sécurité régionale », et enfin, la situation au Liban.

Au cours du rendez-vous, une journaliste revient sur les révélations de Disclose au sujet des relations franco-égyptiennes (lire notre enquête Les mémos de la terreur) et leur éventuel impact sur les stratégies d’alliances de l’Elysée : « Y a-t-il une réflexion de l’exécutif français sur les dangers de la coopération avec les pouvoirs [en place] au Moyen-Orient ? » Elle précise sa question : « Est-ce que la France va élever un peu la voix sur la question de l’interférence émiratie en Libye ? »

La réponse est expéditive : « Nous sommes responsables et nous conduisons une politique en toute conscience et avec un sens de la responsabilité. » Pas question de s’étendre…

LISTE DÉTAILLÉE

Pourtant, d’après une note « confidentiel-défense » obtenue par Disclose, l’Etat français fait effectivement preuve d’une grande complaisance à l’égard de son sulfureux allié du Golfe. Contacté, l’Elysée n’a pas répondu à nos questions.

Cette note, issue du « centre renseignement air de l’armée française » et datée du 23 novembre 2017, est catégorique : « Les Emirats arabes unis restent l’intermédiaire privilégié du maréchal Haftar en matière d’acquisition d’armement. » Photographies et cartes à l’appui, ce document inédit recense même la liste détaillée des armes livrées au maréchal Haftar depuis 2015.

Des transferts effectués en violation de l’embargo sur les livraisons d’armes adopté par l’ONU, en 2011.

Dans les années qui suivent la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, l’année de l’embargo de l’ONU, de multiples groupes armés profitent du vide. La Libye entre dans la guerre civile.

Le pays se divise progressivement en deux camps. A l’ouest, le gouvernement libyen d’union nationale (GNA), reconnu, en 2016, par la communauté internationale. A l’est, l’armée nationale libyenne (ANL) formée en 2015 par le maréchal Haftar. Depuis, l’ANL n’a cessé de gagner du terrain sur le pouvoir légitime, avec l’aide du « soutien militaire sans faille » du  régime émirati.

Ce dernier aurait ainsi permis à l’ANL, « sous couvert de lutte antiterroriste, explique la note secrète, de maintenir et d’entretenir une flotte de combat apte à mener des missions air-sol de façon quotidienne ».

Ce soutien a débuté fin 2015, au moment où l’ONU parvenait à un fragile accord d’union nationale dans le pays. A cette date, d’après la note secrète, les EAU auraient livré 500 pick-up Toyota et des blindés Spartan aux forces du maréchal Haftar. Des livraisons qui se seraient poursuivies en 2016, avec l’envoi de munitions et de 1 000 véhicules, dont 400 blindés Cougar ayant pu servir dans des combats à Benghazi, la seconde ville du pays.

Le petit Etat du Golfe a également installé une base militaire sur le territoire libyen, à Al Kadhim. Elle abrite notamment des membres des forces spéciales, des drones Wing Loong, des hélicoptères Blackhawk, d’après le document en notre possession. Cet engagement des Emirats arabes unis serait devenu l’élément « indispensable à la poursuite des opérations des forces armées » du maréchal Haftar.

D’après les militaires français, les Emirats contournent l’embargo en utilisant leurs bateaux et leurs avions militaires ainsi que des « compagnies aériennes privées« . Il arrive aussi que le régime émirien passe par un autre allié de la France : l’Egypte.

Outre son rôle de base arrière pour les EAU, le régime du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi livre lui aussi des équipements militaires à Haftar. « Quatre avions de chasse MIG-21, une dizaine d’hélicoptères MI-8 et des munitions » auraient ainsi été expédiés vers la Libye, selon le renseignement militaire français. L’Egypte aurait également apporté une assistance opérationnelle en formant des pilotes libyens et en déployant des agents du renseignement égyptien auprès du maréchal Haftar.

« MÉPRIS TOTAL »

Trois ans après la note du renseignement de l’armée de l’air française, un groupe d’experts de l’ONU a publié un rapport détaillant les multiples violations de l’embargo sur les armes par ses Etats membres. Les auteurs estiment que ces violations « sont généralisées et flagrantes, témoignant d’un mépris total à l’égard des mesures de sanctions ».

Le 12 novembre 2021, lors de la conférence internationale de Paris pour la Libye, le président de la République, Emmanuel Macron, signait une déclaration conjointe avec les représentants de 25 Etats, dont les Emirats arabes unis et l’Egypte. « Nous appelons tous les acteurs concernés à mettre en œuvre et à faire respecter les sanctions du Conseil de sécurité, notamment en prenant des mesures nationales et internationales de mise en œuvre pour faire face à toutes les violations de l’embargo sur les armes et du cessez-le-feu », proclame le texte.

Informé des violations répétées de l’embargo imposé par l’ONU, l’Etat français, qui condamne officiellement « toutes les ingérences étrangères » dans le conflit, n’a jamais dénoncé l’action des Emirats arabes unis et de l’Egypte. Une nouvelle preuve du silence complice de la France avec les clients de son industrie de l’armement.

Article mis à jour le 3 décembre, à 14h : A la suite de sa rencontre avec le prince héritier Mohammed ben Zayed (MBZ), Emmanuel Macron a annoncé la commande par les Emirats arabes unis de 80 avions de chasse Rafale (Dassault).

Mathias Destal, Ariane Lavrilleux et Geoffrey Livolsi

Disclose, 03/12/2021

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