ONU : La résolution qui sonna le glas de la colonisation

Par Abdelhamid Chebchoub, Ambassadeur d’Algérie à Belgrade

Il y a soixante ans, le 14 décembre 1960, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples coloniaux, plus largement connue par son numéro de codification en droit international comme la Résolution 1514 XV.L’adoption de cette résolution est venue comme un cri de révolte lancé par les pays épris de paix et de justice, plus unis dans l’action depuis le sursaut de Bandung, contre le système colonial inhumain qui sévissait encore dans certaines régions du monde, pratiquant l’oppression, l’injustice et le déni de liberté, contrairement aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies.
Cette résolution est venue également résonner comme un écho aux luttes de libération menées par les peuples d’Asie et d’Afrique, et que la guerre de libération qui se déroulait en Algérie rapportait quotidiennement aux salons feutrés du Palais des Nations Unies à New York, les atrocités du colonialisme et les actes de bravoure du peuple algérien contre le colonialisme et sa détermination à l’éradiquer.
Les manifestations du 11 décembre 1960 en Algérie, où les algériens sont sortis en masse, bravant les baïonnettes des forces coloniales pour crier haut et fort leur refus de l’oppression et leur désir de liberté et d’indépendance, intervenant quelques jours avant l’adoption de cette résolution, ont sans doute contribué à dissuader les votes négatifs et à assurer à cette déclaration une très large adhésion.
Cette résolution avait énoncé les principes généraux et jeté les bases juridiques de l’éradication du système colonial. Elle a servi de cadre juridique aux Nations Unies pour mettre en œuvre la décolonisation des territoires qui étaient administrés par les puissances coloniales en Afrique et en Asie (Guinée Bissau et Cap Vert, Angola, Mozambique, Zimbabwe (ex-Rhodésie), Namibie, Timor Leste, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Belize…, sous l’impulsion vigoureuse et la pression morale de la majorité des Nations, réunies au sein du Mouvement des Pays Non-Alignés.
La Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples coloniaux reconnait par ailleurs, que le non accès au droit à l’autodétermination des peuples et de territoires coloniaux constitue un foyer de tension qui menace la paix et la sécurité internationales.
C’est consciente de cette réalité que l’Organisation des Nations Unies continue de traiter de la question de décolonisation au sein de la Commission des Questions Politiques Spéciales et de la Décolonisation (Quatrième Commission) de l’Assemblée Générale.
C’est dans ce même souci qu’un Comité Spécial chargé de l’application de la Déclaration sur l’Octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples coloniaux (Comité des 24), crée en 1961 reste, à ce jour, saisi des questions de décolonisation.
C’est dire que la décolonisation reste l’un des objectifs des Nations Unies, malgré les tentatives de vider cette déclaration de sa substance, menée essentiellement par les anciennes puissances coloniales et relayées étrangement, par une poignée de responsables politiques et de pseudo intellectuels de pays nouvellement indépendants, atteints sans doute du complexe du colonisé, tel que diagnostiqué par Frantz Fanon, ou mus souvent par un intérêt personnel, aux antipodes de celui de leurs peuples.
Toutefois, il faut dire que soixante ans après, l’humanité n’a pas réussi à éradiquer totalement le système colonial et à parachever cette œuvre rédemptrice.
Certaines puissances ont décidé de déterminer les priorités des défis auxquels l’humanité doit faire face, sur la seule base de leurs intérêts mercantiles et de leurs velléités hégémoniques.
Sous prétexte de pragmatisme, elles tentent de frapper d’obsolescence des principes universels, forgés par l’humanité dans sa longue marche vers la paix et le progrès et dont la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples coloniaux en est l’une des étapes.
Cela cache mal une volonté de faire perdurer, sous une forme plus élaborée, plus globale et “plus civilisée”, les mêmes pratiques du temps révolue du colonialisme.
En effet, des territoires inscrits par les Nations Unies comme territoires non-autonomes et dont le statut final devait être déterminé dans le cadre de l’application de la Résolution 1514 XVI ont vu le processus de leur décolonisation contrarié du fait de la fuite de leurs responsabilités par les puissances coloniales occupantes, des rêves d’empires de certains Etats ou de l’immobilisme des institutions des Nations Unies.
Le Sahara Occidental, territoire non autonome, inscrit comme tel par les Nations Unies en 1963 et qui avait fait l’objet, en 1991, d’un plan de règlement qui prévoyait de permettre au peuple sahraoui d’exprimer son droit à l’autodétermination et à l’indépendance conformément à la Résolution 1514 XV, reste l’exemple le plus frappant du parjure à la Charte des Nations Unies.
Depuis plus de quarante ans, le peuple sahraoui attend de l’Organisation des Nations Unies et de son Conseil de Sécurité qu’ils assument leurs responsabilités et mettent en œuvre leurs propres décisions concernant ce territoire, dernière colonie en Afrique, par l’organisation d’un référendum d’autodétermination, conformément à la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples coloniaux.
Cette résolution a prévu les modalités et les vois juridiques pour permettre aux pays sous domination coloniale d’accéder à la souveraineté. Les tentatives de détourner cette voie par le recours aux subterfuges protocolaires de l’ouverture de consulats factices, le changement de la composante humaine ou la situation économique de ces territoires, viendront inéluctablement échouer devant la forteresse du droit international, seul bastion pour la défense des plus faibles.
Il est évident que la reconnaissance internationale de la souveraineté ne se décrète pas par des déclarations dans les réseaux sociaux, comme elle ne se décide pas par les lobbies, aussi puissants soient-ils. Elle résulte de la volonté des peuples et ne peut être viable que si elle s’adosse sur les normes légales prévues par le droit international.
Il est donc vain de tenter aujourd’hui d’exposer la souveraineté des peuples et des pays coloniaux comme objet d’échange dans les marchandages de zones d’influence et de domination qui rappellent les tractations douteuses de la Conférence de Berlin de 1885 que l’histoire a définitivement condamné.
Par ailleurs, Il est permis de s’interroger sur la crédibilité de certains Etats, intellectuels et autres analystes, relayés par des médias à l’indépendance douteuse, qui se réclament comme défenseurs des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés, et qui, en même temps, observent le silence, voire même, font acte de complicité, lorsqu’il s’agit de la persistance du colonialisme dans cette région de l’Afrique.
Le droit à la liberté et à l’autodétermination étant un droit imprescriptible qui relève des droits de l’homme, il demeure, par conséquent, une préoccupation pérenne de l’humanité et un sujet d’actualité.
Ce soixantième anniversaire de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux Pays et aux Peuples coloniaux devrait interpeler la communauté internationale et les puissances de ce monde et les inciter à faire de nouveau acte de fidélité aux principes fondateurs de la Charte des Nations Unies, et à s’engager résolument dans le parachèvement du processus de décolonisation, tracé par la Résolution 1514 XVI, seule voie pour épargner à l’humanité les affres des conflits armés, de l’injustice et de l’oppression et de permettre à tous les peuples de vivre dans la paix, la prospérité et l’harmonie.
Publié le 15 déce. 2020
Le Jeune indépendant, 14 déc 2020

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