Ascension et déclin des civilisations

Par Dr Mohamed Larbi Ould Khelifa*
Culture et civilisation : concept et niveaux de connotations
Dans les écrits non spécialisés et dans les discours, les termes «culture» et «civilisation» sont souvent assimilés, notamment lorsqu’il s’agit de décrire le patrimoine ou d’en faire la comparaison par rapport aux autres pays, aussi bien dans le passé qu’au jour d’aujourd’hui ; or, le lexique et les concepts sont semblables à la monnaie ; leur valeur est liée au contexte dans lequel ils sont utilisés, aux mutations que connaît la société et aux incidences des évènements passés et des charges que ces termes et concepts véhiculent au niveau de la mémoire individuelle et de la mémoire collective.
L’usage fréquent de certains termes et concepts n’a pas pour seul effet de les rendre communs dans la littérature écrite et orale, ainsi qu’au niveau des médias audiovisuels. Il engendre également une ambiguïté et une interférence au niveau des concepts lexicaux qui sont les clefs essentielles dans tous les domaines du savoir relatif à l’homme, à la nature, ainsi qu’aux relations qui les lient à travers la recherche théorique et la recherche appliquée. C’est pour cela que l’entame de ces études exige la définition des concepts lexicaux, ainsi que leurs domaines de propagation, dans l’intellect et dans le monde réel.
De manière générale, les nombreux usages du concept de civilisation se retrouvent à trois niveaux :
Premièrement : La signification répandue sur les individus et les peuples civilisés par opposition aux non-civilisés, aux primitifs ou aux sauvages ; il est clair que cette signification comporte un jugement de valeur et s’appuie sur des normes posées par une seule partie, celle qui se considère être la plus civilisée, tel que décrit dans les écrits de Levy Brouhl sur la «mentalité primitive» ou dans des études de la chercheuse en anthropologie culturelle, Ruth Benedict, sur les modes de culture, ainsi que dans les recherches de Taylor sur les tribus des Bochimans et Dinka au Soudan du Sud.
Deuxièmement : La seconde signification de la civilisation est liée aux formes d’expression de la vie sociale chez toute nation. On retrouve dans les formes d’expression, la croyance, les traditions et l’organisation des relations au sein de la société et de ses institutions symboliques ou celles qui exercent le pouvoir, ainsi que les relations avec la nature. Ces formes sont considérées comme phénomènes civilisationnels, c’est-à-dire que si elles se concrétisent au sein d’institutions et de productions morales ou matérielles, elles sont alors appelées accomplissements civilisationnels.
Troisièmement : Cette signification comprend les spécificités et les caractères communs à un ou plusieurs groupes de peuplades, à une époque donnée de leur histoire. Ces caractères distinctifs sont reconnaissables lorsqu’ils sont comparés à d’autres peuplades ou groupes, au sens large du terme «civilisation».
Néanmoins, il existe dans toutes les civilisations des branches proches ou lointaines d’un tronc commun culturel «appelées sous-cultures» (le terme «sous» n’est pas péjoratif, le terme branche en arabe est d’ailleurs une appellation meilleure que son équivalent en langue française (sous-culture) ou en langue anglaise (subculture) qui prête à l’infériorité). Dans une même société et dans l’aire civilisationnelle globale, on l’appelle la particularité locale ou nationale. Le sociologue Levy Strauss a proposé une définition globale de la culture. 
De son point de vue, la culture est un ensemble d’arrangements symboliques, en premier lieu la langue, les règles d’organisation familiale, les relations économiques, les arts, les sciences et la religion.
Que nous considérions la seconde signification sociale ou la troisième signification évolutive, il y a dans la connotation du terme civilisation un sens qui va au-delà de la culture, ce que l’on appelle «bulding» en 
allemand, c’est-à-dire la somme de tous les cumuls culturels de la civilisation. Le terme «bulding» unifie les deux termes dans l’ensemble social et la perspective historique. Il y a lieu de dire que la culture et la civilisation sont constamment un état de dépassement d’un présent qui pourrait devenir passé ou avenir dont la valeur est estimée pour son apport matériel et moral à la grandeur d’une nation et au bonheur de l’humanité.
Le changement, la stagnation et les caractéristiques apparentes :
Quel que soit le domaine d’expansion des deux concepts précédents, un objectif procédural peut les considérer comme le tronc commun d’une référence multidimensionnelle, une spiritualité matérielle et comportementale chez la majorité des groupes humains dans un champ géographique donné. Cette référence exerce sur les individus et les groupes une attractivité par laquelle se réalise l’appartenance propre à la tribu ou au groupe dans sa plus large dimension (la patrie) et l’appartenance générale dans sa dimension historique que partagent plusieurs peuples : hindouistes, bouddhistes, musulmans, chrétiens animistes ; de même pour la doctrine politique qui prévaut, tels que les libéraux communistes ou encore la couleur de la peau, comme lorsqu’on décrit une grande partie de l’Afrique comme étant noire et qu’on distingue les Américains d’origine africaine en les qualifiant de Noirs ou d’Américains de couleur, sans tenir compte des autres caractéristiques de tout groupe d’habitants.
Il est clair que l’appartenance générale dans ses précédentes dimensions ne signifie pas que les petits groupes ou même ceux plus larges sont en état de stagnation et d’immuabilité. Au contraire, ils sont en état de mutation permanente, une mutation qui peut s’accélérer et mener à des formes de conflit au sein des élites et à l’inquiétude, à la stupéfaction et à la crainte chez certaines franges de la société. Cela entraîne ce que l’on appelle la «révolution sociale» et la déstabilisation de l’échelle des valeurs. Cette accélération peut connaître un ralentissement entre deux ou plusieurs gé
nérations, si le noyau central demeure dans un état de constance relatif. 
C’est-à-dire que les changements surviennent dans son environnement, comme c’est le cas pour les croyances religieuses constantes et les phénomènes qui les accompagnent et qui pourraient connaître des changements en fonction du temps et de l’espace.
Il y a, remarque-t-on, une caractérisation très usitée parmi les gens ordinaires et même par les apprenants non spécialisés en civilisation et en philosophie de l’Histoire. Cette caractérisation consiste en la sélection d’une qualification prédominante dans la civilisation d’une nation ou d’une région entière, qualification dans laquelle sont réduits tous les autres aspects civilisationnels ; ainsi, l’Europe de l’Ouest est décrite comme étant la civilisation du «machinisme» ou la civilisation de l’audiovisuel ou du divertissement. Quelle que soit la qualification donnée à la civilisation d’une nation, elle est en développement continu, elle subit des influences et a elle-même une influence dont la célérité et l’intensité dépendent du temps et de l’espace, ainsi que d’autres facteurs tels que les guerres, le commerce, l’immigration et le colonialisme qui a conduit à la confiscation et au gel d’une culture et la remplaçant par une autre, comme c’est le cas en Amérique du Nord, en Australie et aux îles Caraïbes, par exemple. Il est de notoriété publique que l’évolution et l’abondance des mass-médias, notamment depuis les dernières décennies du siècle dernier, ont donné lieu à une mondialisation culturelle et économique, ainsi qu’à une modélisation qui a fait du mode de vie de certains pays dominants du nord de la planète un modèle suprême, car il n’y a pas d’alternative qui le surpasserait au plan culturel ; il est fondé sur une base technologique qui n’a pas de vis-à-vis capable de le concurrencer, de se libérer, ne serait-ce qu’un petit peu, de son savoir-faire ou de se déployer en dehors des frontières. Le patrimoine exposé, à l’occasion d’échanges culturels ou dans la publicité politique, consiste, le plus souvent, en des industries et arts traditionnels de la vie à la campagne et en la culture populaire spontanée (Falk ways). Tout ceci constitue assurément une partie inestimable du patrimoine ancien et représente une des étapes de l’évolution civilisationnelle. Cette description ne nie, néanmoins, pas la beauté artistique des industries liées à la vie quotidienne ou les vestiges de l’urbanisme.
Beaucoup de chercheurs universitaires se sont intéressés à la question du changement social et ont tenté de trouver une réponse à deux questions, à savoir : comment le changement survient-il ? Et pourquoi ? En d’autres termes, quels sont les facteurs qui influent, en particulier pour le cas de l’Algérie? 
Parmi ces chercheurs, il y a Hdjila Rahali, de l’université Mohamed-Khider de Biskra, qui a publié une étude en 2010. Cette chercheuse impute les phénomènes du changement au déluge de la mondialisation qui vient de l’étranger et qui façonne l’économie et, par conséquent, influe sur le monde de l’emploi et l’organisation sociale tout entière ; elle impute donc le changement culturel et ses référents de valeur à un seul facteur exogène, à savoir les influences de la mondialisation. Cependant, le changement social en Algérie est dû à d’autres facteurs qui ne sont pas moins importants ; ces facteurs se sont étendus sur de longues périodes dans le passé et se sont manifestés après la conquête coloniale. 
Ils ont perduré jusqu’à aujourd’hui sous forme de la famille nucléaire, de l’urbanisation, de l’émigration, des moyens de communication audiovisuelle, de l’éducation, des filles en particulier, dans les villes et dans les campagnes, de l’augmentation relative du revenu personnel et des effets dangereux du malheur qu’a été le terrorisme dans les années quatre-vingt-dix du siècle dernier, terrorisme qui a ébranlé la structure sociale et ses référents culturels, notamment les données religieuses. Le chercheur Dahou Djerbal a publié, en janvier 2016, une étude intitulée «Le changement des valeurs et des idéologies dans la société algérienne», et ce, dans le cadre du dossier de l’espace euromaghrébin : la société et la culture dans l’espace maghrébin. Le chercheur a procédé à une étude analytique, historique, sociale et politique des mutations que l’Etat et la société ont connues au lendemain de l’indépendance, notamment l’élimination rapide du legs colonial dans l’agriculture en particulier. En effet, il y a eu les nationalisations accélérées des biens des colons, l’affranchissement des paysans d’un régime inique qui ne leur permettait de percevoir en guise de salaire que le cinquième de ce qu’eux-mêmes produisaient, le passage des habitants des campagnes d’une situation de sous-prolétariat et d’autarcie à une économie monétaire, l’exode rural et l’émergence d’une force ouvrière qui a accompagné ces mutations, dans le cadre de l’orientation socialiste de l’époque. 
Le chercheur indique que l’échec du modèle de l’industrialisation algérienne à la fin des années soixante-dix a divisé le monde du travail en deux pôles ; le premier, adepte des règles et des valeurs du monde du travail européen, héritées de la période pré-indépendance, et le second, attaché aux méthodes et règles de travail définies durant la période post-indépendance, telles qu’elles figurent dans ce que le chercheur appelle le discours du parti-Etat et de l’Etat-nation.
Selon le chercheur, parmi les changements majeurs figurent la multiplication des crises et l’émergence des mouvements culturels identitaires, dans leurs relations avec le système d’enseignement basé sur la méthode pavlovienne. 
Cependant, le changement le plus important et le plus notable réside dans l’accroissement relativement rapide du nombre de filles dans tous les cycles d’enseignement : du primaire à l’université. 
Les filles sont aujourd’hui plus nombreuses que les garçons dans chacun de ces cycles ; de même qu’une grande partie de la société est passée de la culture basée sur l’oralité à la culture écrite.
La réaction est venue du mouvement berbère, sous forme de protestations contre les idéologies officielles résumées par l’imam Ibn Badis par son célèbre triptyque : l’islam est notre religion, l’arabe est notre langue et l’Algérie est notre patrie ; cette réaction a consisté en la correction de l’histoire en s’intéressant à l’Algérie d’avant l’avènement de l’islam, en réhabilitant tamazight et en appelant à une République laïque. Nous consacrerons, dans une section de cette réflexion, une analyse sur l’utilisation, par les experts du colonialisme, de certaines de ces revendications légitimes.
Le séisme le plus dangereux qui a ébranlé l’Etat et la société est une autre réaction, incarnée par une idéologie extrémiste au nom de l’islam. Cette idéologie extrémiste avait touché le grand public, alors que le discours c
ulturel et ses slogans, évoqués par le chercheur, étaient véhiculés par l’élite culturelle. Le discours et les slogans de l’alternative islamiste étaient servis au petit peuple des quartiers populaires et des campagnes qui souffraient de la pauvreté, du chômage et de la marginalisation. 
L’analyse approfondie du professeur Dahou Djerbal est essentiellement basée sur des perspectives politiques et des concepts idéologiques tirés d’une approche spécifique aux sociétés du tiers-monde et de la critique qui ciblait le système socialiste, la centralisation de l’Etat et le discours unique. Quant à la société et à l’Etat en Algérie et pour que le diagnostic, la description et l’analyse soient proches de la réalité, il est utile, voire nécessaire, de compter sur l’expérience historique dans une société qui a vécu sans Etat, mais dont les institutions traditionnelles sont, dans une grande mesure, restées efficaces. Cette société est poussée dans ses derniers retranchements, n’ayant pas réussi à moderniser ses institutions et ayant refusé la modernisation truquée destinée à la soumettre et à l’annexer. En tout état de cause, dans le domaine de la recherche sociale, toute approche sociale est sans nul doute un ajout utile si elle venait à être affranchie de l’enfermement idéologique.
Le fossé civilisationnel : constats et diagnostic
De larges couches de l’élite intellectuelle et dirigeante, en Algérie et dans la plupart des pays du tiers monde, ont pris conscience de la gravité des défis qu’impose le sous-développement hérité de la période d’avant l’occupation et aggravé davantage par le colonialisme et des difficultés à dépasser ce sous-développement, après l’indépendance, sans la coopération du monde développé du nord de la planète. Ce constat a fait que les appels à la préservation de l’authenticité, c’est-à-dire appeler le passé à la rescousse, ont été moins nombreux et se sont limités, parfois, au souvenir de la résistance qui a caractérisé le mouvement de Libération nationale contre les résidus postcoloniaux. Ces appels s’amenuisent encore plus et tendent même à disparaître chez la troisième génération ou aspirent à un rang social, à une part de la rente et à une participation aux cérémonies d’occasion. 
Les controverses autour de l’identité et la course à la mise en relief des spécificités et des différences au sein de chaque pays et entre des pays voisins, notamment après l’échec de l’union civilisationnelle et politique, basée sur un seul élément qui exclut les autres, tel que l’appel à une nation musulmane, une et indivisible, allant de Jakarta à Tanger ou bien à une nation arabe unifiée allant du Golfe à l’Océan, ont toutes échoué dans cette région. Elles sont tombées dans l’oubli, ou ont donné lieu à un résultat totalement opposé à celui recherché, ou ont mené à l’extrémisme, par la reproduction du mode de vie d’il y a 14 siècles, en tentant de l’imposer aux autres par la force et la contrainte. Tout cela nous montre des traits et des profils inquiétants pour une région dont l’élite souffre de misère civilisationnelle, perdue entre un passé qui ne reviendra jamais et un présent duquel elle est absente. 
D’autres franges de la société ont préféré se mettre au service d’autres cultures, au lieu de dialoguer avec elles et d’en adopter les connaissances après les avoir adaptées, comme ce fut le cas pour les civilisations qui se sont succédé à travers l’histoire. En réalité, la région subit, depuis fort longtemps, un émiettement et un affaiblissement de l’intérieur, provoqué par les guerres intestines et la destruction des vestiges du passé, notamment les symboles d’une civilisation qui a réussi, à certaines périodes de son histoire, à conjuguer le rayonnement spirituel, loin de la sorcellerie qui est synonyme d’immobilisme et de sous-développement, et le rayonnement rationnel novateur dans les différents domaines de la connaissance. 
Par conséquent, nous pouvons résumer la situation civilisationnelle d’une région dont les peuples sont répartis sur plusieurs continents, par la question suivante : le passé civilisationnel de toute nation ou d’une région géopolitique n’est-il pas représenté par les réalisations du présent ? La réponse à cette question nécessite le recensement et l’analyse d’un grand nombre de facteurs enchevêtrés dans leurs dimensions historiques anciennes et nouvelles, des facteurs internes relatifs à l’état de la société et aux responsabilités des élites dans les différentes fonctions, des raisons de la faiblesse, du sous-développement et des luttes permanentes au sein de la région, et l’interventionnisme et de l’ingérence des grandes puissances qui veulent asseoir leur hégémonie et leur domination sur les ressources des parties les plus faibles et les soumettre par tous les moyens. 
Tout cela a eu lieu avant et après l’adoption des chartes onusiennes qui prônent la paix, la coopération et le respect des droits et des libertés des individus et des peuples. En fait, ces chartes ressemblent beaucoup plus à des calmants et mettent en relief le fossé énorme qui sépare les pays qui sont à la traîne et ceux qui sont dans le peloton de tête. Il y a des exceptions, à l’instar de certains pays de l’Asie du Sud-Est qui ont réduit cet écart civilisationnel, comme le Japon et ceux qu’on appelle les Tigres émergents, ainsi que la Chine qui aspire à se joindre au groupe de tête, sans pour autant renier une civilisation vieille de cinq mille ans qui revient au goût du temps.
Le monde musulman et arabe a, depuis longtemps, connu plusieurs diagnostics de sa situation civilisationnelle, par des approches différentes. La première a été l’histoire encyclopédique d’El Messaoudi, intitulée «Les prairies d’or», qui jette la lumière sur le début de l’effondrement et de la faiblesse du Califat, à la fin du IIIe siecle de l’Hégire (XIIe siècle). El Messaoudi est soutenu par Chemsddine Meqdassi, dans son ouvrage, Les perles ; il écrit dans un passage très important, ce qui suit : «Elle (Baghdad, capitale du Califat) était la préférée des musulmans, une capitale suprême et même au-delà de ce que nous pouvons décrire, jusqu’à ce que le Califat faiblisse, ce qui l’a ébranlée ; quant à la ville, elle n’est que ruine, elle régresse chaque jour davantage, conséquence de la corruption rampante, de l’ignorance, de la dépravation et de l’injustice du sultan.»
Nous n’allons pas voir trop loin dans le diagnostic récent que l’on retrouve, par exemple, chez les mouvements réformateurs, chez Mohamed Abdou en Égypte, chez l’imam Ibn Badis et de son compagnon cheikh El Ibrahimi et leurs collègues, chez Malek Bennabi et son école de pensée qui parlent des conditions de la Nahda (renaissance), et que l’on retrouve également dans les pays du Levant, en Inde et au Pakistan. Depuis ces dernières décennies, de nombreuses recherches se sont focalisées sur le modernisme, notamment depuis les années soixante-dix du siècle dernier. Parmi ces recherches,
celle de Tayeb Tizini, intitulée «Du patrimoine à la révolution», 1978, celle de Ali Ahmad Saïd (Adonis) : Le fixe et le mouvant, en trois volumes, 1974-1978, celle de Mohammed Al Djabiri : Du discours arabe contemporain, 1982, mais également celle du chercheur Américain, M. Hudson, sur L’avenir arabe, publiée dans une revue spécialisée dans les questions critiques (Critical Issues), 1979, les lectures du renouveau du chercheur Mohammed Arkoun, dans son étude sur les aspects de la conscience islamique, du chercheur Abdou Sleiman qui a défini la problématique civilisationnelle dans La crise dans l’esprit islamique et l’étude de l’Américain d’origine palestinienne, Edouard Saïd, intitulée «Culture et impérialisme».
La civilisation : tourner autour du plafond
Ces recherches ont apporté de nombreux éclairages sur la réalité civilisationnelle du monde arabo-musulman et bon nombre d’entre elles ont mis l’accent sur la question de la modernité, pour laquelle nous faisons les deux observations suivantes : 
1. L’accumulation des créations dans les sciences, les arts et la littérature dans le monde arabo-musulman a enrichi le patrimoine civilisationnel de l’humanité, que ce soit reconnu ou pas. Cette accumulation a été décrite, en toute objectivité, par Adam Mitts, professeur à l’université de Bâle (Suisse), dans son étude intitulée «La civilisation de l’islam» ; l’itinéraire des civilisations est ininterrompu, selon une continuité historique axée sur l’être humain et son environnement naturel et social. En effet, les civilisations peuvent cohabiter et converger, tout comme elles peuvent connaître des divergences entre leurs différentes composantes ou avec d’autres civilisations voisines, comme c’est le cas en Méditerranée, ou d’autres civilisations très éloignées, comme pour l’Europe (Grande-Bretagne, Portugal, Espagne, France) et d’autres continents lointains tels que l’Amérique du Nord, l’Amérique latine et l’Australie. Les empires européens émergents avaient traversé l’Atlantique et le Pacifique pour en exterminer les populations autochtones, éradiquer leurs cultures, piller leurs matières premières et matériaux précieux (or notamment), asservir les peuples et les déplacer de force vers le nouveau monde (Amérique). Les chercheurs N. Pansel et P. Blancher ont présenté une très intéressante étude intitulée : «Zoos humains, XIXe-XXe siècles», Paris 2002, dans lesquels les Noirs étaient enfermés dans des cages et exposés sur les places de Paris comme des animaux sauvages. Quant à la civilisation islamique à laquelle plusieurs peuples ont contribué tout au long de plusieurs siècles, elle est d’une très grande richesse et d’une très grande diversité dans son contexte historique. Cependant, elle est actuellement dans une phase transitoire du mouvement continu de l’histoire et de ce fait, elle n’est pas en position de force en matière de réflexion et de créativité humaine. Elle a besoin d’être refondée, en commençant d’abord par une analyse critique de sa situation actuelle, loin de toute ostentation ou d’autoflagellation, une critique destinée à l’enrichir et à accélérer son dynamisme, à la lumière des acquis scientifiques et technologiques, pour accéder au cercle du savoir et de la connaissance et de leurs applications sur l’être humain et sur la nature. Cette tâche nécessite des générations hors du commun, poussées par une volonté inébranlable et guidées par des dirigeants pour lesquels rien n’est impossible ; pas celles qui ne cessent de répéter des slogans tant martelés, tels que le progressisme, le modernisme, le retour à l’islam et au salafisme – les pieux ancêtres qui n’étaient pas tous pieux –, des slogans qui se sont transformés dans certains discours en des duels verbaux insensés. 
2. Aux yeux d’un nombre important d’élites intellectuelles et de gouvernants, le summum actuel de la civilisation et du progrès est celui atteint par la civilisation occidentale (européenne et américaine), de par son aspect matériel et créatif. A partir de ce constat, le reste du monde, y compris le monde arabo-musulman, se retrouve classé à différents niveaux de l’échelle ascendante ou déclinante, par rapport à ce summum civilisationnel qui ne s’est pas réalisé de manière fortuite ; c’est, au contraire, l’aboutissement d’une série de progrès dans le temps et dans l’espace. C’est pour cette raison que toute étude ou recherche sur une quelconque branche du savoir nécessite une introduction sur son épistémologie à l’instar de l’histoire des mathématiques, de la physique, de l’astrologie, des arts, de la littérature, des religions ou de la politique. Cependant, la contribution de la civilisation islamique est souvent ignorée pour de nombreuses raisons, telles que le manque d’informations, le complexe de supériorité ou l’impact du conflit historique entre l’Orient et l’Occident qui pousse à sous-estimer l’Autre. 
A titre explicatif, le monde musulman a connu deux expériences qui démontrent la nature de sa relation politico-civilisationnelle avec l’Occident, la première est celle de l’ataturkisme, qui a adopté des concepts le rapprochant de l’Occident et notamment des Etats-Unis. Ainsi, les préceptes de l’islam et les rapports antérieurs d’Istanbul avec la région arabo-musulmane – avant l’effondrement de l’empire ottoman – étaient devenus, aux yeux de cette doctrine, la cause principale de son retard et de ses défaites face à l’alliance occidentale, sans compter le sentiment de trahison et de collusion de la part des provinces ottomanes qui ont conspiré avec les puissances anglaise et française au Moyen-Orient (Sykes-Picot). Toutefois, après des décennies d’ataturkisme, la Turquie renoue avec son passé de califat ottoman, pour des raisons politiques et des visées géopolitiques pragmatiques, dans le cadre de l’OTAN et de sa relation spécifique avec Israël. Cette relation est une des conditions de son admission et de son rapprochement avec l’Occident. Aujourd’hui, la Turquie est membre du groupe des vingt et l’alliance occidentale critique à voix basse le conflit avec les Kurdes et l’incarcération ou l’exclusion de plus de 30 000 citoyens, civils et militaires (juillet 2016), dont 2000 enseignants universitaires ; en effet, les intérêts prennent le dessus sur les droits de l’Homme.
La deuxième expérience est celle de la Révolution islamique en Iran ; le shahinshah ou le Roi des rois a imposé la culture et le mode de vie à l’européenne, tout en stigmatisant les traditions et le patrimoine culturel postislamique, considéré comme symbole de sous-développement. Le Shah et son entourage ont œuvré à la glorification du patrimoine et de l’histoire de l’Iran, à l’époque de l’empire sassanide. De même qu’il a demandé de purifier la langue persane des termes arabes, de renforcer les relations avec les Etats-Unis et Israël et d’étendre son hégémonie sur le Golfe et le détroit d’Ormuz. Cependant, cette puissance et cette modernité de façade n’ont pas pu résister face au déluge du khomeynisme qui a envahi la société iranienne révoltée par le gaspillage et la violation publique des traditions. Cette victoire écrasante de la révolution iranienne a été acquise grâce aussi à la présence d’un immense rése
au de cellules infiltrées dans la société chiite (les husseiniyets) ainsi que les écoles du chiisme, appelées al-hawzate, en Irak et à Qom, près de Téhéran. Ainsi, tous les traits de modernité introduits par le Shah ont été éradiqués de l’Etat et de la société et l’Iran est devenue ce qu’il est aujourd’hui.
La civilisation : craintes de déclin et d’effondrement
Toutes les nations et les races peuvent connaître un essor ou un déclin civilisationnel ; en réalité, les nations appelées, de nos jours, primitives ou sous-développées ont connu, dans des siècles révolus, des civilisations florissantes, selon les critères de leurs ères, comme c’était le cas pour les civilisations aztèque et maya en Amérique latine, avant qu’elles ne subissent les canonnades des conquêtes espagnole, portugaise, britannique et française qui ont commis des actes de génocide, d’ethnocide et d’évangélisation forcée aux XVe et XVIe siècles. Il en a été de même pour l’Empire songhaï, dans le bassin du Sénégal, et pour l’empire du Mali, au Sahel, qui ont été découpés et répartis en petites entités, selon les stratagèmes et les intérêts du colonialisme dans le continent.
Le résultat de ce démantèlement et de cette répartition anarchique transparait dans plusieurs régions en Afrique de l’Est et de l’Ouest, à tel point d’ailleurs que les membres de l’Organisation de l’unité africaine, d’abord, de l’Union africaine ensuite, n’ont trouvé d’autre règlement aux conflits frontaliers que le maintien des frontières actuelles, solution qui a consisté à choisir le moindre de deux maux. Par conséquent, la colonisation du Sahara occidental est une violation du consensus africain et un précédent grave qu’il faut réparer en accordant au peuple du Sahara occidental son droit à l’autodétermination et à l’instauration de son Etat, dans le cadre des pays maghrébins et africains.
Il est à noter que le Maroc qui a violé le consensus africain est le seul pays, avec Israël, qui ne possède pas de frontières géographiques définitivement tracées. En effet, son premier dirigeant qui porte le titre de sultan, roi et commandeur des croyants, saisit toutes les opportunités possibles pour donner libre cours à ses tendances expansionnistes, soit vers l’Algérie (1963), soit vers la Mauritanie, juste après son indépendance en 1960 et à ce jour (déclaration du chef du parti de l’Istiqlal) décembre 2016. Ses visées expansionnistes sont même allées jusqu’au bassin du Sénégal.
Les élites maghrébines, conscientes des données de notre siècle, acceptent-elles de telles convoitises, au lieu d’œuvrer à la coexistence et à la coopération entre des peuples qui doivent relever les mêmes défis et qui sont liés par des liens historiques et des intérêts communs. Il est à noter également que les nations qui ont atteint aujourd’hui le summum de la civilisation étaient, il y a plusieurs siècles, des peuples barbares et primitifs, comme les Vandales, les Vikings, les Germains et les Gaulois, dans le nord et l’ouest de l’Europe. C’étaient des tribus dont la vie se résumait à la piraterie, au pillage, à la spoliation et à l’agressivité bestiale.
A partir de cette réalité historique, la question de la renaissance et du déclin civilisationnels a suscité un grand intérêt chez les politologues et philosophes occidentaux entre les deux guerres mondiales et même bien avant cette période.
Cette question soulève, dans le cadre de la philosophie de la civilisation, de la morale et de l’Histoire, plusieurs problématiques toujours d’actualité. L’académicien américain, R. Starn, a analysé, dans une recherche publiée en 1957, un ensemble de termes indiquant le déclin et la décadence civilisationnelle et galvaudés dans la littérature de l’époque. Il les a classés selon leurs significations : Conversio – Inclination – Lapaus – Leversio – Subversio – Vacillacio… qui indiquent tous une tendance au pire. (R. Starn : Meaning levels in the theme of historical decline, N. Y. 1957). Ces classification et analyse ont suscité l’intérêt d’un certain nombre de chercheurs en philosophie de l’Histoire, en Histoire des civilisations, en philosophie, en éthique, en sociologie et particulièrement en science comparée.
Ces études démontrent la grandeur et la décadence des civilisations, ainsi que leurs caractéristiques actuelles, à travers l’étude des phénomènes qui les empêchent de se transformer et de se développer ou qui les poussent à s’abandonner à la paresse spirituelle, qualifiée par certains philosophes tels que de Tocqueville, Gobineau et Rinan de «mal des siècles» ou de dégénérescence, comme l’appellent les philosophes allemands, tels que Helder et Spengler.
Les chercheurs britanniques dont Goodman ont, très tôt, accordé un intérêt particulier à la question de la décadence civilisationnelle.
F. Bacon s’est particulièrement inspiré des Prolégomènes d’Ibn Khaldoun (Al-Muqaddima), en utilisant les mêmes expressions tirées de cette œuvre : l’Etat commence à s’effondrer et à se déliter à chaque fois qu’il devient indulgent et accommodant. (soft and effeminate) Ibn Khaldoun dit dans le tome 1 de son ouvrage : «La bédouinité était source du courage… Certes, cette génération barbare est plus courageuse que la précédente, elle est davantage capable de battre les autres nations et d’accaparer leurs biens ; ce degré de barbarie diffère au sein même d’une seule génération, selon les tranches d’âge. De plus, à chaque fois qu’ils quittent leurs campagnes et acquièrent des connaissances, leur courage diminue et leur cruauté et bédouinité aussi.» 
Le rapport qu’établit Ibn Khaldoun entre les facteurs de puissance et de suprématie, de faiblesse et de défaillance, avec l’urbanisation et la bédouinité, il y a plus de sept siècles, et le fait que Francis Bacon soutienne cette analyse, au cours du XVIIe siècle, ont eu un impact majeur sur les théories sociologiques, l’histoire politique et civilisationnelle des nations et des empires qui se sont succédé.
Cette analyse rappelle les cycles de développement chez les êtres vivants comme l’enfance, la jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse et la mort. Nous trouvons dans le Saint Coran une illustration : «C’est Lui qui vous a créés de terre, puis d’une goutte de sperme, puis d’une adhérence ; puis Il vous fait sortir petit enfant pour qu’ensuite vous atteigniez votre maturité et qu’ensuite vous deveniez vieux, — certains parmi vous meurent plus tôt — et pour que vous atteigniez un terme fixé, afin que vous raisonniez.» (Sourate Ghaffir ; verset 67) (Trd. Mohammed Hamidoullah- Edition Tawhid)
Ce concept du cycle civilisationnel a été repris par les philosophes de l’Histoire,
tels que Arnold Toynbee, au XXe siècle, et sous le thème du conflit des civilisations chez Samuel Huntington ; la survie et la puissance d’une civilisation exigent l’élimination d’une autre civilisation, différente ou concurrente.
A cet effet, le sujet de la décadence civilisationnelle suscite actuellement l’intérêt des penseurs occidentaux, à l’instar de F. Braudel, dans son étude intitulée «Grammaire des civilisations», de J. Diamond dans son étude intitulée «l’Effondrement» et de R. Frank dans Déclin. La chercheuse américaine Amy Chua a publié, en 2007, une recherche documentée sur la naissance et la chute des civilisations, intitulée «Day of Empire» et traduite en langue arabe, en 2009, par M. M. Mahmoud Salih, sous le titre «l’Ere de l’empire».
A la fin des années 1090, l’administration américaine a formé une équipe de chercheurs en stratégie, prospective, relations internationales, économie, technologies avancées, etc., afin de répondre à la question suivante : quelle sera la position des Etats-Unis au XXIe siècle, opportunités et risques ? De même que le thème du premier débat entre les candidats à la présidence des Etats-Unis était axé sur l’avenir de l’Amérique dans le monde (27-9-2016). L’hebdomadaire français Le Point a consacré deux numéros au sujet de la décadence, le premier intitulé «Le mal français» (2-6-2016) et le second, «Comment disparaissent les civilisations» (4-8-2016), accompagné d’une carte intitulée «Le cimetière des civilisations depuis des millénaires».
Parmi les symptômes communs précédant tout effondrement civilisationnel, la haine répandue du présent, le désespoir par rapport à l’avenir et le démantèlement des fondements de l’Etat. Ce processus a été illustré par Al-Maqdisi lorsqu’il a évoqué le califat abbasside, que nous avons cité au début de cette étude, ainsi que par le chercheur britannique E. Gibbon, dans l’étude détaillée intitulée «Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain» (1788).
Selon lui, l’effondrement du gigantesque Empire romain est dû aux attaques répétées des Barbares et à l’influence du christianisme qui a déclenché une révolution qui a affaibli Rome, depuis ses provinces jusqu’à la capitale de l’empire. Outre les analyses et les explications apportées par les spécialistes en philosophie d’histoire quant à la naissance et à la chute des civilisations, nous trouvons, dans l’Antiquité, d’autres raisons imprévisibles et difficiles à prévenir, à l’instar des catastrophes naturelles, telles que les inondations (tsunami), les séismes, les volcans, les pluies diluviennes et les épidémies.
A titre d’exemple, l’Atlantide aurait été engloutie sous les flots, elle est mentionnée par Platon en IIIe siècle avant J.-C., dans son dialogue Critias, un mélange de mythe et d’utopie historique, car la description de Platon relative au niveau que cette civilisation avait atteint dépasse celui d’Athènes et de toutes les civilisations datant de cette ère. Elle pourrait refléter l’image de la Cité vertueuse, comme il l’a imaginée et décrite dans ses œuvres sur la République et Phédon.
Contribution de l’Algérie au continuum civilisationnel : des fondements qui font face au déni et à la distorsion
Comment analyser la position civilisationnelle de l’Algérie sur la carte géographique du monde d’hier et d’aujourd’hui ?
La réponse à cette question requiert l’étude d’un passé de plus de trois mille ans et l’élaboration d’encyclopédies scientifiques universelles et ouvertes auxquelles contribueraient des académiciens de différentes spécialités, y compris des archéologues, au sein d’une institution jouissant de l’indépendance organisationnelle et matérielle. Nous avons tenté, au niveau du Haut-Conseil de la langue arabe, de jeter les bases de cette institution, allant jusqu’à proposer son règlement intérieur et le lancement de ses activités, en vain. Hélas, cette institution n’a duré que quelques mois et les cercles universitaires ne s’intéressaient plus à elle.
En outre, le projet de l’histoire générale de l’Algérie a été reporté et est resté lettre morte au niveau des ministères, y compris celui des Moudjahidine ; la Direction générale des archives, rattachée à la Présidence de la République, n’a pas pu, quant à elle, relancer le projet, alors que nous savons que la première des décisions prises par Ben Gourion, chef du gouvernement de l’entité sioniste, en 1949, a été d’instaurer l’encyclopédie israélienne, dont de nombreux volumes ont été publiés aujourd’hui et en plusieurs langues.
La civilisation de l’Algérie dans sa dimension populaire et ses apports culturels 
L’Algérie a, à l’époque des rois amazighs, apporté différentes contributions civilisationnelles à son environnement méditerranéen, à son environnement africain et même en dehors de ces zones géographiques. Après l’expansion de l’islam, toutes ces contributions ont été dispersées, pillées ou attribuées à des nations autres que la nôtre. Lorsqu’il s’agit du continuum civilisationnel d’un peuple ou d’une nation, il est vain de vouloir exploiter les apports civilisationnels d’avant et après l’ère de l’Etat-nation, tel qu’il a été reconnu dans les temps modernes, comme le véhiculent certains discours idéologiques, à l’instar du déni de l’Histoire et de la culture amazighe, de son patrimoine et de ses arts dans notre pays, alors qu’elle représente une richesse intellectuelle et littéraire inestimable ; à l’instar des propos visant à sous-estimer la contribution de l’Algérie à la civilisation arabo-musulmane et son rôle dans la Méditerranée et en Afrique, alors que l’Algérie a enfanté des milliers d’écrivains et de savants qui étaient des références avec le grade de professeur et titulaire de chaire, comme on le dit aujourd’hui. 
Si nous revenons à la continuité historique de toute civilisation, nous conclurons que ces pauses, dans notre passé proche et lointain, n’étaient nullement une rupture ou une reprise à zéro, mais plutôt des phases imbriquées dont chacune possède des caractéristiques supplémentaires, dans le cadre du processus culturel d’accumulation, au sein de la société et de ses institutions, tant traditionnelles que modernes. Qualifier la civilisation algérienne d’amazighe et d’arabo-musulmane ne comporte en soi aucune contradiction, ni opposition et ne peut engendrer aucune sensibilité menant à des conflits, à l’isolationnisme, à la peur ou à l’animosité envers l’autre. Nous montrerons, dans les pages suivantes, certaines des tentatives qui visent à créer ces faux conflits.
De part sa position géographique qui sert de trait d’union entre la Méditerranée et le Sahel dans le Sahara, et quelle que fût son appellation : Numidie, Afrique, Maghreb central avec pour capitale Djazaïr Beni Mezghenna, l’Algérie a subi plusieurs tentatives d’hégémonie, d’assimilation ou d’annexion de la part d’empires venant de la rive nord de la Méditerranée et qui étaient à l’origine des agressions. Certaines élites de notre pays se sont adaptées à la mondialisation de cette époque lointaine, à l’instar de l’Empire romain avant le christianisme et de l’Empire byzantin.
Cependant, les classes populaires ont, non seulement, conservé leur caractère général, mais elles ont installé une véritable rupture avec les envahisseurs. C’était leur seule et unique arme face à l’isolement et au déséquilibre des rapports de force, à l’époque. Il convient de rappeler que parmi les facteurs qui ont encouragé ces agressions, il y avait le fait que la population était divisée, morcelée et dispersée, et il y avait les conflits tribaux. Cependant, l’Algérie n’était pas un cas unique ; la division était le trait dominant en ces périodes de l’Histoire ancienne, y compris en Europe de l’Ouest, avant l’émergence de l’Etat-nation. Il y avait des principautés et des duchés, même à l’intérieur de la Russie de la période précédant l’avènement des tsars (Tsarskoe). Par conséquent, la première ligne de défense de l’Algérie et son premier rempart n’était autre que l’unité de son peuple, suivie de sa force de dissuasion assurée par les institutions de l’Etat, les organisations de la société et les classes populaires. 
L’Islam en Algérie : un référent rassembleur au-delà de toute race et qu’aucune doctrine ne peut diviser
Durant les mille ans après l’arrivée de l’islam, la société algérienne n’a jamais connu de conflit religieux ou sectaire. D’ailleurs, la dynastie fatimide (909-1171) est apparue ici, a régné durant plusieurs décennies et quitté l’Algérie pour aller s’établir ailleurs. La doctrine chiite fatimide se limitait au monarque fatimide et à son entourage. Un poète s’est adressé au calife disant : «Gouvernez, vous être l’unique et le dominateur suprême.» L’incapacité du calife fatimide à imposer cette doctrine à la société était probablement l’une des raisons qui l’avaient poussé, lui et son armée, à se diriger vers Le Caire de laquelle dépendait le califat fatimide par la suite. Nous estimons que crier à ce que l’on appelle propagation ou infiltration du chiisme en Algérie pourrait entraîner l’Algérie dans l’enfer des conflits confessionnels et sectaires des pays où sont nées ces doctrines et ces divisions sectaires. Nous constatons la situation actuelle de ces pays, du fait des instigations, incitations et interventions directes des forces prédominantes, y compris Israël, principal bénéficiaire de la fragmentation, des guerres intestines et de la destruction. 
L’islam en Algérie est un et a une seule origine : le Saint Coran. De même qu’en Algérie, les individus n’ont jamais été identifiés, à l’état civil ou sur leur carte d’identité, par leur confession religieuse, comme c’est le cas dans d’autres pays où sur ces mêmes documents sont mentionnées les confessions et les doctrines. En outre, la politisation des statistiques et des pourcentages tendancieux est, en soi, une manière de laisser le feu allumé sous les cendres.
Le danger qui guette la sécurité et la stabilité de la société est le fanatisme religieux qui est contraire à l’essence même de l’islam, religion de tolérance et de solidarité, et ce, quels que soient l’appellation ou les masques que peuvent utiliser les fanatiques issus des cercles fermés de salafistes qui enferment l’islam dans des carcans rétrogrades, ignorent volontairement les préceptes vertueux de cette religion, font peu cas de la raison et des vertus de l’ijtihad, qui sont à notre époque actuelle et même à toutes les époques, l’un des piliers de l’islam, comme nous y incitent de nombreux versets du Noble Coran.
Les phénomènes d’islamophobie ne font que croître en raison des phénomènes de l’extrémisme violent dont les racines remontent à très loin dans l’Histoire, notamment après l’avènement de l’islam dans la même région où sont nées les trois religions monothéistes et leur cohabitation directe. Cela n’a pas été le cas pour le bouddhisme et le brahmanisme en Asie, un continent qui n’est pas confronté à la haine et à l’aversion religieuse contre les individus, même dans leur apparence. Par exemple, les Sikhs avec leurs barbes et leurs grands turbans ou les Indiennes avec le sari (voile).
En Europe certains pratiques comme le yoga se propagent, y compris parmi les intellectuels. Lors de discussions avec des diplomates ou des élites qui les entourent, nous percevons que le terme islam est synonyme de terrorisme et que les hommes de culte sont tous des hommes politiques drapés d’une couverture religieuse. Aucun d’eux ne parle de la sacralité du pape précédent dont l’activité politique a pris le dessus sur ses missions religieuses au Vatican.
Ce que l’on appelle Daech, cette légende fabriquée dans les laboratoires du conflit entre les deux blocs, à l’époque d’Al Qaïda, a mené à deux colonisations successives, celle de l’Afghanistan et celle de l’Iraq. Ce monstre a été d’une aide incommensurable pour les grandes puissances et à leurs intérêts dans la région. En revanche, il n’a pas sa place en Algérie, et ce, grâce à la clairvoyance de son peuple et la vigilance des forces de l’ordre et de l’armée, bien qu’il se rapproche de nos frontières. Le croyant se fait-il berner deux fois de suite par le terrorisme ?! Qui peut croire qu’une alliance de plus de trente pays d’Amérique et d’Europe, avec leurs flottes et leurs missiles, fait du surplace et est effrayée par une horde de voyous qui réussit, sur un territoire étroit, à répandre son poison dans de nombreux pays ?
Le rite ibadite est une doctrine et non pas une secte religieuse ou ethnique 
Le rite ibadite est arrivé en Algérie et a trouvé protection après avoir été opprimé en raison de son appel anticipé à la démocratie directe et non à la gouvernance héréditaire. Tout au long de l’Histoire contemporaine, les Ibadites n’ont jamais fait l’objet de persécution ou d’isolement. Ils ont cohabité avec leurs concitoyens algériens, dans la paix et la fraternité, dans les villes et villages du pays. Si cette relation historique et éternelle a été troublée, comme cela a été le cas pendant la guerre de Libération (boycott des commerçants mozabites) ou au cours de ces dernières années, cela est dû à des incitations à la déstabilisation de l’Algérie suivant la politique «diviser pour
régner» et à leurrer les jeunes et les moins jeunes. Nous ne cherchons pas à incriminer une main étrangère ou à justifier des évènements tristes. Cela peut être dû à des fautes personnelles des responsables directs ou à une réaction tardive de la part de ces mêmes responsables, de leur tutelle et des institutions concernées qui doivent réagir aux contestations par dialogue direct à tous les niveaux, notamment avec les jeunes dont les revendications et les ambitions augmentent partout en Algérie.
Ces revendications peuvent survenir dans toutes les régions du pays. Qu’elles soient plus importantes ou moins importantes que ce qui se passe dans les autres pays, elles font ressortir l’énergie et l’âme revendicatrice du peuple algérien qui exige davantage de développement et de services. Nous pouvons dire, sans orgueil aucun, que les Algériens ne font pas partie de ces peuples que l’on peut asservir par la sommation et la menace, ou en raison de la sacralisation du pouvoir comme c’est le cas dans d’autres pays, proches ou lointains. le oui n’as jamais été un caractère général des Algériens, des rois amazighs à ce jour.
L’Algérie n’a pas connu de conflits ethniques, ni dans le passé ni aujourd’hui ; nous appartenons tous à une seule Algérie et le peuple, dans sa majorité, est fier de cette appartenance, quelle que soit la région, la catégorie sociale ou la langue ; et ce qui est arrivé pendant les années quarante avec ce que l’on a appelé le mouvement berbère, et pendant les années quatre-vingt, et au début de ce millénaire, est dû à des raisons politiques ou économiques, telles que la revendication de la démocratie ou du développement régional, et de l’extrémisme d’exclusion contre la langue amazighe ou contre la langue arabe.
Il ne faut pas sous-estimer l’impact des études politiques menées, sous le couvert scientifique, par des experts en ethnologie, en ethnographie et dans les autres sciences sociales, telles que la psychologie sociale, la psychanalyse et l’histoire, pour servir le colonialisme français. Frantz Fanon, médecin et militant de la guerre d’Algérie, a analysé certaines des causes et des objectifs de ces études dans des travaux d’une très grande importance jusqu’à aujourd’hui.
Ces études ont eu un impact sur l’image que l’Algérien a de lui-même, comme ce qui se dit au sujet de sa prétendue violence héréditaire, de son agressivité envers lui-même et de son caractère asocial, sauf dans les limites de la famille très proche ou ce qu’Ibn Khaldoun appelle «tribalisme». Exception faite des symptômes somatiques, le comportement de l’être humain est le résultat d’un stimulus et d’une réponse. Ce qu’il faut réaffirmer une fois de plus, c’est que le peuple algérien est difficile à asservir et son histoire millénaire le confirme.
En réalité, ces allégations ne sont rien de plus que des préjugés visant à inciter l’Algérien à se mépriser, à sous-estimer sa personnalité, dans le but de le dompter et de le rendre pessimiste par rapport à l’avenir pour le maintenir en position de servitude face à l’oppression et au colonialisme. Frantz Fanon a expliqué ce qu’on appelle violence et agressivité sous l’angle du comportement instinctif, considérant que ce sont des mécanismes naturels de défense chez toutes les créatures qui veulent vivre. C’est un phénomène qui survient dans le corps humain, c’est-à-dire que des cellules viennent en remplacer d’autres et c’est ce qui explique les étapes d’évolution du corps et les symptômes du vieillissement et de la vieillesse.
L’indigénophilie coloniale et ses mines destructrices
Ces études pseudo-scientifiques qui portent le nom de «science» des indigènes se sont focalisées sur des régions spécifiques, dans le but d’approfondir davantage les différences ethniques et culturelles, jusqu’à inventer une vieille animosité entre les habitants de ces régions tels que les Kabyles, les Chaouias, les Touareg, les Mozabites et les Arabes. Les experts de l’administration coloniale ont utilisé de nombreux moyens pour semer la discorde ethnique et même confessionnelle, comme les campagnes d’évangélisation forcée ou séductrice, ainsi que l’appauvrissement culturel et la déculturation de tous les Algériens. Seuls quelques individus ont été instruits et gardés en réserve pour parer aux imprévus, comme l’échec de la France à joindre définitivement l’Algérie à ses départements, comme elle-même ainsi que la Grande- Bretagne l’ont fait avec certains départements et certaines îles d’outre-mer. Après moins de trente années de génocide, d’appauvrissement et de déplacements des populations, la France a tout tenté pour faire de l’Algérie une colonie française. L’Algérie est le seul pays de la région, avant même la Palestine, à avoir subi un colonialisme de peuplement. La France coloniale a perdu ce pari, car la majorité écrasante de ces catégories instruites est restée fidèle aux aspirations du peuple à la liberté et à la justice. Elles l’ont prouvé lors de la résistance populaire et après la constitution du mouvement national algérien au sein du PPA, qui s’est transformé, après sa dissolution, en Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Cette cohésion s’est particulièrement manifestée lors de la guerre d’indépendance à laquelle cette élite, formée dans les écoles françaises, a participé avec compétence et engagement aux côtés des forces de l’Armée de libération nationale et des autres instances de la Révolution.
Le Pr Abdelkader Mezour, de l’université de Tlemcen, a publié une recherche dans le magazine Mawakif, spécialisé dans les études et les recherches sur la société et l’Histoire, dans son numéro de janvier 2007, dans laquelle il a évoqué la question de l’acculturation et l’interculturalité, partant de la définition présentée par les anthropologues anglo-saxons, notamment Redfield, Linton et Herskovits, qui estiment que l’interculturalité est un ensemble de phénomènes découlant de la communication directe et continue entre des groupes d’individus issus de différentes cultures qui aboutirait à une influence claire d’une culture sur les modes de la culture originale dans l’un de ces groupes ou entre eux. Cette définition a été adoptée par l’Académie américaine des sciences sociales.
Le Pr Abdelkader Mezour s’intéresse aux facteurs de l’interculturalité interne à l’époque postindépendance qui a succédé à la démolition et au sabotage lors de l’occupation coloniale. Cela a fait l’objet d’une étude du chercheur français P. Bourdieu et de son collègue T. Sayad, intitulée «Le déracinement». Pierre Bourdieu estime que l’arabisme et l’islamisme étaient à l’origine de l’apparition des revendications et des protestations identitaires et ont entraîné davantage d’interculturalité et d’adhésion à la mondialisation ; cependant, l’interculturalité issue de cette adhésion à la mondialisation se limite actuellement aux modes de consommation et à certains services et supports de communication sociale.
L’indigénophilie et ses complications dimensionnelles 
Selon une vision qui n’exclut ni ne divise l’élite, il faudrait transcender la répartition en fonction de la langue parlée. La langue arabe en Algérie est une langue rassembleuse. Ce n’est pas une race, ni une idéologie partisane. Même s’il y a un sentiment d’excellence chez les utilisateurs de la langue française parce qu’on la considère comme supérieure à la langue arabe, ce qui se répercute sur la politique de l’éducation et la controverse permanente sur ses modes, les utilisateurs de la langue arabe estiment, eux, qu’ils sont plus proches de l’authenticité et contre la dépendance, du fait des injustices coloniales ancrées dans la mémoire et de la politique de l’Etat français, jusqu’à ce jour, vis-à-vis de l’Algérie. Cette polémique existe, à différents degrés, chez les élites de tous les pays maghrébins. Néanmoins, il convient de s’interroger : à qui profitent la division et la marginalisation ? Y a-t-il un rapport avec la classification sociale et les opportunités d’accès à la richesse et au pouvoir ?
L’intérêt accordé aux études de l’indigénophilie minée remonte au milieu des années soixante-dix du siècle dernier, lorsque j’occupais le poste de directeur d’études à l’Institut des sciences sociales et que j’étais membre du comité de réforme des programmes et des méthodologies d’enseignement dans ces spécialités, désigné par le défunt ministre Seddik Benyahia. Le comité comptait, parmi ses membres, le Pr Abdelmadjid Meziane et le Dr Djamel Gennane, et son but était l’algérianisation de l’université. Cette démarche n’avait pas pour but de donner une nouvelle appellation à l’université, mais d’œuvrer à la faire sortir de l’influence de cette pseudo-science appelée «indigénophilie» et de ses fondements non scientifiques, telle qu’adoptée par E. Masqueray, Camille Sabatier et leur école ethnologique. Leurs recherches se sont focalisées, en grande partie, sur la Kabylie, ses spécificités sociales, raciales, historiques et sociologiques, y compris la nature et l’urbanisme, ce qui a, par la suite, donné naissance au «mythe kabyle», selon l’expression de CH. R. Ageron.
Nous avons traduit certains chapitres de son étude encyclopédique de deux tomes, intitulés «Les Algériens musulmans et la France» (1968), et avons également commenté certaines de ses thèses. Il convient de reconnaître que ses recherches sont beaucoup plus objectives que celles de la majorité des historiens et sociologues français de cette époque. Le titre que nous avons choisi pour cette traduction, publiée en 2004, était : La société algérienne dans le laboratoire de l’idéologie coloniale.
Au lendemain de l’indépendance, il n’y a eu que très peu d’études scientifiques basées sur l’analyse scientifique de la linguistique et des dialectes en Algérie, loin de toute tendance politique ou appartenance partisane. En tout état de cause, la science, une fois entachée de politique, surtout lorsqu’il s’agit de thèmes sensibles, perd une grande partie de sa perspicacité par rapport aux risques et de son objectivité absolue qu’il est difficile d’atteindre dans les sciences de l’Homme et de la société.
A l’époque du mouvement national et après l’indépendance, de nombreux chercheurs se sont intéressés à la question amazighe, langue parlée en Kabylie. Nous citerons, à titre d’exemple, l’écrivain Mouloud Mammeri, auteur du chef-d’œuvre La Colline oubliée, qui a œuvré à l’enrichissement et à l’actualisation du dictionnaire amazigh, considéré aujourd’hui comme une des références fondamentales dans la linguistique amazighe ; cependant, le désintérêt de Mammeri ou sa méconnaissance de la grande richesse des œuvres écrites en arabe par les savants de cette région, avant et après l’avènement du royaume nasseride, à Béjaïa, ainsi que les intimidations de certaines parties quant au risque que tamazight concurrence la langue arabe ont facilité les accusations et l’exclusion mutuelles. Rétroactivement, c’est un service rendu a tout ce qui a été fomenté par les théoriciens du colonialisme français. Le flambeau de Mouloud Mammeri a été repris par son disciple, Salem Chaker, enseignant à l’Inalco, qui s’est intéressé, de manière générale, au monde amazigh à l’intérieur et à l’extérieur de l’Algérie. Parmi ses recherches dans ce domaine, son étude publiée en 2003 dans Diplomatie Magazine. Il y a également une thèse universitaire intitulée «Les Touareg», présentée par Lahcène Mermouri, de la wilaya d’Illizi et publiée en 2010, qui porte sur l’organisation sociale et le pouvoir chez les Touareg. Cette étude scientifique confortée par une recherche sur le terrain figure parmi les rares recherches en sociologie politique effectuées en arabe en Algérie et pour laquelle nous avons rédigé une introduction, à la demande du chercheur.
H. Roberts de l’Institut des sciences économiques de Londres a consacré, quant à lui, plusieurs études à la question de l’amazighité au Maghreb, publiées en série, dans la revue de l’Institut britannique d’anthropologie. Il y a abordé les théories des spécialistes français de l’indigénophilie.
Des chercheurs algériens contemporains, spécialistes en histoire, en philologie et en linguistique, réalisent des études, des débats et des interviews, à chaque fois que la question de l’identité et ses principaux attributs sont soulevés. Nous citons, à titre d’exemple, Abderazak Dourari et Arezki Ferrad ou ceux de courants différents ou opposés, comme Othmane Saâdi et Ben Naâman. L’islam, l’arabe et l’amazighité font partie de nous et nous leur appartenons, sans détours, ni surenchères. Il est étonnant de savoir qu’un des Etats les plus connus pour leur jacobinisme ou leur centralisme s’érige en défenseur des langues des minorités et des rites religieux opprimés et pousse ses institutions politiques et scientifiques à agir dans ce sens ; quelle serait la réaction de cet Etat si, dans le cadre de la réciprocité, on faisait de même pour le Corse, l’Alsacien, le Normand et le Breton ?
Le patrimoine culturel français, qui est d’une grande diversité et créativité, est véhiculé par la France avec assiduité et intelligence par le truchement de la francophonie. Il est de son droit de procéder à cet investissement culturel et économique, au service de son influence politique. Néanmoins, cette influence souffre de l’hégémonie du géant américain et défend avec hargne sa présence à l’intérieur même de ses frontières, au titre de l’exception culturelle. Nous connaissons l’étendue du déploiement et de l’influence de la langue anglaise dans les forums internationaux et dans les sciences, les arts et la littérature. Il est, cependant, inutile de remplacer une langue étrangère par une autre langue. Il faut s’intéresser à l’anglais et aux autres langues de la Méditerranée, ainsi que le turc, le russe et le chinois et certaines langues africaines comme le haoussa et le swahili, notamment au niveau des envoyés spéciaux et des diplomates, à côté de la langue arabe officielle et de tamazight qui est, elle auss
i, langue officielle. 
Il serait sage que l’Algérie ne soit pas une arène pour les joutes linguistiques et les conflits d’intérêts entre les puissances mondiales et régionales ; l’essentiel est de développer le patrimoine arabe et amazigh dans les sciences, les arts et la littérature, indépendamment des autres pays de la région qui appartiennent au même tronc commun culturel. Il y a aujourd’hui une controverse entre les élites au sujet de la question de l’identité et de ses liens avec la langue, des efforts consentis autour de la langue qui soit la plus proche de la langue de l’école, ainsi que des autres moyens d’expression et de communication.
En d’autres termes, doit-on utiliser la langue classique ou le dialecte populaire. A notre sens, il s’agit là d’un débat monté de toutes pièces, car il n’existe pas de langue sans dialecte populaire, comme c’est le cas de l’anglais, du français et de l’allemand. Le niveau de la langue diffère en fonction du niveau d’instruction et du niveau culturel des individus. Dans ces pays, la langue enseignée est la langue standard, celle qui est porteuse des merveilles des arts et de la littérature. Cette controverse est une comédie dans ce que l’on appelle le théâtre de l’ombre, qui s’éloigne des vrais enjeux que sont le développement des programmes de l’éducation, la formation et la préparation des générations d’Algériens afin qu’ils puissent accéder au monde actuel avec intelligence, savoir et nationalisme.
En ce qui concerne tamazight, le dernier amendement constitutionnel initié par le président de la République a mis fin à la controverse autour de sa place, l’officialisant comme langue nationale et officielle ; il est donc du devoir des chercheurs et des spécialistes des différents domaines du savoir et de la connaissance d’enrichir son dictionnaire, de ressusciter son héritage et de traduire dans cette langue les sciences et les technologies modernes ; ceci est également valable pour l’arabe qui doit faire l’objet d’intérêt et de transfert des sciences modernes, grâce à la traduction et à l’innovation.
Nous n’avons trouvé dans l’Histoire écrite aucune trace de conflits armés entre les Chaouias et les Kabyles, entre les Touareg et les Mozabites ou encore entre ces derniers et les Arabes. Je dis «Arabes», car les experts et les chefs politiques colonialistes prétendent que ceux-ci sont des intrus, particulièrement en Algérie, et ce, dans le but de promouvoir la discrimination raciale et de susciter l’animosité entre ces prétendus groupes ethniques. Il est paradoxal que tous les rapports adressés par les militaires, les hommes politiques et les agents secrets à leurs responsables à Paris, lors de la résistance héroïque de l’Emir Abdelkader, n’évoquaient que les Arabes, alors que les partisans de l’Emir venaient des différentes régions de l’Algérie, telle qu’elle est connue et représentée dans sa géographie actuelle. L’on sait d’ailleurs que les Ottomans avaient organisé l’Algérie en wilayas (beylik) purement administratives : l’Ouest, le Centre et l’Est et qu’ils étaient, avec leurs suites et leurs gardes, dans leurs forts et palais, isolés de la population. 
Jamais en Algérie, ni celle d’hier ni celle d’aujourd’hui, il n’y a eu de guerre, ni de rejet d’une catégorie sociale pour des raisons ethniques. 
En fait, il y a eu des conflits au sein même des populations du Nord et du Sud, mais jamais en rapport avec la race ou la langue. Ces conflits étaient le plus souvent dus à des problèmes de cadastre, aux bombes à retardement que l’administration française nous a laissées dans le domaine des terres agricoles et steppiques, ou à l’héritage au sein d’une même famille ou de la même tribu. 
Il est à noter que le tribalisme doit être pris dans son sens khaldounien et dans son sens le plus négatif, c’est-à-dire une transgression de la citoyenneté qui est le véritable ciment politique au sein d’une société moderne. Cette citoyenneté qui est d’ailleurs consacrée dans les différentes Constitutions algériennes, notamment dans les récents amendements du 7 février 2016. Nul doute que la citoyenneté et la consécration de l’Etat des droits et des devoirs représentent la meilleure voie pour libérer notre société de ces archaïsmes et des mentalités et comportements tribaux et claniques et pour la débarrasser des adages erronés tels : «On préfère notre âne au cheval des autres» ou «mis n’aamis» (le fils du cousin), etc.
Appartenir à une famille ou à une région et en être fier est une chose naturelle et même désirée, c’est une source d’appartenance à la patrie. Celui qui hait sa famille ou rejette la région d’où il est issu pourrait mépriser sa patrie et devenir un non-citoyen, un apatride. Aussi, l’appartenance d’un individu ou d’un groupe d’individus à une région de l’Algérie, comme par exemple Targui, Chaoui, Kabyle et Mozabite ne diffère pas du qualificatif qu’on donne à un Français, en l’occurrence le Normand qui vient de Normandie ou le Corse.
Il est inutile de citer d’autres exemples où l’appartenance à une région s’est transformée, pour des raisons politiques, ou à cause de conflits historiques ou religieux ou de fautes dans la gestion, en revendications sécessionnistes vis-à-vis de la mère patrie. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans des pays qui étaient de vastes empires, à l’instar du Royaume-Uni (la Grande-Bretagne), avec l’Ecosse et l’Ulster catholique (l’Irlande du Sud) et de l’Espagne avec la Catalogne. C’est ce qui est arrivé en Yougoslavie, transformée aujourd’hui en plusieurs pays indépendants. Mais le paradoxe géopolitique et historique réside dans le cas allemand. L’Allemagne qui a été divisée par les alliés et l’URSS, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, a retrouvé son unité et est devenue plus forte et plus stable que dans les années cinquante du siècle dernier.
Il y a dans le monde une multitude d’exemples de cas d’effritement de pays, mais aussi d’unions, qui sont dus à des facteurs communs, qui résident à titre d’exemple dans la force et la stabilité de l’Etat, dans la capacité de ses élites intellectuelles et de ses responsables dans les différentes institutions à respecter les spécificités régionales, à créer une certaine concorde et réaliser un développement équilibré, sans pour autant négliger les manipulations extérieures qui pourraient trouver en certains individus ou groupes le cheval de Troie les menant vers un affaiblissement de l’intérieur, par le biais de la dislocation de la société en entités opposées qui pourraient demander l’aide et le soutien de l’étranger.
C’est le cas du mouvement du chanteur Ferhat Mehenni qui ne présente ni à la Kabylie ni à l’Algérie aucun projet, si ce n’est d’embarrasser l’Etat et d’induire en erreur et duper un nombre limité de gens, car la majorité écrasante des enfants de la Kabylie sont convaincus que leur région est une partie intégrante de l’Algérie historique et moderne, l’
Algérie qui se dirige vers la décentralisation administrative, dans un pays dont la superficie dépasse les deux millions de kilomètres carrés. 
Le président Abdelaziz Bouteflika était convaincu dès le début de son premier mandat que sauver l’Algérie des conflits interethniques et des conflits attisés sous la couverture de la religion qui ont poussé les enfants du même peuple à s’entretuer devait passer d’abord par la concorde et par la nécessité de convaincre toutes les parties de l’importance et de la nécessité de la réconciliation nationale. Ce projet innovateur et courageux a obtenu l’écrasante majorité lors d’une consultation par référendum, laquelle majorité a constitué une assise pour le lancement des programmes de M. le Président, pour le développement et la modernisation de nombreux secteurs et services de l’Etat. Il serait judicieux de rappeler qu’à la fin des années quatre-vingt-dix, le discours politique était axé, dans son ensemble, sur l’échange d’accusations ou sur la qualification de la nature de la crise et ses conséquences sur l’Etat et la société. Les acteurs politiques ne savaient alors pas que la clé de la solution résidait dans la réconciliation avec soi, avec l’Histoire et avec tous ceux qui aspiraient à la paix et la coexistence entre tous les Algériens. Il est rare de voir, dans un pays du tiers monde et même dans un pays démocratiquement avancé, un chef d’Etat qui se tient côte à côte avec trois anciens Présidents et que des aéroports, des universités et autres infrastructures soient baptisés aux noms de grands leaders dont les noms et les époques faisaient l’objet depuis plus de soixante ans d’une controverse politique et d’une levée de boucliers chez les différents courants qui traversent la société. Cette réconciliation avec le passé ne peut être effacée de la marche d’un peuple, ni de sa mémoire. Une posture civilisée qui devrait constituer un modèle pour les autres. 
L’épreuve du terrorisme pendant les années quatre-vingt-dix a constitué la plus grande menace à la cohésion culturelle et sociale ancestrale des Algériens. 
Survenue après la catastrophe coloniale qui a constitué la plus grande menace pour la survie de l’Algérie et son existence, cette tragédie a été perçue par la plupart des pays du monde et même certains pays voisins comme de simples scènes dramatiques à regarder en attendant l’effondrement total de l’Etat-nation et des fondements de la République, tels qu’énoncés par la déclaration du 1er Novembre 1954 ; une République où il n’y a pas de place aux ethnies, ni aux races ni à l’extrémisme religieux, car l’islam, dans son acception populaire, est un liant spirituel et culturel, purifié de toute forme de violence et de xénophobie à l’encontre des autres cultures et des autres religions.
Pendant la résistance populaire et la révolution pour la libération, il n’y jamais eu de destruction des lieux de culte chrétiens ou juifs, ni d’hostilité à l’endroit des Français parce qu’ils étaient chrétiens. 
La lutte des Algériens à travers l’Histoire a toujours été dirigée contre les agresseurs. Les revendications des Algériens ont de tous temps été la liberté, la justice et le progrès, tels qu’énoncés par la Déclaration du 1er novembre 1954, qui constitue la synthèse de l’expérience historique de l’Algérie et une méthode valable aussi bien pour le présent que pour l’avenir.
M. L. O.K.
*président de l’Assemblée populaire nationale (APN)

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