Dans le plan d'autonomie présenté par le Maroc, le manque de détails est, sans surprise, un thème récurrent dans le conflit du Sahara occidental, souvent décrit dans les médias occidentaux comme « de faible intensité ».
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Par Zahra Rahmouni
Lors du débat annuel de l’ONU sur le Sahara occidental, tout le monde est entendu, sauf les Sahraouis eux-mêmes.
Chaque année en octobre, le temps des pulls arrive, les commandes de café se chargent de sirop, et le bâtiment des Nations Unies à New York se transforme en scène de délibérations tendues pour le renouvellement de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO).
Cette année, le Conseil de sécurité (CS) a adopté la résolution 2797, renouvelant le mandat de la MINURSO pour une 35e année, mais avec un changement : le conseil a formellement endossé le Plan d’autonomie marocain de 2007 comme « la solution la plus réalisable », plutôt que de maintenir l’accent sur un référendum d’autodétermination complet.
J’ai suivi le cycle d’actualités internationales, et quelque chose m’a frappée dans la couverture médiatique. J’ai passé beaucoup de temps à chercher des voix sahraouies couvrant la bataille diplomatique en cours à l’ONU, mais, à part quelques médias espagnols, je n’ai largement pas trouvé.
Il y avait pléthore « d’experts régionaux » et « d’observateurs du Maghreb ». Certains étaient bien informés, d’autres partisans. Mais il était incroyablement difficile d’entendre les Sahraouis eux-mêmes, que ce soit dans les territoires occupés, les zones libérées, les camps de réfugiés de Tindouf dans le sud-ouest de l’Algérie, ou ailleurs. Malgré tous mes efforts, je n’ai pas pu trouver les opinions des personnes dont l’avenir se négociait à Manhattan.
Des questions très évidentes émergent alors naturellement : « Pourquoi les voix sahraouies sont-elles absentes ? » Et « Que pensent les Sahraouis, ceux qui sont les plus directement concernés par les négociations politiques, de ce qui se passe ? »
J’ai donc contacté divers activistes et leur ai posé ces mêmes questions.
Tiba Chagaf, un Sahraoui de 50 ans qui vit entre les camps de Tindouf et l’Espagne, a révélé : « La semaine précédant le vote sur la résolution, le peuple sahraoui est descendu dans la rue lors d’immenses manifestations, rejetant toute proposition ne garantissant pas son droit à décider de son propre avenir. »
Pour Chagaf, figure importante de la vie culturelle sahraouie, « accepter l’autonomie après 50 ans de résistance en exil est hors de question ». Il affirme que la résolution est conçue pour que « quelqu’un donne quelque chose qu’il ne possède pas à quelqu’un qui n’a aucun droit dessus ».
Ses remarques font référence à l’accord conclu entre l’administration Trump et la monarchie marocaine, qui a échangé la normalisation des relations internationales entre le Maroc et Israël contre la reconnaissance par les États-Unis de la revendication marocaine sur le Sahara occidental. L’accord a été ratifié en décembre 2020 avec la signature par le Maroc des Accords d’Abraham.
Les Sahraouis sont parfaitement conscients que leur lutte pour l’autodétermination entre en conflit avec les intérêts politiques et économiques des grandes puissances occidentales. Et cela est d’autant plus vrai maintenant que le Sahel traverse une période de forte turbulence géopolitique, entraînée par des coups d’État et la prolifération de mouvements jihadistes.
Ahmedna Abdi Mebarak, un activiste sahraoui des droits de l’homme de 26 ans, affirme également que la résolution 2797 est « une manœuvre politique des États-Unis, qui ont utilisé le Sahara occidental comme monnaie d’échange au profit d’Israël ».
Né dans les camps de Tindouf et résidant maintenant en France, il rappelle, de ce point de vue, le rôle notable joué par l’ancien président Jacques Chirac (1995–2007) dans l’élaboration du plan d’autonomie marocain de 2007. L’ancien président français, aujourd’hui décédé, entretenait d’excellentes relations avec le roi Hassan II, puis avec son fils, l’actuel roi du Maroc, Mohammed VI. Même après la fin du mandat présidentiel de Chirac, il était de notoriété publique que lui et sa femme séjournaient régulièrement dans des hôtels de luxe marocains mis à disposition par le roi du Maroc. Déjà à l’époque, le discours dominant en France louait souvent le Maroc pour sa « stabilité » et son rôle d’allié de la France.
Mebarak critique cette position, arguant que la France voit le Maroc comme un levier pour faire avancer ses intérêts. Selon lui, l’ancienne puissance coloniale « continue de chercher une porte d’entrée pour étendre son influence au Maghreb et à travers l’Afrique ».
Curieusement, malgré ces violations répétées du droit international par les superpuissances, les Sahraouis avec qui j’ai parlé disent qu’ils font toujours confiance aux institutions juridiques africaines et internationales. Leur principale « boussole », insistent-ils, reste la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée en décembre 1960, qui appelle à l’indépendance des pays et peuples colonisés.
Ils soulignent également l’ambiguïté de la dernière résolution du Conseil de sécurité, qui prolonge le mandat de la MINURSO, mais appelle en même temps « les parties à engager des discussions sans conditions préalables et sur la base de la proposition d’autonomie du Maroc ».
« C’est un plan de quatre pages que ni les Sahraouis ni les Marocains ne connaissent vraiment. Personne ne comprend vraiment ce que le plan d’autonomie implique », insiste Mebarak.
Le manque de détails est, sans surprise, un thème récurrent dans le conflit du Sahara occidental, souvent décrit dans les médias occidentaux comme « de faible intensité ». La dernière colonie d’Afrique fait rarement la une des journaux. Et lorsque les médias en parlent, ils adoptent souvent le récit marocain.
En France, par exemple, pays qui a voté en faveur de la résolution 2797 au CS, la couverture médiatique varie considérablement selon la ligne éditoriale des médias. Les médias considérés comme de droite ont tendance à être pro-marocains. Seules les politiques éditoriales progressistes ou de gauche donnent plus de place aux perspectives sahraouies, comme Mediapart ou L’Humanité. Ces médias sont étroitement surveillés par les réseaux d’influence marocains en France.
Par exemple, lors du scandale du logiciel espion Pegasus, il est apparu que la journaliste principale de L’Humanité, Rosa Moussaoui, qui couvre le Sahara occidental depuis des années, figurait parmi celles dont les téléphones avaient été ciblés par les autorités marocaines à l’aide du logiciel espion israélien.
Ces tactiques d’intimidation s’accompagnent de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux et de campagnes de diffamation dans les médias marocains pro-gouvernementaux. Le360 a qualifié Moussaoui de « Madame Polisario » et de « la voix la plus hostile au Maroc », tandis que Barlamane a accusé Le Monde, les espagnols El Independiente et El Español, et Middle East Eye de promouvoir un « récit hostile au Maroc ».
Leur « offense » ? Avoir publié des cartes montrant la frontière entre le Maroc et le Sahara occidental ou utilisé le terme « territoires occupés » pour désigner la zone sous contrôle marocain.
Mebarak explique aussi les tentatives de faire taire les voix sahraouies sur le terrain, y compris en France. « Chaque manifestation, chaque conférence, chaque événement universitaire, tout ce que nous publions sur les réseaux sociaux est rapidement relayé au consulat, qui mobilise ensuite des Marocains nationalistes pour perturber ou fermer nos activités », dit-il. En 2020, une manifestation pro-sahraouie à Paris a dégénéré en violence lorsque des contre-manifestants pro-marocains ont organisé un rassemblement simultané au même endroit.
Pourtant, ce que j’ai appris de ces conversations automnales saisonnières, c’est qu’aucune intimidation, aucun calcul géopolitique, aucun récit médiatique dominant ne pourra complètement faire taire les voix sahraouies. Et, plus important encore, tant qu’ils resteront exclus des décisions façonnant leur avenir, aucune solution durable ne pourra être trouvée pour le Sahara occidental.
Source : Africa is a Country, 22/12/2025
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