L'Algérie n'est plus un territoire à raconter, à qualifier, à réduire par la voix de ceux qui la méprisent. Elle écrit son propre récit. Et aucun plateau télé, aucune machine médiatique, aucune hystérie franco-française ne pourra la ramener dans le rôle que certains voudraient encore lui imposer.
Tags : Algérie, France, Boualem Sansal, presse française, médias français,
par Mustapha Aggoun
Une odeur ancienne, rance, qui remonte comme un souffle colonial que l’on croyait, enterré. Depuis la grâce accordée à Boualem Sansal, les médias de l’extrême droite française semblent pris d’une frénésie presque théâtrale, une sorte d’hystérie racoleuse qui révèle bien plus leurs obsessions que la réalité de l’Algérie contemporaine. On assiste à une mise en scène où l’auteur devient soudain le dépositaire de toutes les rancœurs post-coloniales, un porte-voix idéal pour ceux qui cherchent encore et toujours à noircir l’image d’un pays qu’ils n’ont jamais pardonné d’avoir arraché sa liberté.
Car il faut appeler les choses par leur nom : ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas de l’analyse, ce n’est pas du débat d’idées. C’est une « opération politique », menée avec une précision chirurgicale dans les studios qui, depuis des années, ont fait de l’Algérie un champ de bataille symbolique.
Depuis sa libération, Boualem Sansal est devenu l’invité préféré d’une certaine presse. On le promène de plateaux en interviews comme s’il revenait d’une captivité mythique, comme si l’homme sortait tout droit des geôles d’Amérique du Sud, ou venait d’être échangé contre je ne sais quel otage dans un accord secret avec les talibans. La dramaturgie est poussée à l’extrême. On lui donne la parole avec un empressement suspect, non pas pour écouter un écrivain, mais pour exploiter une opportunité.
Ces médias ne l’invitent pas : « ils l’exploitent ». Ils le pressent, littéralement, comme un citron, chaque goutte servant à alimenter un récit préfabriqué où l’Algérie est toujours le pays du chaos, du despotisme, de l’archaïsme. On l’encourage subtilement, parfois grossièrement, à imaginer, amplifier, exagérer, inventer ce qui peut et ne serait-ce qu’un instant, salir l’image d’un pays entier. Le procédé est vieux : il remonte aux voyageurs du XIXe siècle envoyés « décrire » les indigènes pour mieux justifier l’occupation. Rien n’a changé, sauf les caméras.
Et Sansal, porté par l’exaltation ou par le rôle qu’on lui a assigné, joue parfois ce jeu sans trop de résistance. Pire encore, dans une attitude théâtrale quasi héroïque, il lance qu’il retournera en Algérie, comme si ce retour relevait du défi, comme s’il marchait vers une terre interdite, hostile, étrangère. Cette mise en scène est, à elle seule, une caricature : elle ne dit rien de l’Algérie réelle, mais tout de l’imaginaire colonial que l’extrême droite française continue de chérir.
Ce qui frappe dans cette campagne n’est pas son existence elle est prévisible mais son intensité. Depuis la grâce présidentielle, on assiste à une mobilisation médiatique « largement disproportionnée », presque grotesque, surpassant de loin celle observée durant sa procédure judiciaire elle-même.
C’est comme si, aux yeux de ces rédactions, Boualem Sansal n’était intéressant que dans la mesure où il peut être utilisé pour régler des comptes historiques, pour entretenir une vision du monde où l’Algérie reste figée dans une image coloniale fabriquée, figée, instrumentalisée.
Mais ce que ces médias ignorent ou feignent d’ignorer est fondamental : cette façon de parler de l’Algérie appartient à une ère révolue. Cette culture de la domination narrative, héritée directement de la mentalité coloniale, n’a jamais disparu chez certains cercles, mais elle n’a plus la force d’hier. Le monde a changé. L’Algérie aussi. Les peuples du « tiers monde », comme ils disent encore avec un mépris mal dissimulé, ont cessé d’être spectateurs. Ils ne subissent plus passivement les récits fabriqués loin d’eux.
Ce que ces médias ne comprennent pas, c’est que leur posture révèle davantage leur propre nostalgie impériale que la réalité algérienne. Ils ne parlent pas de Sansal : ils se parlent à eux-mêmes. Ils ne parlent pas de l’Algérie : ils parlent d’un regret. Ils ne parlent pas d’un écrivain : ils parlent d’un passé qu’ils n’ont jamais digéré.
La France officielle a depuis longtemps tourné une page, mais la France des extrêmes, elle, insiste à relire les mêmes paragraphes usés d’un manuel colonial qu’elle n’a jamais accepté de refermer. Cette nouvelle campagne algérophobe n’est qu’un chapitre supplémentaire, un sursaut maladroit dans une bataille perdue d’avance.
Car la vérité est simple : l’Algérie n’est plus un territoire à raconter, à qualifier, à réduire par la voix de ceux qui la méprisent. Elle écrit son propre récit. Et aucun plateau télé, aucune machine médiatique, aucune hystérie franco-française ne pourra la ramener dans le rôle que certains voudraient encore lui imposer.
Source : Le Quotidien d’Oran, 28/11/2025
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