Mon ami Mehdi Hijaouy, dans sa longue expérience au service de l’Etat, a été amené à bien connaître ces questions et à jouer un rôle de premier plan dans la sécurisation du Maroc. C’est ce qui donne à son « Livre Blanc » toute son importance en ce qu’il marie pratiques du terrain et réflexion.
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Mon ami Mehdi Hijaouy, ancien « numéro 2 » de la Direction générale des Etudes et de la Documentation (DGED, les services de renseignement et de sécurité extérieure du Maroc) m’a fait l’honneur de me demander de préfacer son Livre Blanc sur le renseignement, la sécurité et la Défense nationale du royaume. C’est avec un grand plaisir que je l’ai fait.
Se basant sur sa longue expérience au service de la sécurité du Maroc et de ses alliés, Mehdi Hijaouy marie sa pratique du terrain et les réflexions qu’elle lui a inspirées pour nous livrer une analyse fouillée des défis auxquels le Maroc doit faire face.
Cette lecture devrait être une priorité, non seulement pour les élites marocaines mais également pour ceux qui, sur le vieux continent, s’intéressent à la sécurité de la zone méditerranéenne. La stabilité du royaume chérifien – véritable carrefour entre l’Europe, le monde arabe et l’Afrique subsaharienne – est essentielle pour l’Europe et la France. Or, Rabat fait face à de nombreux défis et la normalisation de ses relations avec Israël rajoute une couche de menaces contre le pays…
Le « Livre Blanc » sera prochainement accessible en ligne.
Voici le texte de cette préface :
Le Maroc occupe une place à part dans le monde arabe.
Au Maghreb, il est le seul pays à la fois démocratique, stable et pro-occidental : l’Algérie est, depuis l’indépendance, gouvernée par une clique de militaires kleptocrates qui ne se maintiennent au pouvoir qu’en attisant les tensions avec la France et avec le Maroc, tandis que la Tunisie et la Libye ont toutes deux été fortement déstabilisées par le « printemps arabe » : la Libye est aujourd’hui un champ de ruines où le pouvoir se dispute entre deux gouvernements et de multiples clans et tribus et la Tunisie a repris le chemin de l’autoritarisme et d’une forme de « national-islamisme».
De plus, le Maroc – grâce à la clairvoyance et à la sagesse du Roi Hassan II a évité les aventures socialisantes et totalitaires qu’ont connues Alger et Tripoli. Et il s’est profondément, dès l’indépendance et sans discontinuer depuis, ancré dans une alliance avec l’Europe et les Etats-Unis.
Cette stabilité de plus de cinq décennies est due, en grande partie, à sa forme de gouvernance qui prévaut à Rabat : une monarchie Alaouite ancienne – elle règne depuis 1666…- et légitime, éclairée et respectée par l’immense majorité des Marocains.
Et si l’on veut remonter plus loin dans l’histoire, on soulignera que le Maroc est également le seul pays de la région à avoir résisté à l’empire Ottoman et à ne pas avoir connu la domination turque. Il a été, longtemps, le seul pays arabe à jouir d’une réelle indépendance et de frontières qui n’ont quasiment par varié depuis des siècles. Quel autre pays arabe peut-il se targuer d’avoir eu une ambassade à la Cour de Louis XIV (à l’initiative du sultan Moulay Ismaïl) ?
Cette gouvernance et cette indépendance ont permis au peuple marocain de se forger une identité particulière qui a été l’un des ferments de ce que l’on peut appeler la réussite marocaine. Certes, tout n’est pas parfait à Rabat et le pays fait face à de multiples défis – entre autres celui de la jeunesse relative de sa population et du développement de certaines de ses provinces – mais la sagesse de ses monarques en fait une véritable exception arabe.
Est-ce à dire qu’il est immunisé contre tous les dangers ? Certes non.
Les tensions avec son voisin oriental – entre autres mais pas seulement autour de la question du Sahara marocain – restent une menace réelle et il fait face depuis plus de vingt ans, comme ses voisins et comme l’Europe, à l’offensive du terrorisme islamiste.
Toutefois, dans cette matière également il pourrait servir d’exemple : le travail inlassable des services de renseignement et de sécurité – Direction Générale des Etudes et de la Documentation (DGED), Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST) et son Bureau central d’investigation judiciaires (BCIJ), Renseignement Généraux, Sûreté nationale, Gendarmerie, renseignement militaire- a permis de déjouer nombre d’attentats en préparation au Maroc mais également à l’étranger. On se doit de souligner que la coopération entre la communauté marocaine du renseignement et de la sécurité et ses homologues occidentaux est exemplaire.
Mon ami Mehdi Hijaouy, dans sa longue expérience au service de l’Etat, a été amené à bien connaître ces questions et à jouer un rôle de premier plan dans la sécurisation du Royaume. C’est ce qui donne à son « Livre Blanc » toute son importance en ce qu’il marie pratiques du terrain et réflexion.
Ce travail est important car le Maroc, comme l’Europe est à la croisée des chemins.
Le Maroc, par la place à part qu’il occupe – véritable carrefour entre l’Europe, le monde arabe et l’Afrique subsaharienne – est particulièrement exposé. Et la normalisation de ses relations avec Israël rajoute une couche de menaces contre le royaume chérifien.
Outre la menace terroriste et les tentatives de déstabilisation venue de sa frontière orientale, le Maroc est évidemment soumis à d’autres menaces.
On citera pour mémoire le risque migratoire : des millions de pauvres gens se mettent en marche depuis l’Afrique subsaharienne vers les rives de la Méditerranée pour tenter de gagner l’Europe, à la recherche d’une meilleure vie. On voit en Tunisie et en Lybie, à quel point ces flots humains peuvent déstabiliser la région.
La criminalité organisée – trafic de stupéfiants, trafic d’armes, cybercriminalité – constituent un autre risque élevé pour un pays en plein développement économique et qui accueille de nombreux investisseurs étrangers : cette économie de prédation est en plein développement et suit les lois de la mondialisation et de l’interconnexion des réseaux. Le Royaume ne sera pas épargné.
Et, bien entendu, on ne peut ignorer que le départ de la France du Sahel tout proche, et l’arrivée d’un nouvel acteur – la Russie – sont d’autres facteur d’instabilité régionale. Outre la faillite des Etats concernés, cette évolution pourrait permettre, non seulement au terrorisme, mais également aux filières criminelles et à elle celles de l’immigration illégale de pousser leurs ramifications vers les rives de l’Atlantique – menaçant ainsi, entre autres, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou la Mauritanie, d’importants partenaires régionaux de Rabat – mais également vers la Méditerranée et les enclaves de Ceuta et Melilla, s’attaquant ainsi directement au Maroc.
Dans ce contexte de globalisation de menaces protéiformes, éclairer les choix des décideurs et préparer la société marocaine à affronter lucidement ces défis tout en travaillant sa nécessaire résilience est un enjeu majeur.
Dans ce cadre, le Livre Blanc que Mehdi Hijaouy m’a fait l’honneur de demander de préfacer est un outil essentiel.
Il n’existe pas, en effet, de sécurité stratégique sans que celle-ci ne soit pensée, réfléchie et ne fasse l’objet de débats. C’est ce que vise Mehdi Hijaouy quand il appelle à la création d’une Direction de la Stratégie.
Toute aussi importante est sa proposition de créer, à Rabat un poste de Coordinateur national du renseignement.
Il ne s’agit pas ici de fusionner les différentes forces étatiques qui collaborent à la sécurité de la Nation marocaine. Chacune a son histoire et sa raison d’être et la concurrence entre services et entités peut être saine. Mais cette concurrence ne doit jamais évoluer vers une stérile rivalité et il est donc important que tous les acteurs de la sécurité – qu’elle soit intérieure ou extérieure – collaborent dans le respect de leurs missions respectives. Etablir les bases de cette collaboration, la gérer et éviter déperdition d’énergie et « accidents de parcours » serait le rôle de ce coordinateur qui aurait également à jouer un rôle important dans la coordination entre les services marocains et les services alliés.
De même, le respect de la déontologie, et donc le contrôle de l’action des services sont, aujourd’hui, une revendication générale de nos sociétés et le Maroc ne fait pas exception. Et ici aussi, Mehdi Hijaouy fait œuvre utile en proposant la mise sur pied d’un organe de contrôle.
Bref, ce Livre Blanc arrive à point nommé pour nourrir un débat sécuritaire que l’on espère riche et dense et qui aidera à définir ce que devrait être, idéalement, le paysage de la sécurité et de la Défense nationales du Maroc dans les années à venir.
Les enjeux sont énormes, que ce soit pour Rabat, pour l’Afrique ou pour l’Europe.
Claude Moniquet
Cofondateur et co-directeur de l’ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center)
Source : X.com, 26 mai 2025
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