Maroc : Le panopticon alaouite

Au Maroc, les défenseurs des droits humains et la population du Sahara Occidental sont les principales victimes du logiciel Pegasus

La surveillance numérique au Maroc vise principalement les journalistes indépendants, les défenseurs des droits humains et la population sahraouie (voir chapitre Sahara Occidental). La répression des dissidents visibles est une stratégie efficace, car elle renforce la sensation de contrôle total sur le reste de la population, qui opte pour l’autocensure afin d’éviter la répression. Le Maroc exerce également une pression sur les individus d’intérêt à l’étranger, qu’ils soient chefs d’État ou journalistes étrangers. Cette apparente arbitraire a toujours fait partie de la stratégie répressive du régime. D’une part, la persécution des figures éminentes montre qu’aucun profil de haut niveau n’est protégé, et d’autre part, la répression des citoyens anonymes renforce l’idée d’un contrôle total : le panopticon alaouite.

Les attentats de Casablanca en 2023 ont accéléré l’entrée du Maroc dans le cadre de la lutte antiterroriste promue par les États-Unis. La loi antiterroriste de 2023, bien que controversée, a été adoptée à l’unanimité après les attentats et a permis une surveillance accrue des médias, sites web, blogs et autres espaces en ligne. Des milliers de personnes ont été détenues sans charges pendant des jours, et des organisations, mouvements et défenseurs des droits humains critiques envers le régime ont été surveillés sous prétexte de « sécurité nationale » et de « maintien de l’ordre public. »

Depuis le début des années 2000, le Maroc a adopté des lois pour contrôler l’espace numérique (Loi de Cybercriminalité en 2023, Loi de Cybersécurité en 2020). En septembre 2011, la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information et le maCERT, centre de surveillance et de réponse aux cyberattaques, ont été créés. Ces entités relèvent de l’Administration de la Défense Nationale, équivalente au Ministère de la Défense, ce qui signifie que certaines infrastructures de contrôle sont sous une institution militaire, sans obligation de rendre des comptes ni transparence.

Bien que le Maroc soit classé « partiellement libre » par Freedom House en matière d’accès et de libertés numériques, l’adoption de lois de presse et de libertés aux normes plus ou moins acceptables cache un usage pervers du système judiciaire et du Code pénal. La majorité des défenseurs des droits humains et des journalistes ne sont pas condamnés sous la Loi de la presse et des publications, mais plutôt pour des délits définis dans le Code pénal, entraînant des peines de prison. Cela résulte en une combinaison de législation répressive, de la complicité du système judiciaire et de l’utilisation de technologies intrusives, dont certaines sont développées par des entreprises européennes.

1. RÉSEAUX SOCIAUX, MOBILISATION ET PEUR DE PERDRE LE CONTRÔLE DU RÉCIT

L’augmentation de l’utilisation des réseaux sociaux a posé un problème pour le régime qui, dès des affaires comme celle du sniper de Targuist en 2007, a observé que la population pouvait dénoncer le système de manière autonome. Cependant, le point de bascule de la surveillance numérique est arrivé pendant les révoltes de 2011 et le Mouvement du 20 février. La campagne Mamfakinch, organisée par un collectif social quelques jours avant les premières manifestations de février, en est un exemple. L’une des premières acquisitions marocaine pour le contrôle numérique fut le malware sous forme de cheval de Troie activable à distance de l’entreprise italienne Hacking Team, utilisé contre des journalistes et contre Mamfakinch. Parmi les clients figuraient deux agences de renseignement marocaines : le Conseil Supérieur de la Défense Nationale (CSDN) et la Direction Générale de Surveillance du Territoire (DGST), qui ont obtenu ce logiciel en 2009 et 2012, respectivement.

En octobre 2016, des manifestations massives du Hirak Rif ont rassemblé des milliers de personnes dans le nord du Maroc, avec des détentions de défenseurs des droits humains, journalistes et blogueurs entre mai et août 2017 pour leurs activités en ligne.

2. MANIPULATION DES RÉSEAUX SOCIAUX

Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont la principale source d’information pour les Marocains, avec YouTube et Facebook en tête. Par conséquent, ce sont ces réseaux qui sont surveillés et réprimés avec des stratégies variées. Une de ces stratégies est l’utilisation de réseaux de comportement inauthentique coordonné, qui visent à influencer l’opinion publique locale et régionale. Meta a ainsi supprimé des centaines de comptes liés à des activités pro-gouvernementales qui louaient la gestion par le Maroc de la pandémie, ses initiatives diplomatiques, ainsi que la réponse de ses forces de sécurité, mettant en avant le roi Mohammed VI et certains hauts fonctionnaires de la sécurité. Ces comptes étaient associés à des médias pro-régime comme ChoufTV, réputé pour ses campagnes diffamatoires contre les défenseurs des droits humains. Selon Meta, environ 150 000 comptes suivaient une ou plusieurs de ces pages.

3. SURVEILLANCE ET CONTRÔLE MASSIF DES COMMUNICATIONS

La surveillance et le contrôle massifs des communications s’effectuent avec des technologies de pointe, ce qui implique non seulement un contrôle de l’information circulant et publiée, mais également des coupures numériques temporaires. Bien que le filtrage (blocage de sites et d’informations spécifiques) ne soit pas l’outil le plus utilisé, il est appliqué de manière arbitraire et sans avertissement officiel. Les dispositifs de surveillance particulièrement intrusifs ciblent les défenseurs des droits humains et les personnes critiques envers le régime.

En 2019, Amnesty International a révélé que les appareils de plusieurs défenseurs des droits humains avaient été infectés par Pegasus, un logiciel espion de l’entreprise israélienne NSO Group. Des journalistes, des chercheurs, et des avocats comme Aminatou Haidar, Maati Monjib, et Omar Radi ont été surveillés. En 2022, Amnesty International et Citizen Lab ont découvert des preuves de l’utilisation de Pegasus par les autorités marocaines, avec une liste de potentiels ciblés allant jusqu’à 10 000 personnes, y compris le roi Mohammed VI. Le Maroc a également espionné des défenseurs des droits sahraouis et des personnalités étrangères comme des journalistes français, le président Emmanuel Macron, le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez et plusieurs ministres.

En outre, le groupe de journalisme d’investigation français Reflets a révélé l’achat par le Maroc du système Eagle, un dispositif de surveillance numérique massif développé par la société française Amesys (Nexa Technologies), doté de fonctions de censure via l’inspection en profondeur des paquets. En 2011, le Maroc avait investi près de 2 millions d’euros dans ce système, sous le nom de « Projet Popcorn. »

Enfin, Citizen Lab a mis en lumière l’achat du logiciel malveillant FINFisher par le Conseil Supérieur de la Défense Nationale du Maroc. FINFisher, vendu exclusivement aux agences gouvernementales et aux forces de l’ordre, permet un contrôle à distance des appareils infectés, la copie de fichiers, l’interception d’appels Skype, et le suivi des frappes sur le clavier.

Source : Surveillance massive au Maghreb et au Mashreq

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