La solidarité à géométrie variable

Tags : Syrie, Turquie, séisme, tremblement de terre, aide humanitaire,

MALIKA BOUSSOUF

La chronique «C’est où, la Syrie ?» de mon ami et collègue Slimane Laouari parue dans le Soir d’Algérie il y a quelques jours m’a renvoyée, dès les premières lignes, à un reportage durant l’effroyable guerre en Syrie opposant le sinistre Daesh, dont la barbarie était adroitement assimilée à de la valeureuse résistance, au régime «autoritaire» de Damas. Fouad Boughanem, mon patron d’alors, Allah yarahmou wa iwassa3 3lih, s’était opposé à un reportage en Syrie où le drame qui se jouait interdisait de s’y rendre. Je suis allée au Liban, dont je n’ai pas publié la totalité du reportage parce que trop de matière pouvait en tuer l’essentiel. On avait projeté de publier le reste plus tard. Le séisme qui a violemment frappé une Syrie pas encore reconstruite remet cette dernière au cœur de l’actualité. Puisque le Liban était une occasion intéressante de percevoir le drame, j’avais pu visiter des camps de réfugiés à la frontière des territoires interdits d’accès. Je garde un souvenir troublant de ces familles regroupées par affinités idéologiques. Il y avait les soutiens de Daesh qui avaient fui le pays par peur d’être rattrapés par les loyalistes et ceux qui, craignant pour leur vie, avaient fui la barbarie islamiste. À mon retour des camps, j’ai voulu comprendre un peu mieux la situation et je dois reconnaître que les confrères et consœurs sur place m’y ont fortement aidée. L’un d’entre eux que je désignerai par les initiales C. K., correspondant d’une radio internationale, m’a mise en contact avec une sacrée pointure qui, à son tour, avait souhaité que je ne le nomme pas explicitement. Il était là à la demande de son ami pour m’éclairer sur ce qui se jouait de l’autre côté de la frontière. Je vais appeler ce dernier Marwan C. que je présenterai plus tard. J’avais le profil idéal pour mieux comprendre. Il faisait beau ce jour-là, lorsque ce dernier nous a rejoints au café Costa, comme convenu. Marwan C. arrivait au moment même où C. K., à la maîtrise impressionnante, évoquait, exemple à l’appui, la mauvaise foi des Occidentaux et leur tendance à toujours vouloir minimiser le danger terroriste quand il fait ravage dans un pays arabe.

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Le séisme qui a endeuillé la Turquie et qui, en Syrie, a laissé à la marge les Syriens, tout autant frappés que leurs voisins, a remis, hier, au goût du jour la mauvaise foi occidentale, évoquée, il y a quelques années, par un confrère libanais. De celles qui s’expriment lorsqu’il est question de démontrer à la communauté internationale que le but de l’intervention de puissances occidentales dans les «dictatures arabes» vise à établir la démocratie que les populations qui en sont privées réclament. Elles agiraient ainsi, de leurs propres aveux, dans le but totalement désintéressé d’y instaurer la justice et la liberté. Personne ne croyait plus, m’assurait mon confrère, à ce gros mensonge mais tout le monde faisait comme si. L’appui ou la contestation des propos étaient étroitement liés aux intérêts que les uns et les autres étaient censés engranger grâce à toute la confusion créée entre-temps. L’expert en relations internationales Marwan C., que j’ai cité hier, ancien journaliste, auteur, chercheur et consultant pour de nombreux médias arabes et occidentaux, trépignait. Cela prouvait que la discussion à bâtons rompus que nous avions C.K. et moi ne laissait pas indifférent le spécialiste qu’il était de la question. Je rappelle qu’il avait suggéré que je ne le cite pas, affirmant qu’il était juste là pour donner son avis. Au fur et à mesure que le temps s’écoulait, je trouvais dommage qu’il le fasse off the record. «Ce n’est pas de la mauvaise foi. C’est de la politique de haute voltige. Il ne faut pas se leurrer. Rappelez-vous, pour commencer, que s’agissant d’Al Nosra, le discours occidental officiel a consisté à dire, depuis le début des évènements : «Al Nosra, ce sont des agents du régime ! Al Qaïda, ce sont des agents du régime, Daesh ce sont des agents du régime» ! Autrement dit, tous ces monstres étaient des créations du régime. Et puisque la confusion était totale, insistait Marwan C., et que l’opinion, ignorante ou pas vraiment sensibilisée à la question, n’y connaissait et n’y comprenait absolument rien, autant lui faire avaler toutes les couleuvres que l’on voulait.

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La triste occasion du séisme en Syrie était toute trouvée pour exhumer une vérité à laquelle on persiste à tordre le cou outre-mer. La réalité durant la guerre en Syrie, lorsque Daesh et ses excroissances, financés de toutes parts, menaçaient la stabilité d’un régime jugé apostat par les uns et réfractaire à la démocratie par les autres, démontrait que les opinions occidentales et les opinions arabes, elles-mêmes, étaient désorientées. Parce que la situation se révélait, effectivement, extrêmement complexe. J’ai alors demandé à mes confrères libanais si la situation était complexe ou voulue complexe. «Pas simplement !» me disent-ils. «Parce que, par ailleurs, des transformations en profondeur ont lieu. La crise existe bel et bien. Ce sont les islamistes contre le reste du monde.» Selon les deux amis pris dans le feu de la discussion, il fallait garder deux choses en tête dont la réalité et l’évolution de la situation en Syrie même. Ce qui s’y passait n’était pas banal. C’était grave ! En ce temps-là, Damas faisait face, disaient-ils, à des situations où le terme «complexe» perdait tout son sens et devenait un terme générique, fourre-tout. Même si le contexte qui englobait la notion de complexité demeurait intéressant en tant que tel. «Nous vivons donc réellement une situation compliquée même si elle est de moins en moins confuse», avait renchéri Marwan. Là où tous les ingrédients destinés à asseoir une crise sociale et politique en Syrie, comme ailleurs dans le monde arabe, étaient réunis. «Toutes les conditions objectives, en faveur d’explosions sociales, de révoltes et j’en passe, à l’échelle du monde arabe, sont là. Tous les ingrédients qui génèrent les crises politiques majeures sont là. À l’image de toutes les crises politiques majeures qui ont secoué le monde ces dernières années.»

À mon besoin d’en savoir plus sur la dimension sociale dans la contestation syrienne, C. K. a ouvert une parenthèse pour parler de révolte de la paysannerie. C’est ce qui, sans doute, expliquait que, dans une logique de classes sociales, la bourgeoisie sunnite ait soutenu le régime ? ai-je pensé. (À suivre)

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En évoquant hier la révolte de la paysannerie syrienne citée par C. K., je m’étais demandé si cela n’entrait pas dans une logique de classes sociales avec une bourgeoisie alliée au pouvoir. «Oui», m’a-t-il répondu. «Parce que c’est cette même bourgeoisie qui a profité de la libéralisation quelque peu sauvage et désordonnée de ces dernières années. Pendant que le système agricole en Syrie faisait les frais de cette dérégulation. La sécheresse a fait de gros dégâts dans le monde paysan… Alors que la réforme agraire était l’une des principales réalisations du parti Baath. La révolte a été encouragée et récupérée dès les premiers instants.» Quels étaient donc ces ingrédients en faveur de la révolte qui étaient réunis ? Cela faisait un pluriel inquiétant. «Social, économique, politique, y compris les exactions par certains appareils de sécurité…Tout ! Absolument tout, était réuni. le chômage, la misère, les inégalités sociales, le mépris, la répression…», m’ont répondu en chœur les deux confrères. La discussion devenait réellement passionnante !

«Vous savez, il y a un philosophe et dramaturge français, Alain Badiou, qui s’est beaucoup impliqué dans la défense des sans-papiers et autres travailleurs clandestins. Il dit par exemple que ce n’est pas parce qu’il y a une révolte sociale que cette révolte va, nécessairement, aboutir à quelque chose de positif. Une révolte peut être détournée, récupérée…» Ils en avaient, affirmaient-ils, un exemple très clair. La seconde chose à laquelle Marwan avait auparavant fait allusion avait trait au fait qu’au départ, la contestation était disparate, pas coordonnée. Mais très vite, des structures organisées, à l’extérieur de la Syrie, en Europe et au Liban, avaient tenté d’apporter une certaine cohérence à l’insurrection en lui donnant une orientation. «Comme les feuilles de route, derrière lesquelles on devinait les objectifs, étaient nombreuses, la cacophonie s’est amplifiée et a aggravé la situation.

Les mots d’ordre et les objectifs se sont multipliés et avec eux on est passé de revendications ponctuelles et locales à des revendications d’ordre général.»

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La révolte, désordonnée au départ, qui s’est structurée grâce à une assistance extérieure, n’excluait pas le fait que les revendications étaient légitimes. Et beaucoup d’entre elles gardaient, malgré la situation chaotique, toute leur légitimité. «Ah ! mais j’approuve tout à fait ce que vous défendez. Au contraire. Mais là où je trouve que l’analyse devient intéressante, c’est lorsqu’elle s’oriente vers toutes ces revendications qui passent, très vite, d’un cadre local où l’on réclame des réformes, à un discours prônant un renversement de régime.» Là où Marwan se montrait intraitable, c’était sur le fait que l’on s’était mis à en appeler à une intervention étrangère pour destituer Bachar Al- Assad. Que le régime soit autoritaire ou pas ne changeait rien au climat qui régnait dans la région. Il y avait eu l’exemple libyen et tout le monde rêvait d’une réédition de ce modèle. On a pensé que l’affaire ne prendrait pas plus de deux mois. «D’une part, les choses ne se sont pas passées comme prévu et d’autre part, la révolte populaire était à l’origine majoritairement pacifique. Mais, très vite, on a constaté, çà et là, un début de clashs armés avec les forces de l’ordre.»

En citant quelques exemples précis, on m’a expliqué que le but des clashs armés «face à un appareil sécuritaire syrien dysfonctionnel, gangréné par la corruption et qui avait tous les problèmes du monde à réagir de façon sereine et organisée, était de le provoquer de façon à aggraver le caractère violent de la riposte». Cette dernière était-elle censée justifier la radicalisation de la colère, l’aggravation de l’état insurrectionnel et pourquoi pas préparer le terrain et ouvrir la voie à une ingérence étrangère ? «On tirait sur les forces de l’ordre, la logique voulant qu’ils réagissent en mitraillant les protestataires. Mais si, parallèlement, on allait sur le terrain pour enquêter sur les raisons qui avaient poussé la situation à dégénérer, à tel endroit et à tel autre, on découvrait vite qu’il y avait eu des convergences inédites d’intérêts entre les acteurs ayant joué un rôle dans les faits incriminés.

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Soyons clairs ! À aucun moment je n’ai pensé que Marwan C. et C. K., mes confrères libanais, étaient des supplétifs de l’armée syrienne. J’ai appris à leurs côtés à mieux appréhender la réalité syrienne, tandis que les médias occidentaux en disaient pis que pendre. D’un côté, il y avait, selon l’expert en relations internationales, des chefs locaux de renseignement, corrompus jusqu’à la moelle, qui ne voulaient pas des réformes envisagées et qui, dans leur résistance au changement, allaient, dès le départ, pousser les gens à bout et jouer à fond la carte d’une confrontation violente pour empêcher lesdites réformes et, de l’autre, il y avait ceux qu’il qualifiait d’avortons d’Al Qaïda et autres califes en herbe, téléguidés par les services jordaniens, turcs, saoudiens, etc. Marwan, expert en terrorisme international, parlait d’un travail fait en amont. Je pensais qu’il faisait allusion aux réseaux islamistes. Mais non, pas seulement. Parce que sur le théâtre des opérations ou en soutien aux intervenants se bousculait une nuée de courants très différents les uns des autres. Le travail en amont aurait été fait notamment par les services saoudiens, turcs, etc. qui disposaient, en Syrie, de relais, d’éléments avec lesquels ils avaient tissé des liens étroits. Une fois la crise déclenchée, ce sont ces forces-là qui seraient entrées en action et auraient poussé à la confrontation armée et au pourrissement.

«Si on revenait, aujourd’hui, sur le scénario libyen, reprend C. K., il ne serait désormais plus question de révélations fumeuses provenant d’un quelconque sombre site en France ou ailleurs. Des livres ont été écrits sur l’histoire de la pseudo-révolution libyenne où on reconnaît que, très vite, les forces spéciales qataries et jordaniennes étaient sur le terrain et dans lesquels il est relaté comment les armes ont été acheminées d’un point à l’autre.» Il est vrai qu’à l’exception de quelques voix qui continuent à marteler que le ras-le-bol était sincère et justifié, plus personne n’ignore que cette révolution libyenne a été, dans la réalité, très largement construite à l’extérieur.

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La majorité des intervenants n’évoquent que le récent drame qui a endeuillé la Turquie. La Syrie ? Du bout des lèvres. Puisque cette dernière n’est toujours pas libérée de l’autorité de Bachar Al-Assad, pourquoi s’en faire pour les siens? Des tragédies, comme celle que viennent de connaître les Syriens, réveillent inévitablement les drames antérieurs que les victimes aimeraient pouvoir oublier. On dit, sournoisement, de la zone touchée par le séisme qu’elle est occupée par des populations hostiles au régime de Damas. Ce qui expliquerait qu’elles n’aient pas été secourues par ce dernier. L’excuse toute trouvée par un Occident plutôt occupé à faire tourner ses usines d’armement en faveur de l’Ukraine relève d’une mauvaise foi désormais familière pour tout observateur averti. Plus on passe sous silence l’urgence des besoins syriens, plus les échecs enregistrés par les va-t-en guerre dans les pays arabes réveillent une mémoire que les calculs européens aimeraient enterrer jusqu’à la prochaine offensive. Je racontais hier comment, durant la guerre en Syrie, on avait très vite affiché sa volonté de pousser à une confrontation armée. En déroulant, pour les besoins de mon reportage, les étapes par lesquelles la Syrie, sous agression, était passée, mes confrères libanais Marwan C. et C. K. ont tenu à préciser qu’il n’était absolument pas dans leurs intentions de dédouaner le régime syrien. «Je ne suis pas copain avec Bachar Al-Assad mais je n’irai pas, non plus, contre la réalité des faits», précise Marwan. Et la réalité des faits, selon lui, exigeait que l’on se souvienne que, bien avant le soulèvement populaire, le régime syrien était engagé dans un sérieux bras de fer politique avec des acteurs régionaux importants comme les Saoudiens, les Jordaniens, les Israéliens, etc. Beaucoup d’entre ces derniers auraient considéré que le nouveau contexte leur offrait une opportunité historique de se débarrasser de lui. Ils auraient, alors, poussé à l’exacerbation du conflit dans l’optique, une fois que les choses commenceraient à dégénérer, d’en appeler à une intervention internationale comme en Libye.

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Lorsqu’un pays complote contre un autre, il oublie dans ses calculs de compter avec les alliés de ce dernier. Dans le cas syrien, l’ennemi a fait l’impasse sur l’intransigeance des positions russe et chinoise et la mise en garde iranienne. «Alors que l’intervention extérieure ne semblait plus un scénario envisageable, il a fallu réfléchir à d’autres moyens d’abattre le régime syrien», m’expliquèrent mes deux confrères. Quels pouvaient donc être ces instruments ? Au bout d’un certain temps de confrontation sur le terrain, des scissions dans l’armée syrienne ont été enregistrées. Mais rien de bien significatif. Il y a eu aussi quelques groupes locaux qui ont fait leur apparition. Peu efficaces. Le régime les balayait d’un revers de main à chaque affrontement. Face à tous ces ratages, on s’est dit que des gens plus sérieux, plus aguerris devaient entrer en scène et jouer un rôle direct dans la fragilisation de l’armure. Daech, Al Nosra et tous leurs supplétifs ? Oui ! Sauf que Daech ou Al Nosra n’étaient pas de simples pantins dans l’affaire. Ils avaient leurs propres agendas. Leur logique à eux !

D’où la question qui revenait sur toutes les lèvres depuis qu’ils étaient apparus sur la scène publique. S’ils n’étaient ni une création de la CIA ni celle des services secrets arabes, d’où sortaient-ils ? Marwan, qui maîtrisait la question à la perfection, prit la parole avec une pédagogie déconcertante.
«Si l’on revenait, historiquement parlant, aux sources du djihadisme, une chose que beaucoup de chercheurs notent sans tirer les conclusions qui s’imposent, c’est la question relative à la naissance du djihadisme islamiste. L’idée est née en prison. Et le premier à avoir théorisé le fait de jeter l’anathème sur le pouvoir pour ensuite le renverser par la violence, c’est Sayed Qotb, l’idéologue des Frères musulmans qui, à partir de la prison où il était incarcéré, prônait un djihad sanglant contre les ennemis de la Oumma El Islamiya et donc contre Allah son Tout-Puissant Promoteur.»

Les minutes s’écoulent et Marwan est intarissable sur le sujet. Son exposé à ma seule intention est passionnant.

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Du séisme qui a gravement endeuillé la Syrie, à l’aide internationale frileuse, aux tentatives internes et externes, ratées, de déposer Bachar Al-Assad, à la naissance de Daesh, d’Al Nosra et autres groupuscules payés pour déstabiliser le régime, à la naissance du terrorisme islamiste, avec mes deux confrères libanais, tout y est passé. J’ai déjà raconté comment, dans le café Costa où nous nous trouvions, Marwan avait commencé à développer la question relative à la naissance, en prison, du djihadisme islamiste avec un Sayed Qotb qui y prônait le djihad. Arrivent, ensuite, selon lui, «les premiers djihadistes égyptiens qui vont, en s’inspirant de lui, élaborer leurs propres thèses sur la question. les premiers Frères musulmans qui vont évoluer vers le djihadisme commencent par élaborer leur thèse sur le djihad, l’action armée et tout ce qui va avec. Ils vont procéder à un amalgame idéologique entre le salafisme, les thèses de Qotb et d’autres thèses empruntées à divers courants politiques. Ceux qui connaissent les prisons et surtout les prisons politiques savent combien la relation entre geôliers, services et prisonniers est étroite. Ce n’est pas un hasard si tous les groupes qui ont commencé à agir sur le terrain, en Égypte, dans les années 70, étaient infiltrés jusqu’à la moelle». Vient ensuite la question de la manipulation de ceux que l’on appelle plus aisément aujourd’hui «terroristes islamistes». Que la manipulation vise les personnes individuellement ou les groupes. Lorsqu’on leur proposait de les libérer contre un aller pour Kaboul, même si cela apparaissait plus comme un deal entre le prisonnier et son geôlier, il n’en demeure pas moins que la manœuvre était bel et bien là !

«Évidemment qu’elle était là, la manœuvre ! Mais il ne faut pas croire que les islamistes égyptiens étaient dupes au moment où le deal se concluait. les premiers qui sont partis en Afghanistan, on l’a dit, ce sont les Égyptiens», intervient C.K. ! Comme cela ne suffisait pas à ce que je comptais publier, j’ai demandé que l’on étende la discussion aux départs pour le «djihad» en Afghanistan.

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Passer du statut de prisonniers à celui de djihadistes venus aider les frères afghans à triompher de l’ennemi soviétique n’était pas censé transformer les troupes en chair à canon. Les tout premiers à être allés, en 1983, rejoindre les Ben Laden et Cheikh Abdallah Azem avaient compté parmi eux Ahmed Chawki el Istanbouli, le frère de Khaled El Istanbouli, l’homme qui a tué Sadate. Ce dernier avait, dans un entretien paru dans le magazine El Watan el Arabi, reconnu que les services généraux égyptiens étaient venus le voir en prison, en 1983, pour passer un contrat avec lui. Ils étaient prêts à le libérer si, en contrepartie, il acceptait d’aller se battre contre les Soviétiques en Afghanistan. «Une fois sur le champ de bataille afghan, les ex-prisonniers ont eu le soutien nécessaire à leurs actions. L’entraînement et l’acheminement des armes ont été en grande partie assurés par les services, notamment égyptiens. Plus tard, lorsqu’ils sont allés prêter main-forte en Bosnie, le seul point de passage pour y accéder était l’aéroport de Zaghreb, contrôlé par les services occidentaux. «Tous ces exaltés qui arrivaient barbus, dangereux, terrifiants, entraient normalement. Personne n’était dupe des intentions occidentales. Il y avait l une volonté de les canaliser. Et eux ont accepté de jouer le jeu ! Ils se sont dit qu’ils allaient faire la guerre. Et qu’une fois sur place et une fois bien entraînés et renforcés, ils s’autonomiseraient» !
D’où le 11 septembre ! «Oui ! D’où le 11 septembre ! Le monstre a pris son envol et frappé sans état d’âme !»

Je me suis, dès lors, demandé si un scénario identique n’était pas en train de se jouer en Syrie. La comparaison valait la peine d’être faite. Des milliers de combattants arrivaient de partout à travers le monde et passaient tous ou en grande partie par la Turquie. Des prisonniers saoudiens étaient libérés du jour au lendemain et arrivaient en Turquie comme des combattants libyens, etc. Tous ont été encouragés à partir et on leur a facilité le départ. De généreux donateurs payaient les billets et finançaient tout le reste.

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Des généreux donateurs, il y en aura toujours qui se bousculeront dans pareil cas ! Une fois la manipulation réussie, on paye les billets d’avion, les armes, les entraînements… Des budgets conséquents sont exclusivement réservés pour nourrir l’ennemi. La question qui revenait sur toutes les lèvres concernait la Turquie ! D’aucuns affirmaient qu’Ankara fonctionnait en harmonie avec les services étrangers qui, pourtant, n’appréciaient pas que ses frontières avec la Syrie soient aussi poreuses. Mais la Turquie ne le faisait pas pour rendre service aux Américains, aux Saoudiens ou aux Français. Elle le faisait pour elle-même. «Ankara voulait renverser Assad et pour y arriver, il n’y avait pas trente-six mille solutions. La Turquie persistait à croire qu’elle était la puissance régionale la plus influente en Syrie. Elle entretenait des relations historiques, économiques, sociales avec le Nord, avec Alep, avec des segments importants de la bourgeoisie.» Autrement dit, Si Assad était déposé, l’influence turque en Syrie se renforcerait considérablement. Restait à définir la meilleure manière d’opérer pour triompher enfin de son sérieux rival dans la région. Intervenir militairement en envoyant sur place l’armée turque ? Marwan, rompu aux stratégies des uns et des autres au Moyen-Orient, fit un «non» de la tête. «Je ne pense pas. Les alliés de Bachar Al-Assad lui en feraient voir de toutes les couleurs. Imaginez les effets dévastateurs d’une guérilla turque ? Ils ont donc préféré instrumentaliser les djihadistes, en attendant de trouver la solution pour une action d’envergure. Dans l’entretemps, on a fermé le yeux sur tous les terroristes qui passaient par la Turquie pour aller combattre en Syrie.» Le calcul le plus rentable, pour Ankara, était de canaliser les flux, même si, selon mes confrères libanais, beaucoup d’intervenants occidentaux et régionaux hésitaient face à ce genre de stratégie. Beaucoup craignaieant qu’une fois sur le terrain, ces forces deviennent hégémoniques, s’autonomisent et finissent par poser problème… Les Turcs ont préféré prendre le risque plutôt que ne rien faire.

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