Staffan de Mistura, l’ex-médiateur de l’ONU en Syrie qui ne voulait plus serrer la main de Bachar el-Assad

L’ambassadeur est revenu mardi à Londres sur ses années comme envoyé de l’ONU en Syrie entre 2014 et 2018. Il a expliqué les raisons de son départ et s’est montré confiant sur l’avenir de la Syrie.

Par Stanislas Poyet

Voilà un an que Staffan de Mistura a quitté son poste d’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Depuis, il n’était jamais revenu publiquement sur ses quatre années passées à jouer les intermédiaires dans un conflit qui a fait plus de 370.000 morts.

Au centre Aga Khan, à Londres, le diplomate italo-suédois s’est expliqué mardi 5 novembre sur les raisons de son départ. «Pourquoi suis-je parti l’année dernière?, se demande-t-il devant l’assemblée. Et bien, officiellement pour des raisons personnelles. Officieusement, parce que je sentais que la guerre touchait territorialement à sa fin, et ayant combattu contre ce qui s’était passé à Alep, à Idlib, à Daraya, je ne pouvais pas être celui qui serre la main d’Assad en disant “malesh” [“ce n’est pas grave” en arabe]».

Pourtant, Staffan de Mistura s’est toujours revendiqué d’un réalisme politique. Il discutait avec toutes les factions en présence. Le médiateur de l’ONU a toujours eu à cœur de maintenir Bachar el-Assad dans le jeu des négociations. En 2015, un an après sa nomination il assure qu’«Assad fait partie de la solution», et il a depuis toujours cherché à ménager le régime pour en obtenir des concessions, un ménagement que certains ont lu comme de la complaisance.

Devant son auditoire Staffan de Mistura a aussi défendu son bilan. L’intervention humanitaire de l’ONU et ses dénonciations des crimes de guerre auraient, estime-t-il, sauvé quelque 700.000 vies. Ces prises de position lui ont coûté sa marge de manœuvre, argue l’ancien médiateur, pour qui dénoncer les crimes de guerre ne fait pas parti du «manuel du parfait négociateur». Mais Staffan de Mistura affirme ne rien regretter de ses prises de position, bien qu’elles aient «réduit son espace de négociation».

« Je ne pouvais pas être celui qui serre la main d’Assad en disant “malesh” [“ce n’est pas grave“ en arabe] »

Staffan de Mistura
Incorrigible optimiste

Devant le parterre de l’Aga Khan, le diplomate qui s’était décrit lui-même en 2015 comme souffrant «d’une terrible maladie chronique, celle de l’optimisme», s’est montré confiant pour l’avenir de la Syrie. Lui qui avait été le spectateur impuissant de l’intervention de la Russie aux côtés du régime syrien en 2015, affirme que la Russie souhaite un traité de paix. «La Russie n’a aucun intérêt, aucune volonté, aucune capacité à reconstruire la Syrie, explique-t-il. Elle n’a aucune intention, si elle est intelligente, de rester seule avec entre les mains la chandelle qui, une fois consommée, lui brûlera les mains. Elle préférera la transmettre à l’Europe qui pourra alors contribuer à la reconstruction».

Staffan de Mistura révèle même qu’un accord entre la Russie et les États-Unis avait été conclu en 2016, les premiers promettant de maintenir au sol les avions syriens, les seconds de faire pression sur l’opposition pour évincer le Front Al-Nosra, l’ancienne branche syrienne d’Al-Quaïda, aujourd’hui connue sous le nom d’Hayat Tahrir al-Sham. «Les Russes voulaient un accord parce qu’il craignait qu’Hillary Clinton ne devienne présidente et inaugure une politique plus musclée», poursuit-il. Mais l’accord a tourné court lorsqu’un convoi de l’ONU a été bombardé la même année, et que les regards accusateurs se tournaient vers la Russie.

Même la situation des Kurdes syriens n’échappe pas à son optimisme. Alors que les forces des YPG – les milices kurdes de Syrie – font face à une offensive turque de grande ampleur, Staffan de Mistura professe sa foi que la Russie exigera des Syriens qu’ils maintiennent l’autonomie du Rojava. En attendant, Damas réinvesti les zones kurdes, et la semaine dernière, les premiers échanges de tirs ont opposé l’armée syrienne aux forces turques.

Le Figaro, 6 nov 2019

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