Tchad : la France ne pourra plus sauver le soldat Déby

À peine réélu pour un sixième mandat, Idriss Déby Itno s’est éteint suite à des blessures de guerre. Dictateur rusé et retors, le président tchadien aura pu compter pendant de nombreuses années sur le soutien sans faille de la France, qui lui a sauvé la mise à plusieurs reprises, et ce en dépit de la disparition d’opposants et de sa gestion clanique du pouvoir.

Son sixième mandat à la tête du Tchad n’aura donc duré qu’une petite semaine. Réélu président de la République le 11 avril dernier à l’issue d’un scrutin aussi peu crédible que les précédents, chef suprême des armées proclamé maréchal au mois d’août dernier – le jour même du soixantième anniversaire du pays – Idriss Déby est mort en guerrier a indiqué ce mardi 20 avril l’armée à la télévision d’Etat. Chef d’État, il le fut très peu.

Arrivé au pouvoir par les armes en 1990 en chassant son ex-allié Hissène Habré, ce militaire né dans une famille de bergers, et formé en partie en France, n’aura cessé trente ans durant de combattre sur tous les fronts. Contre divers groupes rebelles du nord du pays, opposés au pouvoir central, jamais domptés et réfugiés notamment en Libye. Contre les djihadistes nigérians de Boko Haram et, aux côtés de la France, dans le cadre du G5 Sahel, contre ceux d’Al-Qaïda ou de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) présents au Mali, au Niger ou au Burkina Faso.

SOUTIEN INDÉFECTIBLE DE LA FRANCE

Enfin, à l’intérieur même des frontières nationales, contre tous ceux, opposants politiques ou membres de la « société civile » contestant un peu trop ouvertement sa conception très clanique sinon ethnique du pouvoir. Dans une des nombreuses vidéos où il aimait à se mettre en scène en défenseur intransigeant de l’intégrité du territoire, Idriss Déby disait préférer mourir au combat plutôt que de voir « le désordre s’installer ».

À plusieurs reprises, il a pu compter sur le soutien indéfectible de la France, acteur omniprésent au Tchad, plus que partout ailleurs, depuis l’indépendance, et notamment sur le plan militaire. Aux côtés d’Hissène Habré pour repousser les forces libyennes de Mouammar Kadhafi et une partie des rebelles du Nord, Paris misera tout sur Déby en 1990 pour se débarrasser du premier, devenu persona non grata et présenté, à juste titre, comme responsable de liquidations en masse et de crimes de guerre. Crimes pour lesquels il a été jugé au Sénégal où il s’était réfugié.

ATTITUDE « AMBIGUË, VOIRE COMPLICE » DE PARIS

En la matière, Idriss Déby lui n’a jamais été inquiété. Ancien délégué à l’Afrique du Parti socialiste, Guy Labertit le tient pourtant pour responsable, entre autres méfaits, de la disparition d’un ami en 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, un ancien ministre de Déby devenu la figure de proue de toute l’opposition tchadienne. « L’attitude de la France a été pour le moins ambiguë, sinon complice », estime-t-il, joint par Marianne. Cette même année 2008, les forces rebelles, conduites à l’époque par Mahamat Nouri et Timane Erdimi, et appuyées par Khartoum, étaient parvenus à entrer dans N’Djamena, la capitale, quasiment jusqu’au palais présidentiel, le Palais Rose.

Une fois encore, Déby sauvera sa peau et son régime. En partie grâce à l’intervention des militaires plus que des politiques français. « En réalité, estime Guy Labertit, Nicolas Sarkozy, je pense, était prêt à le laisser tomber. » L’ancien président souhaite alors concrétiser sa volonté affichée de redéfinir les relations entre Paris et ses partenaires en Afrique francophone. Il n’en sera rien. Et surtout pas au Tchad, véritable « porte-avions » de la France sur le continent.

DICTATEUR CAPRICIEUX ET MADRÉ

Ainsi, depuis qu’elle a succédé à Serval, l’opération Barkhane a son QG à N’Djamena. Dédiés théoriquement à la lutte exclusive contre les groupes djihadistes, des Mirage 2000 auraient ainsi procédé en février dernier à la « neutralisation » d’une colonne de rebelles dans la zone d’Amdjarass, à un millier de kilomètres au nord-est de N’Djamena. Ce qui n’a pas empêché ces mêmes rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) de repartir à l’offensive de plus belle lors des dernières semaines.

Les combats au cours desquels Déby et plusieurs généraux ont perdu la vie se situaient à 400 kilomètres de la capitale. « S’il a cru bon d’y participer en personne, c’est que le danger est devenu sérieux », assure un bon connaisseur du régime. Dictateur capricieux et madré, Déby savait se faire désirer, lui et surtout ses militaires d’élite, réputés les meilleurs et les plus aguerris de la région. Sans leur appui, déjà critiquée pour sa durée et des résultats en trompe-l’œil, Barkhane risque de sérieusement tanguer. Au point de révisions déchirantes ?

CE QUI RESSEMBLE FORT À UN COUP D’ÉTAT…

Pour l’heure, un des fils du défunt, Mahamat Idriss Déby Itno, un général quatre étoiles de 38 ans, a pris la tête d’un conseil militaire chargé de la transition, en violation flagrante de la Constitution, l’intérim devant être normalement assumé par le président de l’Assemblée nationale. « La France va-t-elle valider ce qui ressemble fort à un coup d’État ? » interroge Guy Labertit avant d’ajouter : « Pour ce qui concerne le Tchad, les militaires ont toujours pris le pas sur les diplomates ».

L’heure de la rupture a peut-être sonné. Elle se ferait, il est vrai, dans les pires conditions. Loin de désarmer, et malgré de réelles pertes, les franchises djihadistes multiplient les attaques et les soldats tchadiens ne sont d’ailleurs pas les derniers à en payer le prix. En Centrafrique et ailleurs, la Russie pousse ses pions. Et pour l’heure, l’administration Biden n’a pas encore défini clairement sa « politique africaine ». « Jean-Yves Le Drian se soucie à juste titre de tous ces facteurs, conclut Guy Labertit, mais la question de la démocratie au Tchad vaut peut-être qu’on s’en préoccupe aussi un peu. »

Marianne, 20 avr 2021

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