Les sept vies tangéroises de la mythique Villa Harris finissent dans un musée

Javier Otazu

Tanger (Maroc), 16 mars (EFE) – La légendaire Villa Harris, qui était la résidence à Tanger du journaliste, espion et aventurier britannique Walter Harris au début du vingtième siècle, a ouvert aujourd’hui une nouvelle vie en tant que musée après des décennies de délabrement et de négligence au cours desquelles elle est devenue un casino et une station touristique.

La Villa Harris passe maintenant à la Fondation nationale des musées (FNM) et commence sa collection par une donation impressionnante de 200 œuvres du mécène local Khalil Belguench. On y trouve des œuvres d’éminents orientalistes européens et le meilleur des peintres marocains contemporains.

« Nous voulons aller au-delà du tourisme thermal et attirer un tourisme culturel qui vient voir ce qu’il ne trouvera pas ailleurs », a déclaré à Efe le directeur du FNM, Mehdi Qotbi, avant de rappeler que le Maroc a maintenu ouvert tout son réseau de musées malgré les restrictions de la pandémie de coronavirus.

Le musée sera ouvert au public dès demain, avec des journées gratuites pour les étudiants ou pour le public marocain en général et avec un système de prix abordables, a déclaré M. Qotbi, qui a dirigé l’ouverture de musées dans tout le pays ces dernières années.

SYMBOLE DE L’HÉRITAGE COLONIAL

Pendant des années, la Villa Harris a sombré dans l’oubli, ses jardins servant de pâturage aux chèvres et aux moutons qui parcouraient les plusieurs hectares de jardins abandonnés, triste témoin d’un Tanger colonial avec lequel le Maroc a mis du temps à se réconcilier.

La Villa Harris est l’exemple parfait de l’arrogance coloniale : il est surprenant qu’un simple journaliste, tout correspondant qu’il était du Times de Londres, ait pu accumuler une telle richesse qu’il a pu construire à partir de rien un palais entouré de plusieurs hectares de jardins avec des espèces rares de plantes exotiques.

Le palais de Harris, construit dans un style néo-mauresque très en vogue au début du XXe siècle, rivalisait avec les puissants consulats des grandes nations ayant des intérêts à Tanger : l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Italie et les États-Unis, principalement, qui conservent encore des vestiges de cette splendeur dans la ville.

Les consulats de Tanger sont restés aux mains de ces États, mais les demeures de leurs industriels, de leurs militaires ou de leurs espions sont systématiquement passées aux mains de propriétaires locaux qui leur ont donné les usages les plus variés.

La Villa Harris est le miroir de ces vicissitudes : lorsque le journaliste a fait faillite, il a vendu son manoir au potentat espagnol Onofre Zapata, qui l’a transformé en casino, mais le casino a lui aussi disparu en 1940, puis c’est le Club Med français qui l’a racheté en 1971 pour y installer l’un de ses complexes de vacances les plus populaires, avant le déclin de la chaîne française.

UNE VIE DE ROMAN

La vie de Walter Harris (1866-1933) pourrait faire l’objet d’un film ou d’une série entière, si seulement la moitié de ce qu’il raconte dans son livre de mémoires « Le Maroc d’avant », qui relate ses trente années de vie dans ce pays, était vrai.

Harris est arrivé à Tanger au début du 20e siècle, alors que les puissances européennes se disputaient la carte de l’Afrique et du Maroc ; des ambitions auxquelles la ville de Tanger elle-même n’a pas échappé, à tel point que la ville a adopté un « statut international » avec l’établissement du protectorat franco-espagnol entre 1912 et 1956.

Harris était théoriquement le correspondant du Times, mais jamais un journaliste n’avait accumulé autant de pouvoir et d’influence : son manoir était fréquenté par des sultans, des consuls, des colonels, des espions et des millionnaires, grâce surtout à son don pour les gens et les langues.

Le Britannique parle arabe comme les locaux et, lorsqu’il veut voyager discrètement à l’intérieur du pays, il s’habille d’une djellaba et se rase la tête, à l’exception d’une longue tresse à la mode rifaine.

Il a également été le premier otage du bandit Ahmed Raisuni, le « seigneur des montagnes », qui était alors le fléau des Espagnols, et on dit qu’ils sont sortis de l’enlèvement en tant qu’amis, puis que Harris a servi d’intermédiaire avec Raisuni lorsque celui-ci a professionnalisé son industrie du kidnapping.

Car ce que Harris aimait le plus, c’était les intrigues, les pactes et les trahisons, et il se vantait d’être devenu le conseiller et l’ami des deux sultans marocains qu’il avait rencontrés : Mulay Abdelaziz et Mulay Hafid, auxquels il parlait – disait-il – avec une franchise que personne n’avait jamais osé avoir avec eux.

Il raconte également qu’il a été le premier Européen à refuser de s’agenouiller devant le sultan et à poser son front sur le sol.

Dans ses mémoires, il raconte constamment que les sultans lui ont témoigné toute sorte de déférence et que des puissances comme la France, l’Espagne et les États-Unis lui ont également été reconnaissantes pour ses services, mais il se plaint amèrement que son propre gouvernement, le britannique, a été le plus avare de tous, tant en argent qu’en paroles, à son égard.

Les mémoires de Harris sont une succession d’aventures et d’anecdotes croustillantes, toujours parsemées de commentaires égocentriques sur son intelligence, sa perspicacité et son courage, qui laissent penser qu’il était un personnage difficile à contrôler, même pour son gouvernement.

À sa mort, ruinée, il a demandé à être enterré dans le petit cimetière de l’église anglicane de Saint-André à Tanger, à côté de ses compatriotes. Sur sa tombe, on peut encore lire : « Il aimait le peuple maure et était son ami ». EFE

Swissinfo, 16 mars 2021

Tags : Tanger, Villa Harris, Walter Harris,

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