Opération militaire à El Guerguarat: Le Maroc déclare la guerre au Polisario

par Ghania Oukazi

Le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et secrétaire général du Front Polisario a saisi, hier, le secrétaire général de l’ONU et le Conseil de sécurité pour attirer leur attention sur « les répercussions de l’attaque agressive lancée par les forces armées marocaines contre des civils sahraouis non armés qui manifestaient pacifiquement près de la brèche illégale d’El Guerguarat, au sud-ouest du Sahara occidental ».
La lettre de Ibrahim Ghali est frappée du sceau de l’urgence après que « des agents marocains armés » eurent tiré sur des manifestants pacifiques violant ainsi un accord de cessez-le-feu datant de 1991. Par son agression armée à El Guerguarat, le Maroc vient de faire voler en éclats l’ensemble des règlements et accords politiques onusiens et internationaux qui codifient les usages entre deux pays en conflit et en situation de cessez-le-feu. Le royaume justifie son intervention militaire en affirmant par la voix de son ministre des Affaires étrangères qu’il fallait « mettre un terme à la situation de blocage au poste frontière d’El Guerguarat ». Poste bloqué par les Sahraouis depuis le 21 octobre parce qu’ils refusent que le Maroc l’emprunte pour faire passer ses marchandises et celles d’autres pays vers la Mauritanie et l’Afrique subsaharienne. Nasser Bourita a déclaré à ce propos à l’AFP que «ce n’est pas une action offensive mais c’est une action de fermeté par rapport à cette situation qui est inacceptable». Le MAE sahraoui a répondu que « c’est une agression ». Le gouvernement de la RASD a rendu public hier un communiqué dans lequel il affirme que »Vendredi, le 13 novembre 2020, aux premières heures de l’aube, l’Etat d’occupation marocain a fait une annonce de violation du cessez-le-feu à travers l’intrusion d’un groupe d’agents en civil pour attaquer les civils sahraouis qui manifestaient pacifiquement devant la brèche illégale d’El Guerguarat», Il a en outre déclaré que « le Maroc a procédé, en même temps, à un acte plus dangereux en laissant ses forces armées s’introduire dans l’autre côté du mur de l’humiliation et de la honte près de la brèche pour encercler la zone ». En réaction à cet acte «méprisable et désespéré», les forces de l’Armée populaire de libération sahraouie ont riposté aux troupes marocaines, tandis que les militants sahraouis ont affronté courageusement les «Baltaguia» (voyous) auxquels l’occupant marocain a fait appel», est-il noté.
« C’est la guerre ! »
«En fin de compte, les batailles ont commencé et la guerre imposée à notre peuple a éclaté, et avec elle nous sommes entrés dans une nouvelle étape décisive dans la lutte de notre peuple fier, défendant son droit légitime à la liberté, à la dignité et à la souveraineté», est-il ajouté. « Le Front Polisario appelle l’ensemble du peuple sahraoui à se dresser comme un seul homme avec fermeté et courage pour riposter à une éventuelle agression brutale et à achever la libération de la partie occupée avec tout ce que cela implique comme sacrifices », conclut le communiqué du gouvernement de la RASD. L’agence française de presse a souligné que « Nouakchott a annoncé mercredi que l’armée mauritanienne avait renforcé ses positions à la frontière avec le Sahara occidental «pour parer à toute éventualité». Elle a repris un haut responsable du MAE marocain qui lui a affirmé que « l’ONU, la Mauritanie et d’autres pays impliqués dans le dossier ont été prévenus de l’opération destinée à mettre un terme à la situation de blocage et restaurer la libre circulation civile et commerciale sur cet axe routier ». 
Selon cette même source, l’AFP indique qu’ « il y a 108 routiers bloqués côté mauritanien et 78 de l’autre côté de la frontière, avec des véhicules de différentes origines, Maroc, Mauritanie ou France ». Forte du soutien de puissants pays occidentaux et arabes à son plan d’autonomie pour le Sahara Occidental, le Maroc s’est toujours accaparé les territoires, ressources et richesses de cette région au vu (en présence des observateurs de la MINURSO) et au su des institutions internationales censées défendre les droits des peuples opprimés. La communauté occidentale ferme les yeux et reste sourde depuis longtemps aux appels du Front Polisario pour la consécration de l’indépendance du Sahara Occidental, dernière colonie dans le Continent africain. Il semble que depuis que des Etats arabes du Golfe ont ouvert des représentations diplomatiques à Dakhla, la demande d’un référendum d’autodétermination par la RASD est définitivement enterrée. 
Le Royaume marocain vient d’amorcer ainsi un dangereux virage dans le conflit qui l’oppose depuis une cinquantaine d’années au Front Polisario. Tous les indices montraient que les tensions entre les deux parties, notamment après l’ouverture illégale par le Maroc de trois nouvelles brèches dans le mur de sable en violation du cessez-le-feu décrété en 91 sous l’égide des Nations unies, allaient pousser à l’affrontement armé. Il n’est pas attendu du SG de l’ONU, Antonio Guterres, ni de la Représentante permanente auprès des Nations unies, Rhonda King, qui assure la présidence tournante du Conseil de sécurité, une réaction urgente et appropriée à la mesure de la missive urgente du président sahraoui faisant état de l’attaque militaire marocaine contre des manifestants pacifiques au niveau d’El Guerguarat. La Communauté internationale a toujours traîné le pas pour éviter de condamner officiellement les exactions marocaines contre le peuple sahraoui. Il faut avouer que le veto américain et français a toujours été brandi pour protéger le royaume. Bien que les forces militaires soient totalement déséquilibrées entre le Maroc et le Front Polisario, ce dernier jure par la voix de ses dirigeants politiques et militaires qu’il est prêt à reprendre les armes pour sauvegarder sa dignité. «La guerre a commencé. Le Maroc a liquidé le cessez-le feu», a déclaré hier à l’AFP le chef de la diplomatie de la République sahraouie, Mohamed Salem Ould Salek, après l’attaque de l’armée marocaine à El Guerguarat.
La légitime défense
« Les troupes sahraouies se retrouvent en situation de légitime défense et répliquent aux troupes marocaines qui essaient de continuer leur marche en dehors du mur de défense qui constitue la ligne de démarcation », a déclaré à l’agence le MAE sahraoui, interrogé par téléphone depuis Alger.
Le mur de défense construit par le Maroc, qui sert de ligne de démarcation, écrit-elle, sépare les belligérants sahraouis et marocains depuis l’accord de paix de 1991.
Ce mur est bordé de chaque côté par une zone tampon de cinq kilomètres de large sous la responsabilité de l’ONU ». Elle rapporte que «le Polisario avait averti dès lundi «que l’entrée de tout élément militaire, sécuritaire ou civil marocain à Guerguarat, qui borde une zone tampon contrôlée par les Casques bleus de la Mission des Nations unies au Sahara occidental (Minurso), serait considérée comme une agression flagrante, à laquelle la partie sahraouie répliquera énergiquement, en légitime défense et en défendant sa souveraineté nationale».
L’agence sahraouie SPS a affirmé que « depuis plus de trois semaines, des Sahraouis civils (hommes et femmes) représentant notamment des associations de jeunesse, des femmes, des travailleurs, d’organisations de défense des droits de l’homme et plusieurs ONG opérant dans le domaine socioculturel, observent des sit-in à différents endroits le long du mur de sable érigé par l’occupant marocain. Ils manifestent pour exiger notamment la fermeture définitive de la brèche illégale d’El-Guerguarat dans l’extrême sud-ouest du Sahara occidental. Les manifestations se veulent, selon les organisateurs, un moyen de faire face aux manœuvres et provocations marocaines et réclamer l’organisation du référendum d’autodétermination, l’objectif pour lequel a été créée la Mission des Nations unies au Sahara occidental (Minurso).
Aussi, les manifestants appellent à mettre un terme à la souffrance inacceptable du peuple sahraoui face au silence de l’ONU notamment dans les territoires occupés. Ils exigent également le retrait immédiat des troupes marocaines des territoires sahraouis occupés et de dévoiler le sort des disparus ainsi que la libération de tous les prisonniers civils sahraouis détenus dans les geôles marocaines ».
Source : Le Quotidien d’Oran, 14 nov 2020