Maroc : La bataille de Lebouirat de A à Z racontée par un journaliste français

Voyage à Lebouirat, de notre envoyé spécial

Le 24 août dernier, les forces sahraouies lançaient une attaque contre l’importante place fortifiée de Lebouirat, dans le sud marocain. Le Front Polisario annonçait plus de 800 morts et des dizaines de prisonniers. Peur de temps après, le Maroc affirmait que ses troupes avaient repris et réoccupaient la ville.

Face au scepticisme de la presse internationale, le Front Polisario décide d’amener des journalistes à l’intérieur du territoire sud-marocain, sous la conduite d’une unité mobile de soldats sahraouis, sur le champ de bataille de Lebouirat et jusuqu’aux abords de la grande base militaire de Zak à 60 km plus au sud.

Nous avons pu, surplace, dénombrer 51 blindés détruits ou abandonnés au cours de la bataille de Lebouirat, dont 26 chars TE-54, 13 véhicules de transport de troupes et 12 auto-mitrailleuses légères de fabrication soviétique et provenant d’Egypte. Sans compter les véhicules divers calcinés ou réutilisés par les vainqueurs, ni les stocks de munitions et d’armement détruits ou récupérés par tonnes. Quelques cadavres marocains sont là, bien en vue. Le Front Polisario annonce plus de 800 tués dont la plus grande partie des cadavres auraient été enlevés le soir de l’affrontement par une importante colonne marocaine venue de Zak. Les survivants et prisonniers marocains sont encore sous le choc.

En effet, les diverses archives militaires marocaines abandonnées à Lebouirat indiquent une démoralisation des troupes stationnées dans cette garnison et font pressentir la panique qui a regné durant l’offensive sahraouie, ce qui explique l’ampleur de la défaite subie par les troupes de Hassan II.

Parmi les nombreux documents militaires, messages « secrets », rapports et notes de service divers se trouve un passeport marocain nº2865 au nom d’Azemlat Mohamed né en 1942. Il présente une photo d’un homme au visage paisible et à la grosse moustache noire. Cet officier des forces armées royales marocaines commandait le troisième groupe d’escadron blindé de Lebouirat. Après ka débâcle du 24 août le roi Hassan II ordonne son arrestation et sa comparution devant un tribunal militaire. Azelmat Mohamed a été fusillé, il y a peu, sans jugement. Les rapports sont là, abandonnés en désordre. Mohamed Azelmat n’a pas cessé d’alerter ses superieurs sur le moral de plus en plus bas qui règne parmi ses troupes, de la pression de plus en plus vive des combattants sahraouis, de linadaptation de l’armement dont il dispose à la guerre de mouvement imposée par l’adversaire. Dans l’un de ses derniers rapports (daté de moins d’un mois), il qualifie la cuvette de Lebouirat de « valleé de la mort ». Dans un télégramme officiel daté du 16 août, il déclare : « ne peux plus tenir localité Bouirat, stop, officiers, sous-officiers et hommes de troupe, traumatisés, démoralisés, manifestent leur mauvaise humeur et menacent . Refuser ordre de reprendre positions initiales » (celles abandonnées lors d’une attaque sahraouie précédente, le 10 août). Dans un rapport daté du 20 août le capitaine Moumen, officier de sécurité, explique :

« Laisser plus de 1500 hommes ou plutôt leur ordonner une mort certaine et inutile, ce n’est pas une décision que l’on prend à la légère ».

Le chef d’escadron Azelmat Mohamed quitte Lebouirat le 22 août pour la base de Zak, au sud. Selon certains, il aurait été rappelé par ses supérieurs après le premier revers qu’il avait essuyé le 10 août face aux forces sahraouies. Deux jours plus tard, les troupes du Front Polisario s’emparaient en une matinée de Lebouirat, poursuivaient sa garnison en pleine débandade et faisaient un ravage dans une colonne de secours venue dans la soirée de Zak. Le commandant Elyman Ben Aissa, second d’Azelmart Mohamed, responsable, en l’absence de ce dernier de la place, l’abandonne préćipitamment en Land-Rover dès le premier assaut des forces sahraouies, nous ont déclaré les prisonniers.

Témoignages aussi, ces lettres pleines de désarroi de soldats à leurs familles, ces listes interminables de déserteurs signalés aux autorités militaires.

Témoin encore, le dernier « message » daté du 23 août : « rebelles observés dans ensemble zone – action probable dans jours à venir- vous demande, stop, doubler vigilance et prendre dispositions nécessaires pour faire face à toutes les actions, stop ».

Et encore plus surprenant, au milieu de tout cela traîne un écrit de Maurice Druon de l’Académie Française, un hommage délirant à sa majesté Hassan II et que l’état-major demandait de lire aux troupes. Maurice Druon y encense le roi « grand humaniste, restaurateur, bâtisseur et rassembleur… » et affirme que « la marche verte est la plus grande de tous les temps ». Dans la chaleur torride du désert, on aimerait qu’il y ait plus souvent des mirages.

Christian POVEDA, reporter français assassiné au Salvador le 2 septembre 2009

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