L’ancien maître de la Tunisie Ben Ali meurt dans l’indifférence

Président déchu, symbole bien malgré lui du Printemps arabe, Zine el-Abidine Ben Ali est mort jeudi à Djeddah, en Arabie saoudite. Âgé de 83 ans, il luttait depuis des mois contre un cancer des poumons.

L’histoire retiendra l’ancien militaire qui a régné d’une main de fer sur son pays. Un fils de famille modeste, formé dans les hautes écoles en France avant d’intégrer l’appareil d’État tunisien. En 1984, après avoir maté les «émeutes du pain», il est nommé secrétaire d’État à la sécurité nationale. En 1987, il chasse du pouvoir le père de l’Indépendance tunisienne, Habib Bourguiba, l’accusant de sénilité.

«Ben Ali, c’est le décor et l’envers du décor, résume Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Il a réussi à se présenter comme le garant de la stabilité du pays, le promoteur du développement économique de la Tunisie et des droits des femmes.» Populaire à ses débuts, le président favorise les investissements, mène une politique de privatisation, notamment dans les secteurs du tourisme. Il œuvre également en faveur de l’éducation: le nombre d’étudiants a été multiplié par dix en vingt-cinq ans.

Répression très dure

Mais Ben Ali a aussi fait sien le règne de l’arbitraire. Dans les années 2000, soutenu par la communauté internationale, il mène une répression très dure au nom de la lutte contre les islamistes. La presse et l’opposition sont elles aussi muselées. «C’est l’envers du décor, poursuit Hasni Abidi. C’est le despote, à l’origine du recul des droits de l’homme. Un autoritarisme excessif, un pouvoir familial et corrompu qui ont poussé les Tunisiens à le renverser.» Pour Nicolas Beau, directeur de Mondafrique.com, «Ben Ali a été incapable de contrôler les appétits des clans, comme la famille Trabelsi de sa deuxième femme, Leïla Trabelsi, qui ont pillé le pays sans foi ni loi. Ce niveau de corruption lui a été fatal.»

C’est un simple vendeur de fruits qui l’aura fait tomber. Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, jeune marchand de rue à Sidi Bouzid, s’immole par le feu en signe de protestation contre la saisie de sa marchandise par les autorités. Ce geste de désespoir émeut le pays tout entier et lance le début d’une vaste contestation, dite des Printemps arabes.

Les fastueux palais de Ben Ali

Accusant d’abord les manifestants d’actes «terroristes», Ben Ali finit par céder face à la pression populaire et s’exile en Arabie saoudite. Les Tunisiens découvrent alors les fastueux palais dans lesquels la famille de Ben Ali vivait, ainsi que les révélations sur le train de vie extraordinaire qu’elle menait. Le président déchu, lui, a été condamné en 2018 par contumace pour «homicides volontaires», «abus de pouvoir» ou encore «détournements de fonds», à cinq peines de perpétuité et 200 ans de prison ferme. «Sa mort laisse un goût amer, résume Hasni Abidi, car il ne sera pas jugé. Ben Ali échappe à un procès qui aurait pu faire date en Tunisie et dans le monde arabe.»

Hasard du calendrier, son décès intervient en pleine présidentielle en Tunisie, scrutin qui doit permettre de consolider le processus démocratique dans l’unique pays rescapé de ces Printemps arabes. «Si la transition démocratique se passe plutôt bien, estime Nicolas Beau, c’est grâce notamment au niveau d’éducation des Tunisiens, les droits acquis par les femmes, une certaine tolérance vis-à-vis d’une partie de l’opposition et le dialogue ouvert avec les islamistes vers la fin de son règne. Un dialogue qui fait que les islamistes tunisiens sont aptes aujourd’hui à jouer le jeu démocratique.»

Source : 24heures.ch

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