Abdelkader Taleb Omar . « Le MUJAO c’est le Maroc »

De lourdes accusations ont été portées par le Premier ministre sahraoui à l’encontre du Maroc. Abdelkader Taleb Omar a affirmé dans un entretien accordé conjointement au Jeune Indépendant et à El Watan que le Front Polisario a toutes les preuves sur l’implication directe du Maroc dans la manipulation des groupes terroristes sévissant dans le Sahel. En outre, le MUJAO (Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest) est une fabrication marocaine, accuse M. Taleb Omar. D’autres questions de l’actualité relative au dossier du Sahara occidental ont été abordées par le chef de l’exécutif sahraoui. 
Le Premier ministre sahraoui, Abdelkader Taleb Omar, vient de le dire clairement, preuve en main : l’économie marocaine de la drogue a créé le banditisme en tout genre au Sahel pour déstabiliser une région déjà explosive. Une région qui subit des ingérences généralisées de toutes les grandes puissances. Le Maroc préfère donc suivre l’itinéraire de l’héroïne qui part de l’Afghanistan, arrive par la Somalie puis est transportée vers cette autoroute sahélienne pour atterrir sur le marché du consommateur. Ou celui de la cocaïne qui arrive de Colombie et du Venezuela, passe par l’Afrique de l’Ouest, remonte par le même «boulevard» et est dirigée sur le même marché consommateur. Utilisant cette région de transit, le Maroc et son invention le MUJAO, de mèche avec les services de sécurité du royaume, déstabilisent la région et causent le malaise de la population sahraouie. Le Makhzen ne manquera pas, au passage, de faire les yeux doux, baisemains et courbettes pour l’ouverture de ses frontières avec l’Algérie.
Pour quoi faire ?
Le Jeune Indépendant : L’envoyé spécial du SG de l’ONU sera en tournée dans la région prochainement. Concrètement, qu’attendez-vous de cette visite de Christopher Ross ?
Abdelkader Taleb Omar : Nous voulons qu’elle soit une visite de confirmation quant à la base des négociations, selon les résolutions des Nations unies, et donc avoir comme finalité le référendum d’autodétermination et pas selon la logique à sens unique du Maroc qui veut imposer le statu quo au niveau de la MINURSO et du processus de manière générale.
Car dès que le Maroc a constaté, d’une part, la volonté de la communauté internationale d’élargir les prérogatives de la MINURSO, et, d’autre part, que l’ONU a commencé à se pencher sur la position sahraouie basée sur le référendum englobant les trois voies, il s’y est immédiatement opposé en retirant la confiance à M. Ross. Un retrait de confiance survenu après trois semaines de l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité où le Maroc est pourtant membre non permanent. Ce qui est à retenir, c’est que Ross revient renforcé par la confiance que lui ont renouvelée l’ONU et la communauté internationale.
Peut-on savoir les points qui seront au menu des discussions avec le médiateur onusien et a-t-il inclus les territoires occupés dans sa tournée ?
Nous ne savons encore rien, le programme de cette tournée n’a pas été arrêté.
Peut-on connaître Christopher Ross comme la dernière chance pour trouver une issue avec l’actuel processus de négociations ?
Il est difficile d’affirmer cela car tout conflit a une issue, et notre combat, qui dure depuis 40 ans, prouve la puissance profonde de notre cause. Nous constatons donc que le retour de M. Ross est le redressement d’une situation que le Maroc a essayé de torpiller. Par contre, nous pensons que M. Ross a été la dernière chance pour le Maroc. Car c’est un coup dur pour ses tentatives de faire passer son projet d’autonomie, dont la fin a donc sonné, et que même la France qualifie désormais de projet en stagnation.
Justement le président français, François Hollande, a réagi à la question, qualifiant le plan marocain d’intéressant mais qui n’avance pas. Comment la partie sahraouie accueille-t-elle ces déclarations ?
Les déclarations du président français, même entachées d’ambiguïtés, peuvent exprimer la fin de ce qui est appelé le plan d’autonomie marocain. En tout cas, la position du nouveau président diffère de celle de son prédécesseur, complètement aligné sur le Maroc. M. Hollande paraît essayer de corriger certaines choses dans la politique maghrébine de la France. Les Sahraouis continuent de croire que la France peut évoluer dans le sens de la légalité internationale.
Mais en face le ras-le-bol de la jeunesse sahraouie quant à une solution politique est patent !
En tout cas et pour l’instant, c’est la partie marocaine qui se plaint et souffre de ce processus de paix. Dès lors, il ne faut pas se lamenter et obstruer les efforts, à l’image de notre ennemi. Nous devons au contraire encourager et faciliter. Mais non pas fermer les portes tant que le processus n’est pas dévié, surtout que nous nous dirigeons vers le renforcement de la MINURSO et du processus des négociations sur des bases concrètes.
Comment votre gouvernement juge-t-il la position de l’ancienne puissance coloniale, l’Espagne, après une année de l’arrivée de la droite espagnole au pouvoir ?
La droite espagnole soutient la question sahraouie particulièrement dans l’opposition. Dernièrement encore, le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, a réaffirmé aux Nations unies le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Mais de l’autre côté, dans certaines de ses positions, l’Espagne tente de faire plaisir au Maroc, notamment en procédant au rapatriement des humanitaires espagnols des camps des réfugiés sahraouis sous prétexte de crainte d’enlèvement. Donc le gouvernement espagnol demeure dans des positions contradictoires.
Terrorisme, drogue, insécurité dans la région du Sahel,… que fait le Front Polisario pour y faire face?
Après le rapt des trois humanitaires européens dans des camps des réfugiés en octobre 2011, le Front Polisario a instauré certaines mesures et mobilisé des troupes pour sécuriser les camps et tous leurs alentours. Nous avons aussi fait augmenter le nombre des éléments des services de sécurité. Car nous savons que le Maroc, en tant que producteur et exportateur de drogue, est le fi
nancier des groupes activant au Mali et aussi le véritable promoteur de ce qui est appelé le MUJAO. Mais avec la mobilisation internationale pour éradiquer ces fléaux au Sahel, ce sera l’échec de cette politique marocaine dans la région.
La sécurité des camps devient donc un enjeu majeur…
Le Maroc compte beaucoup sur la situation interne du Front Polisario. Il joue sur l’impatience des jeunes en faisant tout pour isoler les camps des aides et soutiens humanitaires et créer, ainsi, une situation de psychose et en même temps détourner l’attention de l’opinion sur les révoltes qui secouent les territoires occupés. Mais cette longue manœuvre ne lui réussit pas. Actuellement nous avons plus de 250 étrangers en dépit de la crise économique.
Depuis quand le Polisario a-t-il établi une relation entre le MUJAO et le Maroc ?
Ce n’est un secret pour personne que les fondateurs du MUJAO sont des narcotrafiquants et que le Maroc est le premier producteur de cannabis. L’Europe lui a fermé ses portes du côté nord. Maintenant il essaye d’exporter vers le Sud et l’Est avec l’appui de groupes du nord du Mali. Le Maroc leur fournit la drogue et leur demande au passage des services en les finançant avec cette même drogue. La question est de savoir pourquoi les ravisseurs ont parcouru 2 400 km, avec tous les risques qu’ils encouraient, pour s’en prendre aux humanitaires alors que des villes situées à 200 km comme Gao et Tombouctou connaissaient des affluences importantes de touristes.
D’ailleurs, les ravisseurs ont exhorté les otages relâchés de ne plus revenir dans les camps. Cela veut dire qu’ils travaillent pour un agenda particulier d’un pays qui n’est autre que le Maroc. L’objectif du Maroc est donc de donner une impression d’insécurité, de désordre et de peur qui règneraient dans les camps des réfugiés. Et malheureusement, le gouvernement espagnol est tombé dans ce piège en essayant de retirer ses ressortissants des camps. Nous avons aussi des informations qui affirment que les dirigeants du MUJAO visitent régulièrement le Maroc. L’un d’entre eux n’est autre qu’Echaffaiî, recherché par Interpol et la Mauritanie, et qui possède beaucoup de biens au Maroc. Donc les preuves sont nombreuses sur les relations qu’entretient ce groupe avec les services secrets marocains. Je vous rappelle que la création du MUJAO est survenue juste après le rapt des trois humanitaires…
Entretient réalisé par notre envoyé spécial aux camps des réfugiés de Tindouf, Yassine Mohellebi, photos abada ryad

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