AQMI, MUJAO, Boko Haram

Par Noureddine Khelassi
L’attentat à la voiture piégée contre un poste de gendarmerie à Tamanrasset est inquiétant. A plus d’un titre. Tout acte terroriste est certes redoutable en soi. Mais, il y a lieu de se faire encore du souci, car ce coup-ci le terrorisme, qui s’est manifesté dans la capitale cosmopolite de l’Ahaggar, n’est pas indigène, endogène et endémique. C’est un terrorisme allogène même si son mode opératoire et sa cible le rapprochent de la violence labellisée AQMI. Il s’agit donc d’un terrorisme exogène qui serait le fait d’une organisation régionale. Un groupe transfrontalier peu connu des spécialistes et que les radars des services de sécurité n’avaient pas détecté pour le «loger» avec précision et l’estimer avec justesse. Il a été revendiqué par un certain MUJAO. Sigle du Mouvement unicité pour le jihad en Afrique de l’Ouest, qui s’est manifesté, pour la première fois, le 12 décembre 2011. Dans une bande vidéo, visionnée à Bamako par des journalistes de l’AFP, six membres de ce MUJAO, à la peau noire ou au teint bistre, avaient revendiqué l’enlèvement des trois humanitaires européens dans un camp de réfugiés sahraouis non loin de Tindouf. La vidéo montre des hommes armés encadrant deux femmes, une Espagnole et une Italienne, ainsi qu’un Espagnol enlevés le 23 octobre dernier au camp de Rabouni, siège administratif du Polisario. Ce mouvement prône le jihad en Afrique de l’Ouest, se réfère à l’idéologie d’Al Qaïda et revendique une adhésion à Oussama Ben Laden et Aymane Ezzawahiri. A en croire des sites d’information mauritaniens et maliens, le MUJAO serait composé essentiellement de Mauritaniens, Maliens originaires de l’Azawed, dont des Touareg. Ses chefs seraient le Mauritanien Hamada Ould Mohamed Khairou et l’Azawadi Soultane Ould Bady. Voilà pour la fiche signalétique, incomplète et imprécise. Reste alors la question du contexte et du choix du théâtre d’opération. L’attentat intervient trois jours après la visite à Alger de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton qui a notamment discuté avec les autorités algériennes de la situation dans le Sahel. Il advient alors que l’Algérie est pleinement engagée dans la résolution de la crise dans le nord du Mali. Il est perpétré trois semaines après un succès opérationnel des services de sécurité algériens qui ont déjoué un attentat ciblant, le 13 février dernier, une patrouille des GGF à Tinzaouatine. Voilà pour le contexte politique et sécuritaire, même s’il est difficile d’établir quelque causalité avec l’attentat revendiqué par le MUJAO. S’agissant du choix de Tamanrasset, la cité cosmopolite et à vocation touristique semble avoir été ciblée parce qu’elle est devenue une ville militaire. Outre qu’elle dispose de pistes d’atterrissage pour des gros porteurs, dont des aéronefs de l’US Air Force, Tamanrasset est le siège du CEMOC, le Comité d’état-major conjoint qui regroupe l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Bien que le CEMOC ne soit pas encore une structure tout à fait opérationnelle, sa domiciliation à Tamanrasset était susceptible de donner des idées aux terroristes d’AQMI et à d’autres groupes satellites ou autonomes comme le MUJAO. Indépendamment du caractère régional de cette organisation et de la nationalité de ses membres, son intervention en Algérie pose surtout le problème de la sanctuarisation des territoires du Grand Sud et de ses vastes frontières. Depuis octobre dernier, le MUJAO, dont on ne mesure pas encore la capacité de nuisance, aurait déjà frappé à deux reprises. Et, à chaque fois, en un lieu hautement sécurisé car considéré comme un site sensible. Le 23 octobre, ce fut au camp sahraoui de Rabouni, et le 3 mars 2012 à Tamanrasset. Dans les deux endroits, l’ANP et ses différents services de sécurité devaient veiller au grain. Leur veille technologique et leur vigilance devaient être au plus haut point. On sait déjà que la baisse de la garde et les défaillances à différents niveaux de la chaîne de vigilance à Tindouf, ont eu des répercussions au sommet de la hiérarchie du DRS. Certes, Tamanrasset est une ville moins fermée que la zone de Tindouf, mais le fait qu’un groupe étranger à la ville et composé d’étrangers ait pu opérer sans avoir été repéré, suscite des interrogations. Si le MUJAO a pu frapper à Rabouni même, il pouvait le refaire ailleurs dans le Sahara, y compris en zones militaires et pétrolières. L’irruption violente du MUJAO dans la ville siège du CEMOC, pose aussi la question des connexions entre AQMI, le MUJAO et les rebelles touareg du MNLA dans l’Azawed. Par extension, on peut imaginer aussi des liens avec le mouvement nigérian de Jama’atu Ahlu Sunna, plus connu sous son nom haoussa de Boko Haram. Même s’il se revendique originellement des talibans afghans, Boko Haram a fini par nouer des rapports avec Al Qaïda et, dit-on dans les milieux spécialisés, avec AQMI. Le terrorisme islamiste, sous ses différents labels, pourrait très bien – si ce n’est pas déjà le cas – faire jonction avec la criminalité transnationale organisée en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel. Le Sahel est un vaste marché de la violence où les prises d’otages et les trafics en tous genres rapportent gros. Connexions des organisations, solidarité des groupes, jonction des intérêts. La très vaste zone sahélienne, avec ses prolongements géographiques en Afrique de l’Ouest, deviendrait ainsi un immense magma criminel aux frontières de l’Algérie. Funeste perspective ! 

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