Qui viole le cessez-le-feu au Sahara Occidental ?

I. Introduction

Avant d’avancer des éléments de réponse à cette question, on s’intéresse d’abord à la nature de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le Maroc et le Front Polisario, sa forme et son contenu.

Les observateurs s’accordent à dire que le cessez-le-feu est en vigueur au Sahara Occidental depuis le 06 septembre 19911 . La question cruciale est la suivante : existet-il un accord écrit, en bonne et due forme, ratifié par le Maroc et le Front Polisario le 06 septembre 1991, comportant les détails relatifs à l’arrêt des hostilités au Sahara Occidental ? Vraisemblablement, la réponse à cette question est l’un des secrets les mieux gardés des Nations Unies.

En tout état de cause, si cet accord existait, il n’a jamais été publié officiellement2 . De plus, aucune photo de cérémonie de signature n’a été rendue publique, contrairement à celle de l’autre accord de cessez-le-feu, signé à Alger en 1979 entre la Mauritanie et le Front Polisario3 .

De son côté, la Minurso avance, sur son site web, que son rôle clé est « La supervision de l’accord de paix observé (et non pas signé) par les deux parties depuis le 06 septembre 1991 » 4 . En revanche, elle évoque les accords militaires #1, #2 et #3, signés avec les deux parties depuis 1997, comme les cadres contenant les règles spécifiques relatives au cessez-le-feu.

II. L’accord militaire #1

Ce double accord a été conclu entre la Minurso et le Front Polisario le 24 décembre 1997 d’une part, et la Minurso et le Maroc le 22 janvier 1998 d’autre part5 . Le contenu exact de l’accord n’est pas publié par la Minurso. Seuls les éléments clés relatifs à la répartition du territoire du Sahara Occidental sont disponibles :

1. Une zone tampon de 5 kilomètres à l’Est du Mur (Buffer Strip BS),

2. Deux zones restreintes (Restricted Areas RA) de 25 kilomètres à l’Est et 30 kilomètres à l’Ouest du Mur,

3. deux zones à restriction limitée ALR (Le reste du territoire, au-delà des zones restreintes, de part et d’autre du Mur).

On note un déficit flagrant en informations officielles, s’agissant des détails relatifs à l’accord. Ce n’est pas nouveau pour le conflit du Sahara Occidental. Rappelons-nous du rapport de 2006 du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme6 , qui n’a jamais été publié officiellement, et dont le contenu est disponible sur internet.

La carte, ci-après,7 attribuée à la Minurso sous le code A4#010 de l’année 2007, reprend la description de l’accord de 1997 fournie par la Minurso, notamment la répartition du territoire en 5 zones :

Une version, là aussi non officielle8 , de l’accord n°1 circule sur internet. Elle évoque dans le détail les types de restrictions imposées aux trois catégories de zones susmentionnés9 . Le document présente les restrictions comme suit :

1. La zone tampon : toute présence ou activité militaire y est interdite, le document stipule que l’interdiction porte, précisément, sur la présence des membres ou du matériel de l’Armée Royale Marocaine (RMA) et des Forces Armées du Front Polisario (FPMF).

2. Les zones restreintes : sont également soumises à plusieurs restrictions, relatives notamment aux activités et au renforcement des infrastructures militaires.

3. Les zones à restriction limitée : toute activité militaire ordinaire peut y être menée, à l’exception de celles en relation avec l’emploi des mines antipersonnel, la concentration des forces et la construction de nouveaux quartiers généraux.

En combinant les informations du document et de la carte, on peut schématiser la situation géographique du Sahara Occidental, en vertu des accords militaires de 1997, comme suivant :

III. Quelques éléments de réponse :

1. Selon toute vraisemblance, les détails techniques relatifs à l’accord de cessez-le-feu de 1991 sont contenues dans l’accord militaire #110. Les bribes d’information publiées par la Minurso correspondent parfaitement à la carte et au texte de l’accord, disponibles sur internet.

2. On s’interroge sur les raisons de la non-publication de ces textes et cartes par les Nations Unies ? A plus forte raison que les violations supposées de l’accord militaire sont souvent soulevées devant, entre autres, le Conseil de Sécurité.

3. En l’absence d’une version officielle assumée par l’ONU, n’est-il pas difficile, voire impossible, pour la communauté internationale (Y compris les autres instances onusiennes) d’apprécier ou d’évaluer les allégations de violation ?

4. S’agissant des considérations purement géographiques, il ressort de la carte que les localités ci-après du Sahara Occidental, contrôlées par le Maroc, relèvent de la zone restreinte (A l’intérieur de la bande de 30 Km à l’Ouest du Mur): Hawza, Smara, Guelta Zemour, Oum Drayga, Awserd, Techla et Bir Guendouz. En contrepartie, à l’Est du Mur, les localités de Bir Lahlu, Tifariti, Mehaires, Mijek, Agwanit et Zug se trouvent plutôt dans la zone à restriction limitée (Au-delà des 25+5 KM).

En plus de la carte, sur les sites web de géolocalisation, les distances entre les localités susmentionnées à l’Ouest et ce qui semble être le Mur qui divise le Sahara Occidental en deux parties paraissent effectivement inférieures à 30 KM.

Donc logiquement, selon l’accord #1, en matière de présence et d’activité, le Front Polisario dispose, dans les localités d’une marge de manœuvre supérieure à celle dont devrait jouir le Maroc au niveau de la ville de Smara, transformée depuis 1975 en centre urbain considérable.

Toujours selon l’accord de 1997, et en attendant une solution définitive au conflit, la marge de manœuvre du Front Polisario dans les localités de Bir Lahlu, Tifariti, Mehaires, Mijek, Agwanit et Zug devrait être équivalente à celle du Maroc à Laayoune, Boucraa, Boujdour ou Dakhla.

5. Les restrictions portent exclusivement sur les activités militaires. Donc, le Front Polisario devrait avoir toute la latitude d’implanter des institutions civiles dans les localités sous son contrôle, à l’image de ce que fait le Maroc.

6. La présence de civils n’a jamais été proscrite par l’accord #1. Donc, la présence actuelle des éléments civils du Front Polisario à Guergerat ne devrait pas être problématique. D’ailleurs, le Maroc a, de tout temps, fait valoir que ses éléments et engins civils pouvaient accéder, voire traverser, la zone tampon. Les convois de marchandises marocaines le font au quotidien.

VI Conclusion :

De ce qui précède, il est tout à fait clair que les violations du cessez le feu attribuées aux « Intentions » du Front Polisario sont, de loin, moins importantes que celles déjà mise en œuvre et perpétrées par le Maroc.

Pour preuve, la lettre portant allégation de violation de l’accord, adressée par le Maroc au Secrétaire Général de l’ONU, n’a pas été prise en compte dans la version définitive du rapport 2018 relatif à la situation au Sahara Occidental, qui évoque en revanche d’autres violations observées par la Minurso de part et d’autre.

Théoriquement, et conformément à l’accord #1, le Front Polisario peut entreprendre davantage de réalisations à Bir Lahlu, au même titre que celles déjà effectuées par le Maroc à Laayoune depuis 1975. Autrement dit, les restrictions imposées par l’accord à Bir Lahlu, devrait être les mêmes qu’il impose à Laayoune.

Par ailleurs, la version disponible de l’accord stipule qu’il a été conçu dans le cadre du Plan de Règlement. Ceci suscite les interrogations suivantes :

– Peut-on tourner complétement le dos au Plan de Règlement, tout en s’accrochant à l’accord qu’il a enfanté ?

Le document ajoute que l’accord court depuis sa signature, jusqu’à l’entame de la période transitionnelle, où il devra être remplacé par un autre accord.

– Vu que l’accord est toujours en vigueur, ceci suppose que nous sommes toujours dans la phase d’identification des Sahraouis éligibles au vote dans le cadre du référendum d’autodétermination, prévu par le Plan de Règlement.

Enfin, pour lever toute équivoque, les Nations Unies devraient rendre public les informations relatives au cessez-le-feu au Sahara Occidental. L’ONU est la partie habilitée à le faire, dans un souci de transparence et de responsabilisation des parties.

Dans l’intervalle, et jusqu’à preuve du contraire, la pertinence des éléments d’information disponibles ayant servi de base à cette analyse demeurera intacte.

Par ailleurs, le Conseil de Sécurité peut se montrer plus attentif aux jeux d’alliances et d’intérêts entre pays. Le Conseil de Sécurité peut avoir ses raisons, que la raison ne connait point.

1 D’aucuns avancent que le Maroc a violé l’accord, dans la foulée, en bombardant et détruisant le village de 2 Aucune trace d’un éventuel contenu de l’accord dans les pages des Nations Unies et de la Minurso. 3 Une photo sur laquelle on peut voir et identifier M. Ahmed Salim Ould Sidi, Premier Ministre en exercice de la Mauritanie et MM. El Bachir Mustapha Sayed, Mohamed Salem Salek et M’hamed Khaddad, coté sahraoui. Pour consulter la photo http://www.jeuneafrique.com/mag/426323/politique/mauritanie-tiraillee-question-sahara-occidental/ 4 https://minurso.unmissions.org/ceasefire-monitoring

5 Ibid ,.

6 Le contenu du rapport est disponible, entre autres, sur ce lien : http://www.arso.org/OHCHRrep2006en.htm Le rapport aurait conclu que les violations des droits de l’Homme des réfugiés sahraouis sont essentiellement dues à la non réalisation de leur droit à l’autodétermination.

7 L’origine de cette carte est attribuée à la Minurso, sous le code A4 #010, de l’année 2007. Elle aurait été retirée du site de la Minurso mais demeure disponible sur internet : http://www.usc.es/export9/sites/webinstitucional/gl/institutos/ceso/descargas/Map_SO_Minurso_2007.pdf

8 Il s’agit d’un document de 3 pages en langue anglaise, ni daté ni signé, intitulé : Military Agreement No 1, contenant 6 points, à savoir : Aim, Geographical definition, Restriction of military activities within the areas, Rights of the military observers, Procedure in case of violation and Transmission of the agreement.

9 Cette version est jointe en annexe.

10 Les accords #2 et #3 sont réservés aux mines antipersonnel selon la page web de la Minuro.

Le 19 avril 2018,

La veille de l’adoption de la résolution 2018 du Conseil de Sécurité sur le Sahara Occidental