Il ressort de son entretien que l’Algérie sait parfaitement comment équilibrer l’établissement d’une relation stratégique avec Washington tout en préservant sa position traditionnelle dans la politique internationale : non-alignée, souveraine et en quête de partenariats, non de dépendances.
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Dans un long entretien accordé au Stimson Center, à Washington, le diplomate algérien chevronné Sabri Boukadoum a présenté un discours algérien posé dans sa tonalité, sûr dans ses analyses, et très éloigné des fluctuations de la conjoncture politique qui secoue la région.
Ce que Boukadoum a exposé n’était pas une simple démonstration diplomatique, mais une lecture stratégique d’un pays placé au croisement des tempêtes : des frontières en ébullition, un espace sahélien fragile où l’on enregistre plus de 1800 incidents sécuritaires par an, des transformations économiques internes profondes et un partenariat avec une puissance mondiale qui ne cesse de redéfinir ses priorités.
La première chose qui frappe dans ses déclarations est la pleine conscience du poids des défis géographiques auxquels l’Algérie ne peut échapper. Il a affirmé clairement : « N’oubliez pas que l’Algérie est le plus grand pays d’Afrique, de la Méditerranée et du monde arabe », avant d’ajouter un chiffre significatif : « Nous avons sept mille kilomètres de frontières… C’est un défi interne et externe à la fois. »
En réalité, les frontières algériennes s’étendent aujourd’hui sur plus de 6 385 kilomètres avec sept pays, ce qui en fait l’un des plus longs tracés terrestres du continent.
Par cette phrase, l’ancien ministre résume l’essentiel de la problématique sécuritaire algérienne : un État vaste, entouré d’un voisinage instable, et dont l’environnement – de la Libye au Mali en passant par le Niger – ressemble à une ceinture de crises qu’il est impossible d’ignorer et tout aussi impossible de prendre entièrement en charge.
Et bien que l’Algérie ait toujours géré son environnement selon le principe de non-ingérence, Boukadoum a rappelé le rôle de son pays en matière de médiation régionale, notamment au Mali : « Nous avons parrainé l’accord de paix au Mali… et depuis des décennies, nous jouons le rôle d’apaisement dans la région. »
Il faisait référence ici à l’Accord pour la paix et la réconciliation signé en 2015, que l’Algérie continue de suivre dans le cadre d’un mécanisme international qu’elle supervise.
Mais le plus important demeure son analyse des raisons de la dégradation de la situation sahélienne : disparition du commerce traditionnel, fermeture des frontières après la découverte du pétrole dans les années 1970, effondrement des liens économiques et sociaux qui reliaient jadis les peuples du Sahara.
Selon lui, la crise n’est pas uniquement sécuritaire, mais également civilisationnelle et économique : des réseaux historiques se sont dissous, laissant place au chaos, aux armes et à la contrebande dont la valeur annuelle dépasse, d’après les estimations, 1,2 milliard de dollars sous diverses formes.
Sur la question frontalière, Boukadoum a souligné que la situation est bien plus complexe qu’elle ne paraît de loin : l’immigration irrégulière, dont le taux a augmenté ces dernières années de plus de 35 %, les groupes armés, le trafic d’armes – dont l’Algérie a déjoué plus de 1 200 opérations en moins d’une décennie – et l’absence de l’État dans certaines zones du Sahel sont des dossiers gérés quotidiennement depuis Alger, et non à coups de communiqués diplomatiques.
C’est pourquoi il a déclaré sans détour : « C’est à nous de résoudre ces problèmes… personne ne le fera à notre place. »
Concernant la relation avec les États-Unis, Boukadoum a présenté une nouvelle lecture fondée sur une égalité réaliste, sans alignement ni complaisance.
Il a évoqué une « nouvelle phase » dans les relations bilatérales et la signature d’un « accord de coopération en matière de défense sans précédent », coïncidant avec une hausse des échanges commerciaux dépassant les 4 milliards de dollars par an.
Mais il a insisté dans le même temps sur l’indépendance de la décision algérienne. Le partenariat n’est pas ici un renoncement, mais la recherche de points de convergence bénéfiques pour les deux parties dans un environnement régional extrêmement sensible.
Il ressort de son entretien que l’Algérie sait parfaitement comment équilibrer l’établissement d’une relation stratégique avec Washington tout en préservant sa position traditionnelle dans la politique internationale : non-alignée, souveraine et en quête de partenariats, non de dépendances.
C’est ce que l’administration américaine a bien compris, surtout face à la montée du rôle de l’Algérie dans les dossiers sahéliens, dans le vide sécuritaire laissé après le retrait de 3 000 soldats français du Mali en 2022, et dans les questions énergétiques et de sécurité régionale.
Tout au long de l’échange, Boukadoum oscillait entre réalisme et sens de la responsabilité historique : un pays sorti d’une colonisation de 132 ans, tentant de bâtir un modèle politique et social nouveau sous l’intitulé de « Nouvelle Algérie », tout en affrontant de fortes pressions à ses frontières sud et ouest.
Et dans tout cela, il répète une idée fondamentale : la réforme interne est indissociable d’un environnement extérieur instable, et la sécurité nationale algérienne commence au cœur du Sahel.
Au final, les observateurs peuvent diverger sur l’approche algérienne du dossier sahélien, ou sur son élan vers un partenariat accru avec les États-Unis, mais il est impossible d’ignorer que les propos de Boukadoum révèlent une vision cohérente : un État conscient de sa place, attaché à ses intérêts, qui ne se soumet pas aux pressions de la géographie, mais tente d’en faire un atout stratégique plutôt qu’un fardeau permanent.
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