Les Marocains ne seraient pas « mûrs » pour la démocratie (élite française)

Ils sont journalistes, patrons de presse ou de grandes entreprises, artistes ou encore hommes politiques, ils appartiennent à une élite influente auprès des médias français. Leur point commun ? Ils entretiennent des rapports de grande proximité avec la monarchie marocaine, et agissent en parfaits obligés du royaume en le présentant devant l’opinion française sous les meilleurs auspices.

Cette élite transcende les clivages de la vie politique française, de droite comme de gauche, et s’étend aux milieux artistiques, intellectuels et universitaires. Du comique Jamel Debbouze aux anciennes gardes des Sceaux Élisabeth Guigou et Rachida Dati, en passant par le philosophe médiatique Bernard-Henri Lévy ou encore une poignée de journalistes, les « amis du royaume » mettent en avant l’« exception marocaine » et la stabilité d’un pays dont la dynastie régnante serait plusieurs fois centenaire.

Leurs arguments sont à peu près les mêmes : le roi serait un rempart contre la menace islamiste grâce à son statut religieux ; il dirigerait un pays « apaisé » qui lutte et « collabore » aux côtés de la France contre le terrorisme ; il aurait une police « efficace et vigilante » qui rassure les 50 000 Français installés dans le pays ; c’est une monarchie séculaire qui sait très bien marier «tradition et modernité ».

La démocratie au Maroc ? Les libertés et les droits individuels ? Les droits de l’homme ? La liberté d’expression ? Ce ne sont pas des « priorités », estiment les obligés du roi : les Marocains ne seraient pas encore « prêts », pas encore « mûrs » pour la démocratie. Ils donnent comme exemple le Printemps arabe et le chaos auquel il a abouti dans certains pays, la Syrie, l’Irak et la Libye notamment, et concluent : « Le Maroc est le pays de la région qui s’en sort le mieux. »

Se rendant régulièrement au royaume, ils sont accueillis en invités de marque. Certains, tel l’ancien président Nicolas Sarkozy, passent leurs vacances dans les propres résidences du roi, souvent à Marrakech ; d’autres, dans la même ville, descendent dans les célèbres palaces de la Mamounia et du Royal Mansour.

Les occasions ne manquent pas. Le Maroc est sans doute le pays qui organise chaque année le plus grand nombre de festivals : plus d’une trentaine dont huit rien qu’à Marrakech. Les plus connus sont le festival international du film de Marrakech, le festival Mawazine de Rabat, le festival Gnaoua – d’Essaouira et le festival du rire de Marrakech. Tous sont organisés « sous le haut patronage de Sa Majesté le roi Mohammed VI », un label hyper-sélectif que seul le cabinet royal peut délivrer.

Ce précieux sésame ouvre plus facilement à l’heureux bénéficiaire les portes du financement par des entreprises, notamment celles que contrôle la famille royale et elles ne sont pas peu nombreuses. Ces quatre festivals sont tous dirigés par des hommes proches du palais : le prince Rachid, frère cadet du roi (festival du film de Marrakech) ; Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi et gestionnaire de sa fortune (festival Mawazine de Rabat) ; André Azoulay, le conseiller économique du palais depuis 1991 (festival Gnaoua à Essaouira) ; Jamel Debbouze (festival du rire de Marrakech).
Tous ces festivals sont autant d’occasions d’inviter le gratin politique et médiatique français. Mais il y a aussi les « conférences », les « tables rondes », les « rencontres », les « colloques », etc., tenus au Maroc mais aussi en France, grâce aux moyens dont dispose l’ambassade du royaume à Paris.

De ses obligés, le royaume attend une loyauté sans faille et des renvois d’ascenseurs à la mesure de son hospitalité. Parfois les exigences du palais vont plus loin : il lui arrive d’intervenir directement dans le fonctionnement des institutions françaises en les poussant à prendre, ou à modifier, des décisions souveraines qu’elles n’auraient pas prises dans des circonstances normales. En juin 2015, le Parlement français a été ainsi sommé de voter un « protocole additionnel » très contesté, qui oblige le juge français à se dessaisir, au profit de son homologue marocain, de tout dossier mettant en cause un dignitaire du régime. À l’époque présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale, Élisabeth Guigou a remué ciel et terre pour que ce projet aboutisse. Résultat, non seulement il a été adopté par les députés français, mais l’essentiel du texte a été confectionné à Rabat sous l’œil vigilant des juristes du palais.

Source : « La République de Sa Majesté: France-Maroc, liaisons dangereuses« , Omar Brouksy

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