"Le Sahara occidental nest et ne sera jamais marocain" (ministre sahraoui de la coopération)

Brahim Mokhtar, ministre de la Coopération sahraoui, à El-Djazaïr.com
Entretien réalisé dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf par: Meriem Ali MARINA
El Djazaïr.com : Le six novembre signifie le début dune invasion marocaine des territoires du Sahara occidental. Trente-huit ans après, quelle est la situation actuelle du peuple sahraoui et de la question sahraouie dune manière générale ?
Brahim Mokhar : Sans nul doute. Le six novembre rappelle le début du mal du peuple sahraoui au lendemain de la marche verte ordonnée par Hassan II, alors roi du Maroc, un assoiffé du pouvoir et dexpansionnisme et après que lEspagne eut trahi, vendu les Sahraouis au Maroc et la Mauritanie. Et là, un petit rappel historique simpose. Le peuple sahraoui a cette date en mémoire car ce fut également le transfert dun colonialisme européen vers un colonialisme arabo-musulman africain. Dès lors, nous navons cessé de défendre notre droit à la décolonisation. La lutte de tous les Sahraouis a contraint la Mauritanie à signer avec le Front Polisario un accord de paix le 5 août 1979 à Alger. Cette lutte est par la suite dirigée vers le Maroc colonialiste que nous avons battu. La guerre entre les deux parties aura duré seize ans. En 1991, lONU, qui croyait que le moment pour la paix était venu, nous a sommés à un cessez-le feu. LONU croyait aussi quune solution pacifique serait trouvée à travers un référendum juste, équitable et transparent. 
El Djazaïr.com : Mais depuis cette date, rien de concret ni de palpable. Sur le terrain, la Minurso est un mécanisme onusien qui narrive toujours pas à organiser ce référendum, ni encore moins protéger les populations des territoires occupés&.
Brahim Mokhar : Exact. Nul besoin de rappeler que lobjectif principal et pour lequel la Minurso a été créée est celui, comme son nom lindique, lorganisation dun référendum au Sahara occidental et rien dautre car lONU croyait pouvoir organiser ce référendum en février 1992. Malheureusement, la faiblesse des Nations unies, le manque dintérêts vis-à-vis des souffrances des Sahraouis par les grandes nations mais surtout les manSuvres marocaines ont fait que la tenue de ce référendum soit retardée. Il y a eu un processus de négociations entamé depuis dix ans déjà mais qui na pas abouti non plus. Aujourdhui, le processus des négociations est quasiment bloqué pour cause de lintransigeance du Maroc. Lequel Maroc soutenu par une France qui fait tout pour que son enfant gâté sorte gagnant de cette entreprise coloniale. Cest la France qui a bloqué toutes les résolutions qui devaient faire obliger le Maroc à accepter et à mettre en Suvre les résolutions du Conseil de sécurité.
Cest aussi la France qui a bloqué en avril dernier une résolution du même Conseil de sécurité portant sur la création au sein de la Minurso dun mécanisme de protection des droits de lHomme dans les territoires occupés. Autrement dit : le combat des Sahraouis nest pas seulement contre loccupant direct qui est le Maroc mais aussi son allié, la France et surtout contre ce mutisme de lEspagne officielle. 
El Djazaïr.com : Selon vous, pourquoi la France agit-elle de la sorte ?
Brahim Mokhar : Il existe un jeu malsain dintérêts entre les deux pays. Ce nest un secret pour personne. 
El Djazaïr.com : Vous avez récemment affirmé que le processus de négociation est bloqué. Doit-on sattendre à ne plus voir le Polisario assis autour dune même table avec le Maroc, du moins pour le moment ? 
Brahim Mokhar : La récente résolution 20/99 du Conseil de sécurité de lONU avait demandé à Christopher Ross dentreprendre encore une fois des efforts pour la mise en Suvre des résolutions onusiennes pour un référendum au Sahara occidental. Cependant, depuis avril 2013, on na constaté aucune évolution. Et tout dépend de ce que pourra apporter la visite de lenvoyé personnel du Secrétaire général de lONU pour le Sahara occidental pour décider de la suite à donner à notre lutte pour le recouvrement de lindépendance nationale. Mais dici là, nous pouvons affirmer une fois de plus que les populations sahraouies sont frustrées. La direction du Polisario subit dénormes pressions de la part de sa base qui tient à mettre un terme à une occupation illégale de ses terres et aussi à notre collaboration avec lONU. Notre jeunesse, particulièrement, pense que les Nations unies nont pas les capacités de résoudre le problème. Notre jeunesse estime aussi que le moment est venu pour une deuxième lutte pour la libération du Sahara occidental. 
El Djazaïr.com : Peut-on comprendre par là que la reprise des armes nest pas exclue ? 
Brahim Mokhar : Tout dépend des Nations unies. Si lONU nous envoie des signes positifs quelle est en mesure de mettre en application ses propres résolutions, nous sommes toujours pour une solution pacifique permettant, sans condition aucune, au peuple sahraoui de sautodéterminer à travers un référendum libre et juste supervisé par les Nations unies et lUnion africaine. Dans le cas contraire, tous les Sahraouis, à leur tête le Front Polisario, ne resteront pas les bras croisés. Lindépendance nationale est notre seul objectif. Pour y parvenir, nous userons de tous les moyens possibles, y compris le recours une deuxième fois à la lutte armée. Notre patience a atteint son summum. Vingt-deux ans après un cessez-le-feu qui na rien apporté de plus que les souffrances, nous estimons légitime de reprendre le chemin des armes. Nous sommes à la limite. Aucun peuple vivant dans les conditions aussi difficiles que les Sahraouis naura attendu toute cette période. Un cessez-le-feu plus long quune guerre (1976-1991), cest du jamais-vu. 
El Djazaïr.com : Un blocus médiatique est imposé sur les territoires occupés et les Sahraouis sont soumis quotidiennement à toutes sortes dintimidations et à toutes formes de violences. Selon les rapports qui vous parviennent, peut-on avoir un aperçu de la situation des droits de lHomme de lautre côté du mur ? 
Brahim Mokhar : La situation sest beaucoup détériorée au cours de lannée 2013 et ce nest pas nous qui le disons. Des rapports de différentes ONG, rendus publics, lattestent bel et bien. Le Maroc renforce sa présence avec plus déléments de la police et de militaires. Plus de place dans les prisons. Les militants de la cause sahraouie, quils soient femmes, hommes ou enfants, y sont jetés quotidiennement. Cest une situation purement coloniale dun Maroc qui est en train de compter ses derniers instants doccupation, car aucune pratique inhumaine na dissuadé les Sahraouis de dénoncer cette présen
ce coloniale. Bien au contraire, à chaque fois que les violations multiples des droits humains samplifient, la résistance est redoublée. Le message est clair : le Sahara occidental nest et ne sera jamais marocain. Inéluctablement, tôt ou tard, le Maroc sassoira malgré lui à la table des négociations sous la pression de ce qui se passe justement dans les territoires occupés.
El Djazaïr.com : On ne peut évoquer les violations des droits humains dans les territoires occupés, sans revenir trois ans en arrière et rappeler ce qui sest passé un certains 8 novembre 2010 non loin de la capitale El-Ayoun occupée, à Gdeim Izik. Certains des animateurs avaient été condamnés à de lourdes peines par des tribunaux militaires ; des informations concernant les disparus ? 
Brahim Mokhar : Difficile davancer un chiffre exact mais une chose est sûre, il y en avait beaucoup. La sauvagerie avec laquelle avait été démantelé ce camp, renseigne sur latrocité de loccupant marocain et de ses forces de sécurité. 
El Djazaïr.com : Le Maroc accuse souvent le Polisario de groupe terroriste& 
Brahim Mokhar : Cela ne nous surprend nullement. Le Maroc, pour dénigrer notre image, est prêt à tout. Le Polisario est partie prenante dans la lutte des pays du Sahel dans leur lutte contre le terrorisme dont lun des groupes, le Mouvement pour lunicité et le jihad en Afrique de lOuest (Mujao), est une pure création des services secrets marocains. Nous avons à maintes fois apporté des preuves concrètes quant à ce lien direct existant entre les deux parties. Le Mujao a été crée, entre autres, pour ternir limage du Polisario. Lenlèvement des trois coopérants étrangers dans les camps des réfugiés en octobre 2010 en est une preuve formelle. 
El Djazaïr.com : On assiste ces derniers temps, de par le monde, à une prise de conscience de la cause sahraouie. Cependant, la presse arabe ne sy intéresse que rarement. Pourquoi cet oubli selon vous ?
Brahim Mokhar : A mon avis, cest parce que les Arabes nont aucun rôle à jouer dans la politique mondiale. Dautre part, la plus grande majorité de ces pays est dirigée par des monarques qui ne cachent pas souvent leur affinité avec le royaume marocain. Cette solidarité entre les Palais a fait que la presse arabe ne sintéresse pas au conflit du Sahara occidental. 
El Djazaïr.com : LAlgérie néchappe pas à la propagande marocaine.
Brahim Mokhar : Juste. Les Marocains sont jaloux de la puissance de lAlgérie mais aussi de son rôle prédominant sur la scène régionale et internationale. Le Maroc nadmet surtout pas le fait que lAlgérie sest toujours montrée solidaire avec les Sahraouis. Aussi, les Algériens ne devraient pas sétonner de cette campagne de dénigrement de la part dun Maroc connu pour avoir toujours nagé dans des eaux troubles. 
El Djazaïr.com : Dautre part, les Marocains ne cessent de faire justement le lien entre le soutien de lAlgérie à la cause sahraouie et la fermeture des frontières terrestres entre les deux pays. Un commentaire à ce propos ? 
Brahim Mokhar : Je dirai tout simplement que le Maroc a tort. La fermeture des frontières na rien à voir avec le conflit au Sahara occidental du moment quelles sont fermées depuis 1994 alors que loccupation illégale des territoires sahraouis date de près de quarante ans. Les Marocains pourront peut-être nous dire pourquoi le conflit navait pas été résolu avant cette date. LAlgérie a procédé à la fermeture des frontières pour des raisons évidentes que le Maroc connaît très bien. Il tente juste de créer la confusion. Mais le baratin marocain nest plus un secret pour quiconque. 
M. A. M.
El Djazaircom.dz, Janvier 2014

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*