Moncef Marzouki sur un terrain glissant à Alger

Par Hakim Merabet

A la veille de sa première visite officielle en Algérie, le président « provisoire » de la Tunisie, Moncef Marzouki a cru bon d’adoucir un peu son lexique à l’égard de l’Algérie qu’il a désigné à plusieurs reprises du doigt comme étant l’empêcheur de tourner en rond au Maghreb.

A partir de Nouakchott, où il est en visite, Marzouki a multiplié les formules flatteuses pour, escompte-t-il, amener Alger à de meilleurs sentiments. « J’ai reçu l’appui du Roi Mohamed VI et du président mauritanien Ould Abdel Aziz pour la tenue d’un sommet le plus tôt possible. La grande soeur, l’Algérie, fera de même, j’en suis sûr », a-t-il déclaré cet après midi dans une conférence de presse.

On remarquera d’emblée que Moncef Marzouki s’autoproclame déjà  » leader  » de l’union maghrébine en (re) construction lorsqu’il précise qu’il a reçu l’appui de Rabat et Nouakchott. Comprendre, que c’est lui-même qui a décidé d’impulser cette dynamique de retrouvaille. Un activisme moyennement apprécié à Alger où l’on n’a jamais cessé d’appeler le Maroc à s’inscrire dans cette perspective en laissant la question sahraouie aux Nations Unis.

Mais le royaume a toujours couplé l’idéal maghrébin à une reconnaissance de sa colonisation du Sahara occidental. C’est donc à ce niveau que les choses se corsent. Pourquoi l’Algérie serait-elle contre la tenue d’un sommet de l’UMA auquel Marzouki appelle de ses vœux ? Jusqu’à preuve du contraire c’est le souverain alaouite qui a toujours décliné les propositions d’Alger de se rassembler autour de ce qui « nous rassemble ».

Jouer dans la cour des grands, çà se mérite…

Mais cette fois, Marzouki, qui faut-il le signaler au passage est marocain d’origine, prétend pouvoir infléchir la position algérienne sur la question sahraouie. A ce propos, on peut d’ores et déjà anticiper que ce sera un échec cuisant pour lui, du fait que l’Algérie en fait un des fondamentaux de sa politique étrangère depuis 1975. « Nous estimons que le départ des dictateurs qui sévissaient en Tunisie et en Libye offre désormais au Maghreb Arabe les conditions psychologiques de sa remise en marche », a déclaré aujourd’hui Marzouki depuis Nouakchott.

Tout se passe comme si ce furent Kadhafi et Ben Ali qui empêchaient la construction de l’UMA…Or, le président provisoire de la Tunisie sait bien que ce bloc régional se construira d’abord et avant tout entre l’Algérie et le Maroc qui pèsent à eux seuls près de 80 millions d’habitants. Il serait alors pour le moins prétentieux de sa part de vouloir jouer au parrain alors que les enjeux se négocient ailleurs. L’idéal maghrébin n’a strictement rien avoir avec un quelconque blocage psychologique.

Les ressortissants des cinq pays de l’Afrique du nord savent très bien qu’ils sont frères et qu’ils sont condamnés à le redevenir un jour. Pour le détail : Au fort de la brouille algéro-marocaine, des ministres des deux pays échangeaient des visites. Moncef Marzouki n’a donc rien proposé de bien original sinon qu’il a « commis » des déclarations malencontreuses à l’égard de l’Algérie. Comme celle de dire que l’arrêt du processus électoral « était une erreur », ou encore celle dans laquelle il a exprimé son appui à peine déguisé au plan d’autonomie marocain dans le dossier sahraoui.

Déclarations inamicales

Des positions et des propos qui ont hérité Alger au point de soulever des réactions officielles, comme autant de mises au point. Dernière en date, celle du porte parole du MAE qui a réagi aux commentaires de Marzouki faits à Rabat. « La question récurrente de la médiation entre l’Algérie, d’une part, et le Maroc et la Libye, d’autre part, est une pure vue de l’esprit puisque tous les canaux sont ouverts avec ces deux pays frères « .

Et de rappeler que le ministre des Affaires étrangères marocain a séjourné récemment dans notre pays et des délégations libyennes sont à pied d’œuvre actuellement en Algérie dans le cadre de la coopération sécuritaire et cela en prélude à des visites imminentes de membres du gouvernement libyen en Algérie ».

Mieux encore, quand Marzouki s’est hasardé à donner des leçons sur la réouverture des frontières algéro-marocaines et la tenue d’un sommet de l’UMA, il a provoqué une réaction sèche du MAE. « La question de la réouverture de la frontière avec le Maroc est une question souveraine (…). La réactivation de l’UMA a été portée par la diplomatie algérienne et ce depuis le mois de mai 2011 », a précisé le porte parole du département de Medelci. Il est clair que cette mise au point équivaut à un franc rappel à l’ordre adressé à Moncef Marzouki.

Et à entendre sa déclaration aujourd’hui depuis Nouakchott, le président tunisien semble avoir tiré la leçon de ses « dérapages » verbaux. « Si nous acceptons de rester sur l’ancien système, nous n’avancerons jamais, il faut contourner la barrière du conflit du Sahara Occidental, oeuvrer à changer les mentalités et évoluer vers la remise en marche de cette machine en panne ». Brusque changement de ton de Marzouki à la veille de son voyage en Algérie où il est attendu…de pied ferme.

La diplomatie et le porte-monnaie

Il semble, en effet, revenir lui même à de meilleurs sentiments à savoir qu’à défaut de régler le contentieux du Sahara occidental, le Maroc et l’Algérie gagneraient à le contourner, c’est-à-dire de le laisser à l’appréciation de l’ONU, conformément à la légalité internationale. Et c’est exactement ce qu’a toujours préconisé l’Algérie !

Résultats des comptes, Moncef Marzouki qui brigue le poste de président de la République de Tunisie l’année prochaine – par la voie du suffrage universel cette fois – a commis des erreurs d’appréciations. A trop vouloir se donner une aura régionale de redresseurs de torts, il a oublié qu’il est provisoirement, à la tête d’un petit pays sans grande influence.

Aussi, dépouillé des prérogatives attachées à la fonction présidentielle dans son pays, Marzouki, ne peut raisonnablement prétendre jouer le beau rôle sur la scène maghrébine. A Alger, on va certainement lui rappeler ces vérités. On va lui préciser aussi que dans le monde d’aujourd’hui le poids et l’influence diplomatique se mesurent aussi et surtout à l’aune du porte-monnaie…

Algérie-plus, 11/2/2012

1 Commentaire

  1. Malgré mon aspiration à un grand Maghreb uni,je pense que la diplomatie algérienne est plutôt sage dans ses décisions.
    Refuser de ré-ouvrir la frontière n'est pas seulement une affaire de souveraineté nationale, mais un moyen de négociation pour une union saine débarrassée de tout contentieux qui puisse la remettre en question un jour.

    Car ne l'oublions pas cette frontière
    qui nous sépare de notre voisin de l’Ouest,n'est toujours pas reconnue officiellement par la partie marocaine, dont le parlement
    n'a toujours pas entériné les accords signés par Feu Hassan II, avec l'Algérie,notre suspicion envers le Maroc n'est pas fortuite,
    sachant qu'il existe des personnalités importantes et bien placés au Maroc, des irréductibles, adeptes de la vision d'un « grand Maroc » qui devrait s’étendre jusqu'aux confins du Sénégal, englobant une grande partie de notre territoire.
    l'agression Du Maroc envers un État Algérien, qui venait juste de naitre en 1963, ne plaide pas non plus pour établir des relations basées juste sur des sentiments ethniques ou religieux, surtout si ce pays n’hésite pas à recourir à l'aventure même militaire pour coloniser ses voisins , l'affaire Du Sahara est là pour le confirmer. Envers et contre tous,
    le Maroc s'entête depuis 1975 à dénier même le choix d'une autodétermination à un peuple pacifique, qui ne réclame pourtant que la liberté de choisir son avenir. Le régime marocain est en contradiction avec lui même,il ne cesse de déclarer que ses terres sont sacrées, mais il n'a jamais fait aucun effort pour récupérer
    Melila et Sebta, qui réellement lui appartiennent de droit.

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