Mon fils est mort… Vive le roi!

Existe-t-il pareille injustice que de perdre son enfant et de ne pas pouvoir nommer les coupables? Pire encore, devoir les glorifier. Dans n’importe quel Etat, la mort d’un citoyen sous la torture, dans un commissariat de police, jèterait le discrédit sur tout l’appareil étatique, sur l’institution policière, sur le ministre de tutelle et sur le chef d’Etat en personne. Au Maroc, il n’en est rien. La mort d’un jeune sous la torture est une occasion de plus de glorifier le roi, y compris par la propre mère du défunt.
L’aveuglement des élites occidentales qui se sont faites chantres du régime de Mohammed VI y verrait « l’amour de tout un peuple pour son roi » ou encore « l’incontestable popularité de Mohammed VI ». Pourtant, ces mêmes commentateurs ont bel et bien vu de l’aliénation au culte de la personnalité, de la terreur et de la soumission dans l’affliction hystérique des Coréens du Nord qui pleuraient leur dictateur.
Dans cette vidéo, la mère de Lasri Cherqaoui, décédé entre la nuit d’hier et ce matin dans un commissariat de Témara (cf. un précédent post de Vox Maroc), pleure le décès de son fils, raconte l’inénarrable attitude des policiers, et ce mensonge que construit la machine policière autour d’une prétendue maladie rénale dont serait atteint Lasri, et dont sa propre mère n’est pas au courant. Comme tout le monde le sait au Maroc, les récurrents décès dans les commissariats sont toujours dus à des crises cardiaques, des maladies pulmonaires, et tout un tas de syndromes subits chez les gardés-à-vue. Cette femme qui raconte le drame de son fils, sans doute se sachant filmée, ou alors par crainte de représailles si elle est associée à certains propos subversifs tenus par l’assemblée, ajoute après un bref silence : « Et vive le roi! ».
Pourtant, dans la manifestation organisée par les habitants du quartier, le slogan est « Cherqaoui est mort assassiné, et la police en est responsable ». Pourtant, au Maroc, tout le monde sait que le sécuritaire relève directement du palais royal.
Traduction :
Mère du défunt : « Je suis la mère de Lasri Cherqaoui. Mon fils a été arrêté. La police m’a appelé et m’a appris qu’il a été arrêté vendredi soir, vraisemblablement pour ivresse sur la voie publique*. Il était dehors dans le quartier, son père lui a demandé de rentrer à la maison, mais il lui a répondu de ne pas s’inquiéter, et qu’il était juste dans le coin. Après son arrestation, un policier m’a téléphoné et m’a demandé si j’étais bien la mère de Lasri Cherqaoui. Il m’a demandé d’apporter des baskets, des chaussettes, un blouson, des affaires et de quoi manger à mon fils. Lorsque j’y suis allée, les policiers m’ont donné une ordonnance, et ils ont insisté pour que je la leur rende. Ils m’ont dit d’aller à la pharmacie en face pour acheter les médicaments et revenir. Je les ai achetés. Ils m’ont dit : « ton fils est juste malade des reins », ils ne m’ont pas dit qu’il avait été battu. Je leur ai demandé de me donner les affaires qu’il portait, mais ils ont refusé. Comme ils m’avaient demandé de lui apporter à manger, je lui apporté le déjeuner, puis le dîner, puis le petit-déjeuner le jour de l’Aïd*. Je suis retournée au commissariat hier soir, ils m’ont dit d’abord d’aller à la Cour Pénale, puis ils m’ont dit d’aller au tribunal de Première Instance. J’y étais ce matin à la première heure, mais les policiers m’ont dit qu’ils avaient un seul détenu: « Lasri Cherqaoui, nous ne l’avons pas amené, vous n’avez qu’à aller au commissariat ». Je suis retournée au commissariat, mais je n’ai pas pu mettre la main sur mon fils non plus. J’ai juste trouvé des policiers qui me regardaient bizarrement. Lorsque je leur donner de la nourriture ou des cigarettes pour lui, je leur demandais comment il allait, ils me disaient à chaque fois qu’il allait bien. Je suis revenue à la maison, et j’ai dit à son père que j’avais des doutes, puisque les policiers qui ont arrêtés mon fils se comportaient avec une certaine tendresse, il était fort à parier que quelque chose soit arrivé à mon fils. Ils m’ont dit « ton fils a une maladie des reins, et tu le sais très bien ». Ce qui est absolument faux. Les médicaments que j’ai achetés sont Codoliprane, le paquet rouge, et une autre boîte de comprimés. Je les ai achetés à la pharmacie qui se trouve en face du commissariat. Ils ne me laissaient pas entrer le voir, ils me faisaient entrer jusqu’au bout d’un couloir, ensuite le commissaire est venu récupérer les affaires que j’apportais à mon fils, mais il ne les lui a jamais données ».
Journaliste : « Alors comment avez-vous su que votre fils n’était plus ici, et qu’il était à l’hôpital? »
Mère du défunt : « Ce sont eux qui me l’ont dit. Je suis allée demander des ses nouvelles au commissariat aujourd’hui. Ils sont venus chercher son père à la maison entre-temps. Il n’y a a priori aucune raison pour qu’ils viennent chercher son père, mon fils n’a ni volé, ni fait entrer quoi que ce soit à la maison. Lorsque j’ai appris que son père était allé le chercher, j’ai compris que mon fils était mort ». 
Journaliste : « Ils vous ont dit qu’il était mort? ».
Mère du défunt : « ils se regardaient bizarrement, et ils m’ont dit qu’il était à l’hôpital. J’ai donc compris que mon fils était mort. Ils l’ont emmené mort à l’hôpital, il est mort au commissariat. Il est à l’hôpital Avicenne* ».
Témoin 1 : « Lorsque je suis allé le voir à l’hôpital Avicenne, il était défiguré. J’ai demandé à un employé depuis quand il était là, ils m’a répondu qu’il l’avaient apporté mort le matin-même. C’était dans la chambre froide où j’avais demandé à le voir. Son visage était plein d’ecchymoses, il avait les yeux au beurre noir, totalement explosés ». 
Témoin 2 : « Nous voulons qu’ils soient jugés, ceux qui en arrivent à assassiner. Ce sont eux qui l’ont tué. Ils nous considèrent comme de la racaille, parce que nous vivons dans des bidonvilles, alors que c’est à cause d’eux ». 
Femme : « Tout ça, c’est à cause des manifestations. C’est parce que nous participons à des manifestations ». 
Témoin 2 : « Il s’agi

t d’une cellule terroriste, mais Vive le roi! ». 

Mère du défunt (en pleurs) : « Mon fils n’a jamais fait de mal à personne, il n’a même pas construit une baraque illégalement. Moi je ne veux ni baraque ni rien, je voulais simplement sortir de ce taudis (…) Pour moi, il y avait une justice, un tribunal. Je suis sortie de la maison avec l’argent de la caution de l’ivresse pour le faire sortir (elle montre les billets). Les voilà, j’étais prête à payer. Je suis allée au tribunal de Première Instance, il n’était pas là (…) J’a pris un taxi, je suis venue au commissariat, et lorsqu’ils m’ont dit que son père était allé le chercher, j’ai compris qu’il était mort. Après son arrestation, ils m’ont demandé de lui apporter des médicaments. (Silence). Et vive le roi! ». 
Zineb El Rhazoui
* L’estimation du délit au Maroc est laissée à la discrétion de l’agent de police. Une simple haleine éthylique peut valoir une nuit au poste, voire une condamnation.
* Aïd El Miloud, commemoration de la naissance du prophète Mahomet.
* CHU de Rabat.
VoxMaroc, 7/2/2012

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