Les demandes formulées par l’administration Obama au souverain alaouite peuvent paraître, du point de vue des droits de l’homme, modestes ou timorées, mais aucun pays européen, parmi ceux qui entretiennent des relations étroites avec le Maroc, n’oserait les formuler.
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Lors d’une visite de travail à Washington il y a un an, le roi Mohammed VI du Maroc a pris un triple engagement discret avec son hôte, le président Barack Obama, concernant le Sahara occidental. Cet engagement n’a pas été mentionné dans le communiqué officiel.
L’accord conclu à l’époque a été révélé grâce à Chris Coleman, un compte Twitter anonyme qui a diffusé depuis quatre semaines des dizaines de documents confidentiels de la diplomatie marocaine. Il est consigné dans un câble que l’ambassadeur adjoint du Maroc auprès de l’ONU, Abderrazzak Laassel, a envoyé le 1ᵉʳ août dernier à son ministre pour rendre compte de la conversation qu’il avait eue avec son homologue américaine, Rosemary DiCarlo.
Un an plus tôt, en avril 2013, l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU, Susan Rice, avait tenté de modifier la résolution que le Conseil de sécurité vote chaque année en avril sur le Sahara afin de proroger le mandat de la MINURSO, le contingent de casques bleus déployé dans l’ancienne colonie espagnole. Rice avait proposé d’élargir ses compétences pour qu’elle puisse s’occuper des droits de l’homme, mais Rabat, soutenu par plusieurs capitales européennes, s’y était opposé.
Sept mois plus tard, l’administration Obama est revenue à la charge avec de nouvelles idées et a obtenu un triple engagement du monarque. Le roi a accepté de mettre en place un programme de visites au Sahara du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ; de légaliser un plus grand nombre d’ONG sahraouies ; et de renoncer à ce que les civils sahraouis — et, par extension, marocains — puissent être jugés par des tribunaux militaires.
Dans quelle mesure Mohammed VI a-t-il respecté ces engagements ? Eric Goldstein, directeur adjoint pour la région de l’ONG Human Rights Watch (HRW) et fin connaisseur du Maroc, répond à la question. « Le bilan de ce qui s’est passé depuis lors en ce qui concerne les visites d’enquête sur les droits de l’homme est positif », affirme-t-il. « Des rapporteurs spéciaux et des délégations ont pu s’y rendre et travailler dans de bonnes conditions », assure-t-il.
En revanche, le deuxième point n’a pas été respecté. « Le Maroc n’a légalisé au Sahara occidental aucune association dont il soupçonne que l’orientation ou la direction est hostile à sa présence sur ce territoire », explique Goldstein. Les principales victimes sont deux ONG de défense des droits de l’homme : le CODESA, dirigé par la célèbre militante Aminatou Haidar, et l’ASVDH, où une autre femme, Ghalia Djimi, joue un rôle de premier plan.
Concernant le troisième point, l’évaluation de Goldstein était ambiguë lorsqu’on lui a posé la question il y a quelques semaines. « Le projet de loi [mettant fin aux tribunaux militaires pour les civils] est bon, mais il n’a pas encore été formellement adopté. » Mohammed VI a présidé en mars le Conseil des ministres qui a approuvé la modification des compétences de la justice militaire, mais la procédure parlementaire ne s’est achevée que la semaine dernière. Elle entrera en vigueur dès que le monarque la promulguera.
Le dernier grand procès de civils par un tribunal militaire a eu lieu en février 2013. Vingt-cinq Sahraouis ont été condamnés à des peines allant de deux ans de prison à la réclusion à perpétuité. Le tribunal les a reconnus coupables de la mort de onze policiers antiémeutes marocains lors du démantèlement du camp de protestation sahraoui de Gdim Izik, en novembre 2010, près d’El-Aaiún. Amnesty International et HRW ont vivement critiqué le manque de garanties procédurales pour les accusés.
Plus récemment, en février, un jeune Malien de 18 ans a également comparu devant un tribunal militaire pour sa participation à la lapidation d’un policier marocain décédé aux portes de Melilla, près de la clôture que des immigrés tentaient de franchir.
Les demandes formulées par l’administration Obama au souverain alaouite peuvent paraître, du point de vue des droits de l’homme, modestes ou timorées, mais aucun pays européen, parmi ceux qui entretiennent des relations étroites avec le Maroc, n’oserait les formuler.
Source : El Mundo, 31/10/2014

Transcription du texte de la lettre:
Objet : Question Nationale / entretien téléphonique avec l’Ambassadeur Rosemary DiCarlo
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que j’ai reçu, ce matin, un appel téléphonique de l’Ambassadeur Rosemary DiCarlo, Représentant Permanent Adjoint des États-Unis à New York en charge de la question Nationale, qui a voulu m’informer que ses autorités « ont les inquiétudes » suivantes au sujet de la question du Sahara :
- La limitation par les autorités marocaines du mouvement du personnel des Nations Unies et de la MINURSO au Sahara,
- Au sujet du processus politique, Christopher Ross a programmé de visiter le Maroc et souhaite que sa visite ait lieu le plus rapidement possible,
- Les États-Unis attendent que le Maroc accorde, rapidement, son plein soutien à Madame Kim Bolduc, nouveau Représentant Spécial du Secrétaire Général,
- Durant la dernière visite de Sa Majesté le Roi à Washington, un accord a été conclu pour :
- Établir un programme de visites régulières du Haut-Commissariat pour les Droits de l’Homme au Sahara,
- L’enregistrement de plus d’ONG originaires du Sahara,
- Cesser les poursuites judiciaires des civils par le tribunal militaire, mais les progrès sont très lents sur ces trois questions.
- Durant le dernier entretien entre Monsieur l’Ambassadeur Omar Hilale et L’Ambassadeur Samantha Power, RP des États-Unis, cette dernière a été « surprise » par l’affirmation de l’Ambassadeur Hilale qui l’a informée qu’étant celui qui a conclu les termes de référence de la visite des experts du HCDH au Sahara, il n’a jamais été question de visites régulières ou de programme de visites au Sahara.
Enfin, l’Ambassadeur Di-Carlo m’a informé que ces « inquiétudes » (concerns) seront également communiquées par l’Ambassade des États-Unis à Rabat aux autorités marocaines.
Haute considération
Le Représentant Permanent Adjoint
Abderrazzak LAASSEL
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