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L’Espagne saisit Eurojust pour débloquer l’enquête sur Pegasus et la piste marocaine

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À l’origine de cette initiative, le juge José Luis Calama, chargé du dossier, déplore l’échec total de la coopération bilatérale. Huit mois après avoir sollicité l’accès aux données techniques transmises par la société israélienne NSO Group aux autorités françaises, Madrid n’a reçu aucune réponse de Paris. Israël, de son côté, n’a donné suite à aucune des quatre commissions rogatoires envoyées depuis 2022.

L’enquête espagnole sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus connaît une nouvelle accélération. Face au silence persistant de la France et d’Israël, l’Audiencia Nacional a décidé de saisir Eurojust, l’agence européenne de coopération judiciaire, afin de contraindre les États concernés à collaborer, a rapporté lundi Afrik.com. Cette démarche marque un tournant dans une affaire aux lourdes implications diplomatiques, impliquant potentiellement les services de renseignement marocains dans l’espionnage de responsables espagnols et français, indique-t-on.

À l’origine de cette initiative, le juge José Luis Calama, chargé du dossier, déplore l’échec total de la coopération bilatérale. Huit mois après avoir sollicité l’accès aux données techniques transmises par la société israélienne NSO Group aux autorités françaises, Madrid n’a reçu aucune réponse de Paris. Israël, de son côté, n’a donné suite à aucune des quatre commissions rogatoires envoyées depuis 2022.

Selon le média sénégalais, en février 2025, une nouvelle ordonnance d’enquête européenne avait déjà mis en évidence les limites de l’entraide judiciaire existante : les informations communiquées jusque-là n’ont permis « aucune avancée significative » dans l’identification des auteurs de l’intrusion visant notamment le téléphone du Premier ministre Pedro Sánchez et de plusieurs ministres espagnols. Pour le magistrat, seule l’intervention d’Eurojust peut désormais permettre l’audition du PDG de NSO Group et l’accès aux dossiers complets détenus par la justice française.

L’insistance espagnole repose sur des éléments techniques jugés déterminants. Le Centre cryptologique national (CCN) a identifié une infrastructure numérique unique ayant servi à cibler à la fois des responsables espagnols et des personnalités françaises. Un même compte email — linakeller2203@gmail.com — aurait été utilisé pour infecter les téléphones de ministres espagnols, mais aussi pour espionner en France une militante pro-sahraouie, un diplomate du Front Polisario et un journaliste marocain exilé. Cette convergence accréditerait l’hypothèse d’un opérateur unique, soupçonné d’être lié aux services marocains. Les périodes d’exfiltration de données coïncident en outre avec la crise migratoire de Ceuta en mai 2021, moment de fortes tensions entre Madrid et Rabat.

Ces révélations placent le gouvernement espagnol dans une position délicate, alors que le rapprochement diplomatique avec le Maroc constitue un axe central de sa politique étrangère. Elles mettent également en lumière l’attitude prudente de la France, où l’enquête judiciaire progresse dans la discrétion malgré une liste de victimes comprenant le président Emmanuel Macron, plusieurs ministres et des journalistes. Selon des sources médiatiques et des ONG comme Reporters sans frontières, Paris disposerait depuis longtemps d’indices solides sur l’implication marocaine, sans pour autant les rendre publics, au nom de la Realpolitik.

En sollicitant Eurojust, l’Espagne espère contraindre la France à clarifier sa position et à respecter ses obligations de coopération judiciaire européenne. Cette initiative pourrait ainsi transformer une affaire d’espionnage en un test majeur de transparence, de solidarité judiciaire et d’équilibre diplomatique au sein de l’Union européenne.

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