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Maroc : « Ould Echaouafa » incarne le pouvoir du Makhzen

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Fouad Ali El Himma n’est pas seulement une « personnalité puissante », mais le symbole d’un modèle de gouvernance qui préfère le réseau ou la mafia à l’État, l’ombre à la lumière, et la gestion fermée au débat public au Maroc.

Qandyl Mohamed – Blogueur marocain, militant indépendant des droits humains et activiste politique

Au Maroc, il n’est pas facile de tracer une frontière claire entre l’État et la personne, ni entre l’institution et le réseau, ni entre la décision publique et l’intérêt privé. Toutes les routes politiques, sécuritaires et économiques semblent mener à un seul point appelé Ali El Himma, populairement connu sous le nom de « Ould Chouafa » — non pas parce qu’il est le plus visible, mais parce qu’il est le plus présent dans l’invisible : dans les mécanismes de prise de décision, dans l’ingénierie des équilibres, dans la redistribution de l’influence et dans la délimitation de ce qui est permis et de ce qui est interdit à l’intérieur d’un pays censé être gouverné par une constitution et des institutions.

Le rapport d’Africa Intelligence n’a pas présenté El Himma comme un conseiller royal au sens protocolaire, mais plutôt comme un nœud d’un réseau étendu où se croisent renseignement, médias, diplomatie, économie et sport. Ce réseau n’est pas un simple ensemble de relations, mais une structure parallèle de gouvernance qui pénètre tous les dossiers stratégiques — du Sahara occidental à la normalisation, de la restructuration des médias à l’organisation de grands événements sportifs. Lorsque le réseau devient l’État, l’ensemble du peuple devient, dans la pratique, l’otage de ses équilibres.

Ce qui frappe dans le modèle d’El Himma, ce n’est pas seulement l’ampleur de l’influence, mais sa nature : une influence qui n’a pas besoin de signature officielle ni de discours public, car elle opère selon la logique du « feu vert ».

Ici, le feu vert n’est pas une décision écrite, mais un climat politique qui produit un silence général et crée une zone d’ombre où personne n’ose dire « non » ou « ça suffit ». Ainsi, les institutions sont domestiquées, les élites deviennent des façades, les loyautés se reproduisent au lieu de demander des comptes aux politiques publiques, et quarante millions de Marocains vivent dans un pays doté d’une constitution mais gouverné par la logique des réseaux, où les décisions ne sont pas débattues mais simplement entérinées.

Dans le dossier du Sahara occidental, l’une des fonctions les plus dangereuses d’Ali El Himma au sein du système dirigeant se révèle. La question officiellement présentée comme une « cause nationale » n’est en réalité qu’un dossier de décolonisation ajourné, concernant un peuple qui possède un droit inaliénable à l’autodétermination selon les résolutions des Nations unies, et non une carte de souveraineté comme le promeut le Makhzen.

Le rôle d’El Himma dans l’ingénierie de la soi-disant « proposition d’autonomie » n’était pas la recherche d’une solution juste ou durable, mais une tentative de reconditionner une occupation politique dans un langage de négociation feutré, vendu à l’étranger comme « réaliste », tout en étant utilisé à l’intérieur pour étouffer tout débat sur l’essence de la question. Ici, le Sahara occidental, en tant que territoire soumis à la décolonisation, est transformé en monnaie d’échange dans le bazar des intérêts internationaux, et le droit d’un peuple entier à l’autodétermination est réduit à une carte de pression entre les mains d’un réseau dirigeant qui ne voit la terre que comme un champ d’expansion de l’influence, et les êtres humains que comme des chiffres dans une équation sécuritaire.

Dans les médias, lorsque le paysage audiovisuel a été réorganisé et que les chaînes centrales ont été placées sous la tutelle de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision, il ne s’agissait pas d’une simple «réforme administrative», mais d’une étape visant à réingénier la conscience publique : la pluralité est réduite, le discours est unifié, la critique est assiégée au nom du professionnalisme. Le résultat n’est pas un service public médiatique, mais un récit unique répété jusqu’à devenir une vérité officielle, tandis que les questions sont reléguées aux marges.

Sur le plan économique, le tableau est encore plus sombre : la vente d’établissements d’éducation et de santé, l’ouverture de secteurs vitaux à des réseaux d’investissement spécifiques, et la circulation de l’argent au sein de cercles étroits — le tout au nom de la « modernisation » et de « l’attraction des investissements ». Or, la modernisation ici ne signifie pas l’élargissement des opportunités, mais leur redistribution au sein d’un réseau qui sait parfaitement qui profite et qui paie le prix.

L’éducation et la santé, au lieu d’être des droits publics, deviennent des marchandises, et l’État se transforme en intermédiaire entre le marché et le réseau.

En politique étrangère apparaît le visage le plus sensible : la poussée de la normalisation jusqu’à ses limites extrêmes. Le problème n’est pas le principe des relations internationales, mais la manière dont les grands choix sont imposés sans véritable débat public ni réelle responsabilité politique. Lorsque les transformations géopolitiques sont gérées en coulisses, la société devient un simple récepteur plutôt qu’un partenaire, et la souveraineté se transforme en décision descendante au lieu d’être une volonté collective.

Lorsque les Marocains parlent de « Ould Echouafa », ils n’emploient pas un surnom folklorique innocent, mais décrivent — dans un langage symbolique lourd — la nature du pouvoir que cet homme incarne. « Chouafa » n’est pas ici une femme qui lit les lignes de la main, mais un modèle de gouvernance fondé sur l’ambiguïté, sur la fabrication de la crainte et sur la gestion de l’État avec une mentalité de « talismans » plutôt que de droit. Ali El Himma ne gouverne pas par l’apparence mais par l’ombre, ne décide pas par décret mais par signal, n’impose pas son influence par la loi mais par le climat qu’il crée — un climat de peur, d’ambiguïté et de messages non écrits où chacun comprend sans que rien ne soit dit.

Ainsi, la politique devient un rituel, les institutions deviennent des outils, et l’État devient un espace dominé par les « talismans du pouvoir » plutôt que par la clarté de la reddition des comptes. Lorsqu’on dit que l’homme gouverne « par les sortilèges des Chouafa », cela signifie que le Maroc est aujourd’hui dirigé selon une logique politique magique : l’ambiguïté au lieu de la transparence, la loyauté au lieu du droit, et la crainte au lieu de la légitimité.

Ali El Himma n’est pas seulement une « personnalité puissante », mais le symbole d’un modèle de gouvernance qui préfère le réseau ou la mafia à l’État, l’ombre à la lumière, et la gestion fermée au débat public. Le danger ne réside pas dans le nom, mais dans la règle qui permet à un seul nom de marquer le destin d’un pays tout entier. Ici, la « stabilité » devient un mot utilisé pour justifier le silence, les « réformes » deviennent une façade pour réaménager l’influence, et le « soft power » devient un masque pour reconditionner un régime politiquement malade.

Au final, le problème n’est pas que cet homme soit « destructeur » ou un « ingénieur de la destruction », mais que le modèle de gouvernance qu’il incarne vide la politique de son sens, transforme la patrie en dossier, le dossier en transaction, et le citoyen en un chiffre dans une équation dont il ne possède pas les clés. Lorsqu’un pays atteint ce stade, la véritable question n’est pas de savoir qui gouverne, mais pourquoi nous ne sommes pas autorisés à savoir comment il gouverne ou contrôle.

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