Reconnaître l’assassinat de trois figures du mouvement national est peut-être un acte important pour la mémoire française, mais c’est un acte d’une extrême banalité pour les Algériens. (Photo: DR)
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Loi criminalisant le colonialisme : une refondation totale des relations algéro-françaises
Abed Charef
Le Parlement algérien a offert au président français Emmanuel Macron un cadeau de Noël bien encombrant. Avec la loi algérienne criminalisant le colonialisme, adoptée par l’Assemblée Nationale le 24 décembre 2025, les relations algéro-françaises vont être gelées de fait, probablement jusqu’à la prochaine élection présidentielle en France. Dès que le processus d’adoption sera finalisé -le texte doit être validé par Conseil de la Nation, une simple formalité, avant promulgation officielle-, cette loi aura un impact immédiat sur au moins trois points sensibles, sans préjuger, à plus long terme, d’autres implications, nombreuses, avec de multiples ramifications.
En lui-même, le texte est court, dense, assez exhaustif, même si le chercheur en histoire Hosni Kitouni, qui en fait une critique remarquable, trouve qu’il « manque de rigueur scientifique et juridique ». Ce n’est pas pour autant un texte un purement idéologique, car il a des implications politiques et diplomatiques immédiates.
Fin de la gestion commune de la mémoire
Concrètement, la nouvelle loi met fin à l’approche engagée il y’a quatre ans par les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune pour traiter la question de la mémoire. Les deux chefs d’Etat avaient convenu de créer une commission d’historiens pour explorer le passé commun. Des premières rencontres ont été organisées, en vue de déminer le terrain. Parallèlement, l’historien Benjamin Stora avait recommandé au président Macron un certain nombre de gestes symboliques pour montrer la bonne volonté de la France sur ce sujet sensible.
Il est difficile de comprendre comment le président Tebboune a été entraîné dans cette idée de mémoire commune, une hérésie en fait. Il est, certes, possible, et même nécessaire, que les deux pays dépassent les blessures de l’histoire, se réconcilient, et coopèrent pour gérer les intérêts communs et organiser l’avenir. Mais comment, sur un plan mémoriel, réconcilier Aussarès et Ben M’Hidi, le colonel Pélissier et Ouled Riah, les descendants de Khelifa Mahrez et le harki qui l’a assassiné ?
La loi du 24 décembre met brutalement fin à cette illusion, et révèle le fossé qui sépare les deux pays sur ce point précis, comme l’a confirmé la réaction du ministère français des affaires étrangères à l’adoption de cette loi du 24 décembre. Ce texte constitue « une initiative manifestement hostile, à la fois à la volonté de reprise du dialogue franco-algérien, et à un travail serein sur les enjeux mémoriels », selon le Quoi d’Orsay. Une appréciation qui montre que la partie française n’a pas saisi l’ampleur du changement qui vient d’avoir lieu. Car non seulement la partie algérienne change de matrice dans son approche des relations bilatérales, mais elle montre l’absurdité de la vision française, qui considère comme progrès le fait de reconnaître que Ben M’Hidi, Maurice Audin et Larbi Boumendjel ont été assassinés par l’armée française. Là aussi, il est difficile de comprendre la cécité de la partie française : reconnaître des actes connus et documentés n’a pas de sens ; avouer que ces crimes ont été commis par l’armée française est un problème franco-français, pas algérien ; Reconnaître l’assassinat de trois figures du mouvement national est peut-être un acte important pour la mémoire française, mais c’est un acte d’une extrême banalité pour les Algériens.
L’Algérie tourne la page Macron
La loi du 24 décembre impose, de fait, un nouveau type de relations avec la France d’Emmanuel Macron. Les relations bilatérales seront probablement maintenues à minima, pour gérer les affaires courantes, traiter éventuellement des questions délicates liées au terrorisme et à la sécurité, mais sans plus. Les dossiers en suspens seront traités de manière froide si nécessaire, remis à plus tard s’il n’y a pas urgence.
En outre, l’adoption de la loi du 24 décembre signifie clairement que l’Algérie a tourné la page Macron. L’homme qui avait, lors de sa campagne de 2017, suscité un réel espoir pour engager une approche rénovée des relations bilatérales et, plus généralement, des relations apaisées avec l’Afrique, termine dans une confusion réelle, avec une hostilité assez marquée envers l’Algérie.
C’est comme si l’Algérie tirait le rideau, balayant tout ce qui peut être dit ou fait jusqu’à la prochaine présidentielle française de 2017. Les discours sur la fermeté, les rodomontades, les menaces, les appels à l’abrogation des accords bilatéraux vont dès lors apparaître pour ce qu’ils sont : futiles, creux, sans effet. Bruno Retailleau et Xavier Driencourt ont eu leur heure de gloire. Ils gardent peut-être une capacité de nuisance, mais ils sont hors du coup.
Préparer l’après 2027
Cette démarche algérienne trace aussi les contours de l’approche qui sera mise en œuvre avec le prochain président français. Sur ce terrain, le futur locataire de l’Elysée n’aura pas de surprise, d’autant plus que l’avènement d’un président français d’extrême-droite relève d’une forte probabilité.
Celui-ci saura à quoi s’en tenir. Il pourra toujours demander l’abrogation des accords bilatéraux de 1968 et 2013, insister sur les priorités françaises, il ne pourra éviter l’écueil de cette nouvelle loi qui encadre la politique algérienne.
Edouard Philippe, candidat virtuel de ce qu’il est convenu d’appeler la droite modérée, se trouve lui aussi dans le viseur. Interrogé récemment, il a déclaré que le colonialisme ne constitue pas un crime.
Cette déclaration le disqualifie d’entrée aux yeux d’éventuels interlocuteurs algériens, qui ne lui accorderont pas de préjugé favorable, contrairement à Emmanuel Macron qui avait été bien accueilli lors de son premier mandat.
Enfin, de manière plus large, la loi du 24 décembre va avoir des répercussions en Afrique, en Asie et probablement aux Nations-Unis, du fait qu’elle définit une démarche face aux anciennes puissances coloniales d’une part, et au discours minimisant l’impact de le colonisation, d’autre part.
Une récente conférence internationale sur les crimes coloniaux en Afrique, organisée à Alger, avait déjà préparé le terrain à cette nouvelle approche, avec un discours anti-colonial tranché. Elle avait débouché sur une déclaration radicale, qui sera soumise au prochain sommet de l’Union Africaine. Cette dynamique pourrait aboutir à une consécration du discours anti-colonial, et rendre le négationnisme colonial aussi condamnable que le négationnisme concernant l’esclavage ou le racisme. Ce serait alors un nouveau marqueur dans les relations internationales.
Source : Alhirak Alikhbari, 25/12/2025
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