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Fouad Ali El Himma : La boîte noire du gouvernement de l’ombre au Maroc

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Rarement visible dans la sphère publique, Fouad Ali El Himma apparaît néanmoins comme une présence constante dans les dossiers les plus sensibles du Maroc : du Sahara occidental à la restructuration du paysage partisan, en passant par les médias publics et même les grands événements sportifs internationaux. (Photo- Wkimedia Commons)

Ce que Africa Intelligence a révélé concernant les réseaux d’influence entourant Fouad Ali El Himma ne peut être balayé comme un simple rapport d’investigation de routine. Il s’agit plutôt d’une de ces rares fenêtres ouvertes sur l’architecture réelle du pouvoir au Maroc : un système qui ne fonctionne ni par le biais des institutions élues, ni selon les principes de redevabilité, mais qui se tisse au sein de cercles fermés où s’entrecroisent sécurité, diplomatie, médias et intérêts économiques, et où les décisions souveraines sont façonnées hors de tout contrôle public.

Rarement visible dans la sphère publique, Fouad Ali El Himma apparaît néanmoins — selon le rapport — comme une présence constante dans les dossiers les plus sensibles du Maroc : du Sahara occidental à la restructuration du paysage partisan, en passant par les médias publics et même les grands événements sportifs internationaux. Cette omniprésence ne témoigne pas tant d’une compétence administrative exceptionnelle qu’elle n’expose une distorsion structurelle du concept même de gouvernance, où l’État est réduit à des individus et où la politique est gérée par des intermédiaires influents plutôt que par des processus institutionnels.

Le danger fondamental de ce modèle ne réside pas dans le pouvoir d’un conseiller royal en soi, mais dans le vide que ce pouvoir révèle. Lorsqu’une figure non élue, protégée de tout contrôle parlementaire ou judiciaire, devient le tissu conjonctif entre les services de sécurité, les médias et la diplomatie, le résultat n’est pas un « État fort », mais un État vidé de sa substance — gouverné par des réseaux plutôt que par des règles.

La création du Parti de l’Authenticité et de la Modernité (PAM), comme le rappelle le rapport, n’était pas un développement politique ordinaire. Elle a marqué un moment décisif dans la domestication du champ partisan, transformant le pluralisme politique en une façade contrôlée. Depuis lors, la question centrale n’est plus de savoir qui gagne les élections, mais qui est autorisé à y participer. Dans ce contexte, la politique n’a pas été abolie ; elle a été placée sous tutelle.

Le dossier du Sahara occidental, souvent présenté comme une question de consensus national indiscutable, illustre davantage cette logique. Sa gestion par un cercle restreint de conseillers, loin de tout véritable débat public, transforme le consensus en un silence imposé. La reconnaissance américaine, les accords de normalisation et les manœuvres diplomatiques au sein du Conseil de sécurité de l’ONU sont des décisions d’une ampleur historique. Pourtant, qui en a débattu ? Qui a demandé des comptes à leurs architectes ? Et qui a évalué leurs coûts politiques et moraux à long terme ?

Les médias publics n’ont pas échappé à cette emprise. Leur restructuration, telle que décrite dans le rapport, n’avait pas pour but de les libérer ou de les professionnaliser, mais d’en resserrer le contrôle. Le résultat est un paysage médiatique dépouillé de voix critiques, de réel pluralisme et de la capacité de questionner l’autorité — à une époque où les crises sociales s’approfondissent et où les citoyens sont de plus en plus contraints de chercher la vérité sur des plateformes alternatives ou étrangères.

Même le sport, traditionnellement espace d’unification et de célébration, a été instrumentalisé comme outil d’influence et d’investissement politique. La Coupe d’Afrique des Nations, la candidature pour la Coupe du Monde 2030 et les projets d’infrastructure massifs sont tous présentés comme des éléments de « soft power », mais poursuivis sans transparence, sans débat public sur les priorités, et sans lien significatif entre les dépenses colossales et la réalité vécue par des citoyens accablés par la vie chère et la marginalisation.

Au fond, ce que Africa Intelligence expose n’est pas le profil d’un seul homme, mais le portrait d’un système tout entier : un système qui s’appuie sur des individus puissants plutôt que sur des institutions fortes, sur des réseaux de loyauté plutôt que sur des normes démocratiques, et sur l’opacité plutôt que sur la clarté. Un tel modèle peut réussir à gérer les équilibres à court terme, mais il accumule silencieusement de la fragilité sur le long terme.

Dans un contexte marqué par des absences royales récurrentes et des tensions sociales croissantes, la question devient inévitable : qui gouverne réellement le Maroc ? Qui décide de ses enjeux nationaux les plus critiques ? Et surtout, combien de temps la gouvernance de l’ombre peut-elle rester acceptable avant de devenir un fardeau politique et moral pour un État qui prétend progresser vers la modernité et la stabilité ?

Les États ne se mesurent pas à la force de leurs conseillers, mais à la force de leurs institutions. Et plus les réseaux de pouvoir non responsables s’étendent, plus l’État lui-même s’étiole — quelle que soit la solidité apparente de sa façade.

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