Le nom de domaine de Sahel Intelligence est enregistré au Maroc, et plusieurs adresses e-mail du site étaient inaccessibles lorsque TNA a tenté de contacter la rédaction. Sahel Intelligence serait animé par des acteurs basés au Maroc, dans le but de produire des récits hostiles à l’Algérie, ensuite repris par des médias marocains et présentés comme issus d’une source indépendante étrangère.
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Une enquête de The New Arab révèle que le site Sahel Intelligence, présenté comme un think tank spécialisé sur le Sahel, fonctionnerait en réalité comme un instrument de désinformation au service des intérêts marocains, ciblant principalement l’Algérie et le Front Polisario depuis près de vingt ans.
Fin juin 2025, plusieurs médias marocains ont relayé une information explosive : le chef d’état-major algérien, le général Saïd Chengriha, aurait ordonné au Front Polisario de remettre des drones iraniens aux services de renseignement algériens et de redéployer des milices iraniennes vers le Sahel et la frontière libyenne. Ces accusations reposaient sur une seule source : le site Sahel Intelligence, qui évoquait des « sources proches » du général algérien.
Si The New Arab (TNA) n’a pas pu vérifier indépendamment ces affirmations, il souligne que Sahel Intelligence publie régulièrement des informations non étayées, souvent fondées sur des sources anonymes, systématiquement défavorables à l’Algérie et au Polisario. Cette récurrence a conduit les enquêteurs à remettre en cause la crédibilité et l’indépendance du site.
Un contexte géopolitique hautement sensible
La publication de ces accusations intervient dans un contexte diplomatique tendu, marqué par des appels à Washington pour classer le Front Polisario comme organisation terroriste étrangère, en raison de supposés liens avec le Corps des gardiens de la révolution islamique iranien (IRGC).
Soutenu par l’Algérie, le Front Polisario revendique depuis 1976 l’autodétermination du Sahara occidental, territoire considéré par le Maroc comme partie intégrante de son royaume. Bien que l’ONU reconnaisse le Sahara occidental comme territoire non autonome, le référendum d’autodétermination n’a jamais eu lieu. En 2020, l’ancien président américain Donald Trump a reconnu la souveraineté marocaine sur le territoire, en échange de la normalisation des relations entre Rabat et Israël dans le cadre des Accords d’Abraham. Peu après, le cessez-le-feu de 29 ans entre le Maroc et le Polisario a volé en éclats.
Depuis, Rabat accuse l’Iran, via le Hezbollah libanais, de fournir armes, entraînement et drones kamikazes au Polisario. Ces accusations sont toutefois contestées : le gouvernement britannique a indiqué en mai ne disposer d’aucune preuve suffisante corroborant ces allégations.
Une façade d’expertise mise en cause
Sahel Intelligence se présente comme un site d’analyses stratégiques hebdomadaires sur le Sahel, édité par une société française basée à Paris, GIC Conseil. Or, l’enquête de TNA révèle de nombreuses incohérences : la seule société GIC Conseil enregistrée en France a été créée en 2004, basée en périphérie de Marseille, et dissoute en 2010. Aucun lien clair ne permet d’établir l’existence actuelle de cette structure à Paris.
L’équipe éditoriale, composée de quatre personnes — Samuel Benshimon, Marion Zunfrey, Frédéric Powelton et Karol Biedermann — est pratiquement inexistante dans l’espace public. Le rédacteur en chef, Samuel Benshimon, se présente comme ancien lieutenant-colonel de l’armée israélienne, mais son profil LinkedIn est très peu renseigné et comporte des incohérences chronologiques. Les autres membres revendiquent des parcours prestigieux (ministère russe des Affaires étrangères, Banque mondiale, Saudi Aramco), sans que ces affirmations puissent être vérifiées.
Plus troublant encore : le nom de domaine de Sahel Intelligence est enregistré au Maroc, et plusieurs adresses e-mail du site étaient inaccessibles lorsque TNA a tenté de contacter la rédaction.
Un outil de « blanchiment narratif »
Selon TNA, l’ensemble de ces éléments suggère que Sahel Intelligence serait animé par des acteurs basés au Maroc, dans le but de produire des récits hostiles à l’Algérie, ensuite repris par des médias marocains et présentés comme issus d’une source indépendante étrangère.
Cette stratégie aurait porté ses fruits : les contenus de Sahel Intelligence ont été cités dans plus d’une douzaine de travaux académiques, des rapports de l’OCDE et de l’Union africaine, ainsi que dans la revue officielle de l’armée espagnole Ejército en 2019.
L’impact s’étend même aux outils d’intelligence artificielle. Interrogés sur les accusations visant le général Chengriha, plusieurs chatbots ont repris les informations de Sahel Intelligence, certains les présentant comme corroborées par « plusieurs sources », illustrant ainsi la capacité de ces récits à se recycler et à gagner une apparence de crédibilité.
Une guerre de l’information aux conséquences régionales
Pour Riccardo Fabiani, directeur par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’International Crisis Group, Sahel Intelligence est « nominalement indépendant, mais de facto contrôlé par le Maroc » et s’inscrit pleinement dans une campagne de propagande contre l’Algérie et le Polisario. Il estime que Rabat entretient une illusion de pluralisme médiatique à travers des médias privés étroitement surveillés par les services de sécurité, souvent animés par des voix non marocaines pour renforcer leur crédibilité.
Fabiani met en garde contre les effets délétères de cette désinformation : elle alimente la polarisation, exacerbe les tensions entre Alger et Rabat et pourrait compliquer toute tentative de désescalade dans un contexte de reprise des hostilités de basse intensité au Sahara occidental.
Dans une région déjà fragilisée, cette guerre de l’information apparaît ainsi comme un facteur supplémentaire d’instabilité, susceptible de transformer la rivalité maroco-algérienne en un affrontement de plus en plus difficile à contenir.
Source : The New Arab, 04/11/2025
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