Au-delà de la trahison de l’engagement de l’ONU en faveur de la décolonisation, l’aval donné à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental risque de déstabiliser un équilibre fragile au Maghreb. L’Algérie, qui accueille le gouvernement sahraoui en exil et le Front Polisario, interprète la résolution comme une atteinte au droit international.
Tags : Sahara Occidental, Front Polisario, Maroc, ONU, autonomie, Résolution 2797 (2025),
Source : ROAPE, 10/12/2025
Ethan Woolf soutient que l’aval donné par l’ONU au plan d’autonomie du Maroc pour le Sahara occidental constitue un abandon de la décolonisation, légitime l’occupation, efface toute responsabilité et sacrifie l’autodétermination sahraouie au nom de la commodité géopolitique.
Le 31 octobre 2025, cinquante années de lutte pour l’autodétermination du Sahara occidental ont été discrètement enterrées sous la Résolution 2797 (2025) du Conseil de sécurité des Nations unies. En approuvant le « plan d’autonomie » du Maroc, qui accorde une autonomie limitée sous souveraineté marocaine, les Nations unies ont légitimé une occupation commencée à une époque où la décolonisation faisait encore partie de leur propre vocabulaire moral.
Le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 accorde des pouvoirs administratifs à des institutions sahraouies locales, tout en laissant le contrôle de la défense, de la sécurité, des ressources naturelles et de la politique étrangère fermement entre les mains de Rabat. En pratique, il transforme une question de décolonisation en une affaire de gouvernance interne. En reconnaissant ce cadre comme « réaliste », l’ONU a marginalisé le référendum qu’elle avait autrefois promis et accepté un modèle dans lequel les occupés s’administrent eux-mêmes sous le drapeau de l’occupant.
Un an plus tôt à peine, l’envoyé de l’ONU Staffan de Mistura avait proposé le partage du Sahara occidental, signe de l’éloignement du processus de paix par rapport à sa promesse initiale. Son avertissement selon lequel une impasse prolongée pourrait rendre l’ONU insignifiante est intervenu au moment même où Washington réduisait son financement du maintien de la paix. Depuis la seconde administration Trump, les États-Unis traitent l’ONU comme un prestataire de services, ne payant que pour ce qui correspond à leur agenda et reléguant au second plan tout ce qui exige du temps, de la conviction ou des principes.
Le peuple sahraoui attend un référendum depuis 1975, année où une mission de visite de l’ONU a confirmé un « soutien massif à l’autodétermination ». Cette même année, le Maroc et la Mauritanie ont déposé des revendications territoriales, que la Cour internationale de justice a rejetées en concluant qu’aucun lien de souveraineté n’existait entre eux et le territoire. Quelques jours plus tard, ignorant à la fois l’ONU et la CIJ, le roi Hassan II envoya 350 000 colons vers le sud lors de ce qui devint la Marche verte. L’Espagne, affaiblie par la maladie de Franco, signa les Accords de Madrid, abandonnant sa colonie sans la décoloniser. S’ensuivit une guerre de seize ans qui força près de 200 000 Sahraouis à l’exil dans les camps de Tindouf, tandis que le Maroc consolidait son contrôle sur l’ouest du territoire.
Le cessez-le-feu de 1991 négocié par l’ONU raviva un espoir fragile avec la création de la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental). Son nom promettait ce que sa structure refusait. Contrairement aux missions de l’ONU en Namibie, au Timor oriental ou au Kosovo, la MINURSO n’avait aucun mandat pour construire des institutions ou surveiller les droits humains. Elle n’a jamais été conçue pour préparer un État, mais pour préserver une impasse. Lors de son déploiement, la majeure partie du Sahara occidental était déjà isolée derrière le berm, un mur de sable de 2 700 kilomètres, parsemé de mines et surveillé par des drones, séparant l’ouest occupé et riche en ressources de la « zone libérée » aride. Trois décennies d’inaction onusienne ont permis au Maroc de transformer le Sahara occidental en l’une des régions les plus sécurisées du monde, avec des investissements de plusieurs milliards, notamment de la part d’économies occidentales et de membres du Conseil de sécurité comme la France.
Avec le temps, le langage de la décolonisation a été remplacé par celui de la commodité. « Autodétermination » est devenu « solution mutuellement acceptable ». « Occupation » est devenue « différend ». L’ONU a appris à répéter sa promesse d’autodétermination sans jamais la concrétiser.
Pendant ce temps, le Front Polisario, né de solidarités nomades et d’idéaux socialistes, a bâti un État en exil fonctionnel. Dans les camps, les femmes dirigent les assemblées locales et organisent les réseaux de distribution ; enseignants et soignants soutiennent une société en suspens. Les Sahraouis ont offert à l’ONU ce qu’il y a de plus rare dans la construction de la paix : une volonté et une population locale engagée. Leur exemple a pourtant été ignoré.
La Résolution 2797 s’inscrit dans la logique qui définit désormais la nouvelle diplomatie : la solution rapide déguisée en paix. Elle reflète l’habitude de l’administration Trump de déclarer des conflits « résolus » par des signatures plutôt que par des changements réels. Les récents accords de « paix » sur Gaza ont suivi le même scénario : des arrangements transactionnels négociés sans la participation de ceux qui subissent un génocide. Des entreprises privées américaines et israéliennes se sont vu confier le contrôle de la reconstruction et de l’aide humanitaire, transformant le secours humanitaire en mécanisme de partage des profits. Le Sahara occidental fait désormais face au même modèle creux : un plan d’autonomie conçu non pour résoudre une question coloniale, mais pour stabiliser un marché. Dans les deux cas, le langage de la paix masque l’externalisation des responsabilités, réduisant le rôle de l’ONU à une simple certification.
Au-delà de la trahison de l’engagement de l’ONU en faveur de la décolonisation, l’aval donné à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental risque de déstabiliser un équilibre fragile au Maghreb. L’Algérie, qui accueille le gouvernement sahraoui en exil et le Front Polisario, interprète la résolution comme une atteinte au droit international. En validant les revendications territoriales du Maroc, l’ONU pourrait indirectement raviver l’idée du « Grand Maroc », un projet irrédentiste incluant historiquement des parties de la Mauritanie, du Mali et de l’ouest algérien — territoires pour lesquels les deux pays se sont déjà affrontés en 1963. Dans une région déjà sous tension en raison des courses aux armements, de la concurrence énergétique et de l’effondrement des structures de sécurité sahéliennes, une telle validation peut servir d’étincelle à de nouveaux conflits. Le Sahara, autrefois considéré comme une question lointaine de décolonisation, pourrait rapidement devenir un enjeu continental, où se croisent accords énergétiques européens, militarisation marocaine et souveraineté algérienne. Ce que l’ONU appelle « stabilité » pourrait en réalité être le prélude à un nouveau conflit sans frontières.
Ce qui demeure le plus troublant, c’est que l’on ne saura jamais vraiment ce qui a été perdu. La MINURSO est la seule mission de maintien de la paix récente dépourvue de mandat en matière de droits humains. Aucun suivi systématique n’a jamais été effectué dans les territoires occupés ; il n’existe aucun registre officiel des disparitions, de la répression ou de l’effacement culturel. Les rapports d’ONG et de personnes en exil révèlent pourtant des signes clairs de censure, de détentions arbitraires et de destruction des modes de vie nomades, mais il n’existe aucune mémoire officielle de ce que l’occupation a signifié. Lorsque l’ONU approuve aujourd’hui le « plan d’autonomie » du Maroc, elle le fait les yeux bandés, imposant un silence qu’elle a elle-même contribué à créer. L’identité sahraouie qui survit en exil pourrait un jour disparaître du paysage qu’elle définissait autrefois. La tragédie est que le plus long processus de décolonisation non résolu au monde pourrait s’achever sans preuve de ce qui a été pris. En refusant de regarder, l’ONU a fait de l’oubli une condition de la paix.
Le Sahara occidental n’est pas une anomalie ; il est l’aboutissement logique d’une diplomatie qui privilégie la rapidité à la substance. L’approbation par l’ONU du plan marocain marque un passage de la recherche patiente de la justice à la gestion des apparences. Ce qui était autrefois une promesse de décolonisation a été remplacé par une administration de crise, tandis que la paix a été réduite à de la paperasse. Les Sahraouis ont enduré un demi-siècle d’attente non parce que leur cause était floue, mais parce qu’elle était jugée dérangeante. Chaque nouvelle résolution répète le même vocabulaire de « réalisme » et de « stabilité », des mots qui signifient désormais peu plus qu’une reddition. Le destin du Sahara occidental révèle ce qu’est devenue la diplomatie : une chorégraphie de solutions rapides cherchant la clôture sans réparation, et le silence là où la responsabilité devrait prévaloir. Si la vocation initiale de l’ONU était de mettre fin à l’empire, son héritage ici est d’en gérer les vestiges.
Photographie en vedette : Commémoration du 30e anniversaire de l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne dans les territoires libérés du Sahara occidental en 2005 (Wikimedia Commons).
Ethan Woolf est chercheur et écrivain indépendant, affilié au King’s College de Londres, où il a obtenu un master en conflits, sécurité et développement. Il collabore actuellement avec Global Weekly en tant qu’analyste OSINT pour le bureau Afrique de l’Est.
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