Le Maroc, avec son réseau d’intelligence hybride — mafias migratoires, propagande numérique et cyberattaques —, impose son tempo. Tandis que l’Espagne négocie en secret, Rabat publie sur les réseaux sociaux sa victoire.
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PAR RUBÉN PULIDO »
Au Palais de la Moncloa, le 4 décembre 2025, s’est tenue la XIIIe Réunion de Haut Niveau (RHN) entre l’Espagne et le Maroc, une rencontre qui, sous la présidence de Pedro Sánchez et de son homologue Aziz Akhannouch, aurait dû symboliser une relation bilatérale équilibrée. Pourtant, ce qui a émergé de ces trois heures de délibérations à huis clos fut un nouveau chapitre dans la saga des concessions espagnoles : une déclaration conjointe réaffirmant le soutien de Madrid au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental sous souveraineté de Rabat, avalisant la résolution 2797 du Conseil de sécurité de l’ONU comme « la solution la plus viable ».
Il n’y eut ni conférence de presse ni explications publiques ; seulement un communiqué de 119 points publié sur le site de la Présidence, comme si la transparence était un luxe dont on pouvait se dispenser en diplomatie. Tandis que le Maroc diffuse sur ses réseaux l’extrait qui l’arrange, avec le drapeau espagnol flottant à ses côtés tel un trophée, l’Espagne garde le silence, cédant non seulement du terrain symbolique, mais aussi la narration même de ce qui a été convenu. Cet épisode n’est pas un lapsus diplomatique ; c’est le reflet d’une soumission structurelle, nourrie par des pressions migratoires, des chantages cybernétiques et une convoitise marocaine — désormais assumée — envers les Canaries.
Pour comprendre cette dérive, il convient de revenir en arrière et de détailler le conflit du Sahara occidental. Le Sahara n’est pas un simple litige territorial ; c’est une plaie ouverte dans la carte postcoloniale africaine. En 1884, l’Espagne y établit son protectorat, administrant le territoire jusqu’en 1975 en tant que puissance responsable au regard du droit international. Cette année-là, à l’approche de la décolonisation, l’ONU approuva la résolution 1514, qui consacre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
La Cour internationale de justice de La Haye, dans son avis de 1975, rejeta les prétentions marocaines de souveraineté historique, confirmant que le peuple sahraoui a le droit de décider de son avenir au moyen d’un référendum. Toutefois, le Maroc, sous Hassan II, orchestrait la Marche Verte : 350 000 civils franchirent la frontière, un mouvement que Rabat présenta comme un retour ancestral, mais qui fut une invasion déguisée. L’Espagne, affaiblie par l’agonie de Franco, signa les Accords de Madrid, cédant le territoire au Maroc et à la Mauritanie sans consulter les Sahraouis. Ainsi naquirent l’exil du Front Polisario et la République arabe sahraouie démocratique (RASD), reconnue par plus de 80 pays mais ignorée par l’Occident en quête de stabilité.
Depuis lors, l’ONU renouvelle chaque année le mandat de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), avec la promesse de ce plébiscite en attente depuis 1991. Mais le Maroc a systématiquement obstrué le processus : manipulation des recensements, importation de colons, contrôle total du territoire ; allant jusqu’à élaborer des plans d’exploitation des ressources, comme l’a documenté le rapport de l’envoyé spécial des Nations Unies, Hans Corell, en 2002.
En 2020, les États-Unis reconnurent la souveraineté marocaine en échange de la normalisation avec Israël, un précédent que la France suivit en 2024. L’Espagne, pour sa part, maintenait jusqu’en 2021 une position neutre, défendant le référendum. Mais tout changea lors de la crise migratoire de Ceuta en avril de la même année : le Maroc ouvrit les frontières, laissant passer illégalement 10 000 migrants en une seule journée, en représailles à l’hospitalisation de Brahim Ghali, chef du Polisario, à Logroño. Sánchez répondit un an plus tard par une lettre secrète à Mohamed VI, reconnaissant le plan d’autonomie marocain — qui réserve à Rabat le contrôle de la défense, des frontières et des relations extérieures — comme « la base la plus sérieuse, crédible et réaliste ». Ce fut un virage à 180 degrés, dissimulé au Parlement espagnol et qui, ironiquement, n’a pas freiné les arrivées hostiles de migrants illégaux depuis le territoire marocain, comme l’ont démontré les événements de l’été suivant à Melilla.
La RHN célébrée ce mois de décembre n’a rien changé ; elle a simplement entériné la position de supériorité diplomatique du Maroc face à une Espagne en état de soumission. Le régime alaouite ratifie ainsi ce qui avait été affirmé dans la lettre de 2022 et dans la résolution 2797, qui, bien qu’elle mentionne « l’autodétermination », privilégie le plan marocain comme « base de négociation » sans conditions préalables. L’Espagne « accueille favorablement » ce texte, omettant dans la déclaration conjointe les références explicites à l’autodétermination présentes dans la résolution originale.
Quatorze accords de coopération ont été signés : migration, douanes, agriculture durable, et préparation au Mondial 2030. Le Maroc, cependant, en voulait davantage ; des sources diplomatiques révèlent que Rabat souhaitait une reconnaissance pleine de sa souveraineté sur le Sahara en échange de « garanties » concernant les Canaries, incluant un contrôle aérien depuis Las Palmas et une exploitation partagée du mont Tropic, un gisement sous-marin riche en tellure, cobalt et terres rares, essentiels à la transition verte européenne. Sánchez a rejeté ce troc, mais l’opacité de la rencontre — sans Sumar à la table malgré le veto public de Yolanda Díaz — sent la faiblesse. Díaz a publié sur Instagram une vidéo : « Nous ne céderons pas un centimètre de terre sahraouie. Vive le Sahara libre ! », récitant le poète sahraoui Mohamed Salem Ould Salek. Son absence lors du sommet, ainsi que celle d’autres ministres de gauche, met en lumière les fissures de la coalition.
Cette soumission ne sort pas de nulle part ; elle prend racine dans un scandale qui humilie la démocratie espagnole : l’affaire Pegasus. En 2021, au cours de la même crise de Ceuta, le logiciel espion israélien — développé par NSO Group — infecta les téléphones de Sánchez et des ministres Robles, Marlaska et Planas. L’intrusion, attribuée au Maroc, aurait extrait des données sensibles pendant des mois. Le Centre cryptologique national détecta l’attaque en 2022, mais l’affaire fut provisoirement classée en 2023. La France, victime elle aussi, partagea en avril 2024 des données qui rouvrirent l’enquête à l’Audiencia Nacional : adresses IP, domaines et schémas de trafic pointent Rabat, qui aurait également espionné des militants sahraouis et des journalistes exilés. Coïncidence que la lettre de Sánchez ait été envoyée quelques semaines plus tard ? L’espionnage n’est pas un détail technique ; c’est un chantage cybernétique qui conditionne la politique étrangère. Le Maroc, avec son réseau d’intelligence hybride — mafias migratoires, propagande numérique et cyberattaques —, impose son tempo. Tandis que l’Espagne négocie en secret, Rabat publie sur les réseaux sociaux sa victoire.
Les implications dépassent largement le Sahara. Reconnaître implicitement l’expansionnisme marocain — qui revendique déjà Ceuta, Melilla et les Canaries au nom du rêve du Grand Maroc de Hassan II — érode notre souveraineté atlantique. Le mont Tropic, à 300 km de Gran Canaria, abrite des réserves que le Maroc convoite pour son « Maroc Atlantique », superposant des cartes maritimes et utilisant l’immigration comme bélier. En 2025, les assauts contre Ceuta et Melilla persistent, et le blocus douanier dans ces villes autonomes a paralysé le commerce. Sánchez loue la « loyauté » marocaine en matière migratoire, mais omet la manière dont Rabat l’utilise comme arme. Cette diplomatie des concessions ne résout rien ; elle aggrave. Elle légitime un régime qu’Amnesty International accuse de tortures envers les Sahraouis et de répression à Dakhla, tandis que l’Espagne, puissance administratrice historique, trahit son héritage.
Le Sahara est le miroir de notre décadence géopolitique. Sánchez n’est pas l’Espagne ; son gouvernement, entravé par Pegasus et les pressions internes — perte du soutien de Junts, blocages au Parlement —, privilégie la survie politique au détriment du droit international. Exigeons la transparence, la publication intégrale de ce qui a été négocié, la dénonciation de cette occupation devant l’ONU, le renforcement des frontières et l’impulsion d’un véritable référendum. Mobilisons-nous pour Ceuta, Melilla et les Canaries, non comme enclaves périphériques, mais comme bastions de notre identité. Sinon, le vol du Sahara ne sera que le prélude à des convoitises plus grandes. Jusqu’à quand tolérerons-nous que le Maroc mène la danse dans notre propre maison ? L’histoire nous jugera non sur nos silences, mais sur nos actes. Vive un Sahara libre ; vive une Espagne souveraine.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de The Epoch Times.
The Epoch Times, 5 décembre 2025
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