Après la résolution 2797, le Maroc a tenté de transformer un texte ambigu en une licence pour imposer son occupation, d’abord au Conseil de sécurité et maintenant à l’Union africaine. Mais l’Afrique reste un continent où la mémoire anticoloniale pèse.
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L’adoption de la résolution 2797 du Conseil de sécurité a été présentée par le Maroc comme un supposé aval international à son plan d’autonomie. Bien que cette interprétation soit trompeuse et contredise tant le droit international que la jurisprudence de l’ONU, Rabat n’a pas perdu une minute pour faire de cette résolution une arme politique sur un second front : l’Afrique. En particulier, l’Union africaine (UA) est devenue l’espace où le régime marocain cherche désormais sa plus grande victoire diplomatique : dépouiller la République arabe sahraouie démocratique (RASD) de son statut d’État membre et réécrire, de l’intérieur, le consensus panafricain sur le Sahara occidental.
Pendant trente ans, le Maroc a maintenu la politique de la « chaise vide », refusant d’occuper son siège à l’UA pour ne pas être contraint de partager une tribune avec la RASD. Lorsqu’il est revenu en 2017, c’était avec un objectif clair : éroder, de l’intérieur, la reconnaissance sahraouie et tordre la position historique du continent, fondée sur les principes de décolonisation, de souveraineté et d’autodétermination qui ont donné naissance à l’organisation panafricaine elle-même. La résolution 2797 a été utilisée comme prétexte pour accélérer cet agenda. Bien que l’ONU ne reconnaisse pas la souveraineté marocaine sur le territoire et n’ait approuvé aucun plan, Rabat entend capitaliser sur le climat de confusion pour se présenter comme un acteur « soutenu par la communauté internationale » et ouvrir la voie à son offensive diplomatique en Afrique.
Le premier grand objectif est d’obtenir 33 voix des 55 États membres de l’UA : la majorité qualifiée nécessaire pour ne serait-ce que proposer d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement un débat sur le retrait de la reconnaissance de la RASD. Ce serait un fait sans précédent, une tentative d’expulsion qui violerait les fondements constitutifs de l’institution et risquerait de fracturer son unité interne. Dans ce but, le Maroc a redoublé son lobbying dans les régions où la position pro-sahraouie est la plus vulnérable : il fait pression sur les États en difficulté économique, promet des investissements, signe des accords sélectifs et cherche à saper la cohésion d’organisations régionales comme la SADC, ferme défenseure de la décolonisation du Sahara occidental.
Dans ce scénario, on comprend mieux ce qui s’est passé au Conseil de sécurité avec le vote de la résolution 2797. Le Maroc a réussi à fracturer le groupe A3+, qui rassemble les pays africains occupant les sièges non permanents. Ce qui était auparavant un bloc cohésif — l’Algérie, la Sierra Leone, la Somalie et le Guyana — s’est retrouvé divisé après une intense campagne de pression et de séduction politique. La Sierra Leone, la Somalie et le Guyana se sont alignés sur Rabat, isolant l’Algérie dans un contexte décisif. Rien de tout cela ne s’est produit spontanément : la machinerie diplomatique marocaine a travaillé pendant des mois pour s’assurer ces votes, avec des visites discrètes, des promesses de coopération financière et des contacts continus avec les ministres des Affaires étrangères concernés.
L’épicentre de ces manœuvres a été l’Agence marocaine de coopération internationale, dont le directeur général s’est érigé en « envoyé spécial » pour démonter les soutiens africains à la RASD. Ses missions, notamment en Sierra Leone et en Somalie, ont été déterminantes. À Mogadiscio, Rabat s’est même appuyé sur un ambassadeur somalien particulièrement favorable au plan d’autonomie marocain, faisant pression pour relancer l’idée — encore non exécutée — d’ouvrir un consulat somalien à Laâyoune. L’objectif est clair : tisser un réseau de complicités qui, ajouté à des actions bilatérales au Guyana, permette de neutraliser toute tentative africaine de contrer l’offensive marocaine.
L’Algérie, de son côté, a tenté de maintenir la résistance institutionnelle. Fin novembre, elle a demandé la réactivation de l’historique « bureau de liaison » de l’Union africaine à Laâyoune, symbole de la présence panafricaine sur le territoire et outil clé pour maintenir un contact direct avec les parties au conflit. Cependant, la demande a été rejetée par la Commission de l’UA, qui s’est abritée derrière une décision de 2018 limitant le traitement de la question sahraouie aux instances de plus haut niveau politique. Un revers significatif qui profite à Rabat et réduit la capacité de l’UA à exercer un suivi indépendant sur le terrain.
En vue du sommet de février 2026, l’Algérie conserve la possibilité de demander que la question du Sahara occidental figure officiellement à l’ordre du jour, mais l’ambiance interne n’est pas favorable. Le Maroc est parvenu à installer le récit selon lequel la question sahraouie est un « obstacle » à l’agenda continental, alors qu’il s’agit en réalité d’une affaire de décolonisation en suspens reconnue par l’ONU elle-même et centrale pour l’identité historique de l’Afrique. La pression de Rabat tente de transformer la décolonisation en une gêne, et son occupation illégale en une « solution réaliste ». C’est un renversement complet des principes du droit international africain.
Mais l’offensive marocaine, bien qu’inquiétante, montre aussi ses limites. L’épine dorsale du soutien à la RASD — l’Afrique du Sud, la Namibie, l’Algérie et une bonne partie de la SADC — reste ferme. Ces pays rappellent que permettre l’expulsion de la RASD ouvrirait un précédent dévastateur pour la stabilité institutionnelle du continent : cela reviendrait à accepter qu’un État puisse être effacé de l’UA sous la pression de l’occupant qui viole son droit à exister. En outre, de nombreux gouvernements africains, même les plus pragmatiques, perçoivent le risque de légitimer un précédent colonial en plein XXIe siècle.
L’affrontement, en définitive, ne fait que commencer. Après la résolution 2797, le Maroc a tenté de transformer un texte ambigu en une licence pour imposer son occupation, d’abord au Conseil de sécurité et maintenant à l’Union africaine. Mais l’Afrique reste un continent où la mémoire anticoloniale pèse. La bataille diplomatique qui s’ouvre dans les prochains mois — d’Addis-Abeba à chaque capitale africaine — sera décisive pour déterminer si l’UA maintient son engagement historique en faveur de l’autodétermination du peuple sahraoui ou si elle cède à la pression d’un État occupant déterminé à éliminer la RASD de la carte politique africaine.
Source: Plateforme « N’oubliez pas le Sahara Occidental »
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