NARCO avance une explication plus stratégique : le véritable objectif du projet serait de créer un fait accompli diplomatique consolidant les revendications marocaines sur le Sahara occidental. (Photo : Wikimedia Commons)
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Il arrive parfois qu’un projet soit si grand, si ambitieux, si extraordinairement disproportionné, qu’il semble sortir tout droit d’un conte. Le gazoduc Nigeria–Maroc, que vient d’éplucher le cabinet américain North Africa Risk Consulting (NARCO), appartient précisément à cette catégorie : celle des éléphants blancs, ces bêtes massives et coûteuses que l’on préfère admirer de loin plutôt que de nourrir.
Le Maroc, décidé à proposer une alternative au gazoduc transsaharien algérien (TSGP), s’est lancé dans un chantier que NARCO décrit sans détour comme « pharaonique », « inutile » et profondément déconnecté de toute logique économique. Une manière polie de dire : très cher, très long, et très improbable.
TSGP : trois pays, une logique ; GAA : onze pays, beaucoup d’imagination
D’un côté, l’Algérie œuvre sur le TSGP, un projet condensé : trois pays seulement — Nigeria, Niger, Algérie — et une grande partie de l’infrastructure déjà existante. Il reste certes une portion importante à construire au Niger, mais on parle d’un tracé compact, terrestre, et appuyé sur des capacités opérationnelles éprouvées.
De l’autre côté, le Maroc présente son gazoduc Afrique–Atlantique (GAA) : une ligne entièrement nouvelle, serpentant le long de 11 pays côtiers, pour remonter laborieusement jusqu’au royaume avant de viser l’Europe.
Une sorte de marathon gazier, mais avec obstacles, détours, escales diplomatiques et, surtout, une facture qui donne le vertige.
Pour reprendre l’expression du cabinet américain, le projet relève plus de la chimère que de l’ingénierie.
Des chiffres sur papier glacé, mais qui ne résistent pas à l’analyse
Selon l’ONHYM, le gazoduc permettrait d’acheminer 30 milliards de m³/an, dont 18 milliards destinés à l’exportation vers l’Europe, et apporterait l’accès à l’énergie à 400 millions de personnes.
NARCO, manifestement peu impressionné, démolit ces chiffres avec un calme méthodique :
- Les 400 millions incluent… les 168 millions de Nigérians déjà approvisionnés.
- Les projections supposent que les 11 pays concernés seraient dépourvus d’électricité. Un scénario que le cabinet qualifie aimablement de « peu réaliste ».
- Les bénéficiaires réels seraient plus proche de 40 millions.
- En supposant que chaque pays ponctionne 5 % du gaz, il n’arriverait au Maroc que 15 milliards de m³.
Le royaume en consommerait 3 milliards, laissant 12 pour l’exportation — un volume quatre fois inférieur aux exportations actuelles de l’Algérie vers l’Italie et l’Espagne.
Coûts astronomiques : 288 ans pour amortir l’investissement
Le coût initial, estimé à 25 milliards de dollars, grimperait à 38 milliards, plaçant le GAA dans la catégorie très fermée des gazoducs les plus chers de la planète.
À titre de comparaison :
- Medgaz, le gazoduc algéro-espagnol, a mis 12 ans pour devenir rentable.
- Le GAA, lui, requerrait — tenez-vous bien — 288 ans pour amortir son investissement.
En d’autres termes, si le projet voyait le jour aujourd’hui, il ne deviendrait rentable qu’aux alentours de l’an 2313. Autant dire qu’il faudra une sacrée longévité… ou une confiance absolue en la technologie cryogénique.
Alors pourquoi le Maroc s’obstine-t-il ?
Selon Geoff Porter, président de NARCO, la réponse tient en un mot : image.
Le palais royal affectionnerait les grands projets destinés à présenter la monarchie comme innovante, audacieuse et tournée vers l’avenir. Peu importe que l’avenir en question soit lointain — très lointain.
De plus, les responsables marocains — Amina Benkhadra (ONHYM) et Leila Benali (Transition énergétique) — seraient conscientes de la non-viabilité du projet, mais tenues de le promouvoir.
Un peu comme un acteur obligé de sourire dans une publicité pour un produit qu’il n’utiliserait jamais.
L’enjeu réel : le Sahara occidental
NARCO avance une explication plus stratégique : le véritable objectif du projet serait de créer un fait accompli diplomatique consolidant les revendications marocaines sur le Sahara occidental.
Autrement dit, le gazoduc serait moins un pipeline qu’un outil géopolitique : un symbole, une affirmation, un pion posé sur l’échiquier régional.
Le TSGP : une probabilité plus élevée de réussite
Du côté algérien, le TSGP apparaît plus réaliste pour trois raisons majeures :
- Un tracé plus simple, traversant seulement un pays intermédiaire, le Niger.
- Un besoin limité d’infrastructures nouvelles.
- Une faisabilité technique plus élevée, notamment par rapport aux sections sous-marines du projet marocain, particulièrement complexes et coûteuses.
Quant aux risques sécuritaires au Niger — souvent mis en avant par Rabat —, NARCO les juge « gérables », notamment par la protection des stations de compression.
Et pendant que l’Algérie compte sur ses propres moyens, le Maroc, lui, risque d’aggraver une dette extérieure déjà lourde, en espérant une aide hypothétique de l’Union européenne.
Conclusion : un éléphant blanc qui avance, mais personne ne sait vers où
Le gazoduc Nigeria–Maroc est, à bien des égards, une prouesse… de communication. Il s’étire sur 11 pays, mobilise des sommes gigantesques, défie les lois de la rentabilité, mais permet au Royaume de se présenter comme ambitieux et incontournable.
Un projet qui n’avance pas vraiment, mais qui rayonne, comme un éléphant blanc majestueux et bien entretenu.
Pendant ce temps, le TSGP avance avec une discrète efficacité, concentré sur le pragmatisme plutôt que le spectacle.
Et, comme souvent dans l’histoire des grands projets, on découvrira peut-être que la sobriété battra encore une fois le gigantisme.
Par Belgacem Merbah
Source : Algerian patriots
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