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Ahmed Abdelkrim
Il ne donne pas d’interview, ne sourit jamais en public, et ses rares apparitions se limitent à des cérémonies officielles où son visage fermé semble fait de pierre. Abdelatif El Hammouchi, patron de la DGST (renseignement intérieur) et de la DGSN (police nationale), est sans doute l’homme le plus redouté du Maroc. À la fois invisible et omniprésent, il incarne la face cachée d’un royaume qui s’est construit sur la peur, la manipulation et les alliances troubles.
L’architecte du système sécuritaire
Issu d’un milieu modeste, originaire de Taza, Hammouchi gravit les échelons à une vitesse fulgurante dans les années 2000. Sa loyauté au roi Mohammed VI, son efficacité à faire taire les voix discordantes et son obsession pour le contrôle social le propulsent à la tête de la DGST. Quelques années plus tard, il prend également la direction de la DGSN, cumulant deux des plus hautes fonctions sécuritaires du pays.
Jamais, dans l’histoire du Maroc, un homme n’avait concentré autant de pouvoirs dans le domaine sécuritaire.
Ce n’est pas un hasard. Hammouchi est devenu l’architecte de la politique sécuritaire du royaume : surveillance généralisée, quadrillage du territoire, intimidation des opposants, répression des mouvements sociaux. Chaque manifestation, chaque article critique, chaque voix dissidente passe, d’une manière ou d’une autre, sous l’œil de ses services. Il a construit un État de surveillance, où la peur est l’outil principal de gouvernance
Les affaires et les zones d’ombre
Mais derrière l’image de l’homme rigoureux et loyal se cachent des affaires plus sombres. Depuis des années, Hammouchi est cité dans des rapports d’ONG internationales pour son rôle présumé dans la torture de prisonniers politiques et de suspects de terrorisme. En 2014, alors qu’il se trouvait à Paris, une plainte pour torture est déposée contre lui par des victimes marocaines. L’affaire, qui embarrasse Rabat, aboutit à une crise diplomatique avec la France.
Plus récemment, son nom est également lié aux scandales d’espionnage Pegasus. Sous sa direction, le Maroc aurait utilisé le logiciel israélien pour cibler journalistes, militants, avocats, et même des responsables politiques étrangers. Un système d’espionnage massif, digne des grandes puissances, mais utilisé pour étouffer toute contestation et surveiller les élites.
Derrière ces affaires, c’est toujours la même méthode : déstabiliser, contrôler, manipuler. Les critiques décrivent Hammouchi comme un maître de la duplicité, capable de manœuvrer dans l’ombre, jouant à la fois la carte de la fidélité au Makhzen et celle des alliances extérieures.
Le double jeu avec Israël
Car l’un des aspects les plus controversés du règne de Hammouchi est son rôle dans le rapprochement sécuritaire avec Israël. Depuis la normalisation des relations, le Maroc a multiplié les accords de coopération avec le Mossad et l’industrie militaire israélienne. Drones, satellites, logiciels espions : l’arsenal technologique s’enrichit, mais au prix d’une dépendance croissante.
Ce partenariat n’est pas nouveau. Déjà dans les années 1960, les services marocains collaboraient avec le Mossad, notamment dans l’affaire Ben Barka. Aujourd’hui, Hammouchi apparaît comme le garant de cette alliance obscure. Ses détracteurs l’accusent de vendre la souveraineté nationale aux services israéliens, de transformer le Maroc en laboratoire sécuritaire au service d’intérêts étrangers.
Les fissures du système
Pourtant, derrière la façade de puissance, les fissures apparaissent. La rivalité avec la DGED (renseignement extérieur), dirigée par Yassine Mansouri, s’est intensifiée. Les deux hommes se livrent une guerre froide, chacun défendant son territoire et ses réseaux.
L’affaire Mehdi Hijaoui, ancien haut responsable de la DGED qui a fui à l’étranger avec des secrets sensibles, a jeté une lumière crue sur ces luttes intestines. Son exil en Europe, ses révélations sur les pratiques des services marocains, ont montré que même au cœur de la forteresse, la loyauté n’était plus garantie. Le départ de Hijaoui est vécu comme une trahison majeure, révélatrice de la fragilisation de l’appareil.
Les tensions ne s’arrêtent pas là. Au sein des Forces Armées Royales et de la Gendarmerie royale, des rivalités éclatent, attisées par la question de la succession et par les choix stratégiques liés à la coopération militaire avec Israël. Les équilibres internes vacillent.
Un royaume au bord de l’effondrement
Pendant ce temps, la rue gronde. Les Marocains voient leurs terres vendues à des investisseurs étrangers, souvent israéliens, et se sentent spoliés. Le chômage, la pauvreté, la corruption alimentent la colère populaire. Les manifestations de solidarité avec la Palestine, massives depuis 2023, traduisent un rejet de la normalisation imposée par le haut.
Dans ce contexte explosif, Abdelatif El Hammouchi incarne à la fois la force et la fragilité du régime. Il est celui qui contrôle, qui surveille, qui réprime. Mais il est aussi le symbole d’un système qui a vendu son âme pour survivre, d’un État qui échange sa souveraineté contre des soutiens extérieurs, d’un pouvoir qui gouverne par la peur parce qu’il a perdu la confiance de son peuple.
L’ombre d’un homme, l’ombre d’un régime
El Hammouchi est plus qu’un dirigeant sécuritaire : il est la personnification du Makhzen. Un homme de l’ombre, obsédé par le contrôle, architecte d’un État policier, mais aussi rouage d’un dispositif qui, peu à peu, s’effondre sous ses propres contradictions.
Car l’histoire des régimes autoritaires est toujours la même : à force de surveiller, de manipuler et de trahir, ils finissent par se fissurer de l’intérieur. Et l’ombre, aussi épaisse soit-elle, ne peut masquer indéfiniment les fractures d’un royaume qui vacille.
Source: Alhirak alikhbari, 17 août 2025
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