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Par Laala Bechetoula | Laghouat – Beyrouth – Paris
Le 25 juillet 2025, un homme au regard franc, vêtu de manière sobre, est descendu d’un avion en provenance de France. À l’aéroport de Beyrouth, une foule innombrable l’attendait. Fleurs, larmes, chants révolutionnaires, slogans anti-impérialistes. Il s’appelait Georges Ibrahim Abdallah. Il était libre.
Après 41 années de détention dans les prisons françaises, le militant communiste libanais, accusé de complicité dans des assassinats politiques en 1982 à Paris, a été expulsé vers son pays natal. Pour ses partisans, il est un héros. Pour ses détracteurs, un terroriste impénitent. Pour l’histoire, il est devenu l’un des plus anciens prisonniers politiques d’Europe occidentale.
Un homme, une cause, une époque
Georges Abdallah naît en 1951 à Qoubaiyat, village chrétien du nord du Liban. Formé comme enseignant, il est rapidement happé par la guerre civile libanaise (1975-1990), les invasions israéliennes et l’effondrement du monde arabe. Marxiste convaincu, il s’engage dans les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), branche radicale propalestinienne liée au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Le 24 octobre 1984, il est arrêté à Lyon en possession de faux papiers. En 1987, la justice française le condamne à la réclusion à perpétuité pour complicité dans les assassinats d’un diplomate américain (Charles Ray) et d’un attaché militaire israélien (Yacov Barsimentov). Le procès est politique, les preuves circonstancielles. Depuis, Georges Abdallah n’a jamais nié son engagement révolutionnaire. Mais il a toujours nié avoir personnellement commis les meurtres.
Un prisonnier politique à l’ombre de la République
L’histoire retiendra que Georges Abdallah était libérable depuis 1999. Et pourtant, année après année, ministre après ministre, gouvernement après gouvernement — de Lionel Jospin à Emmanuel Macron — sa libération fut systématiquement bloquée, sous pression notamment de Washington et Tel-Aviv. Le parquet français, dans un zèle diplomatique assumé, refusait de signer l’arrêté d’expulsion pourtant exigé par la loi.
Plusieurs juges d’application des peines, dont des magistrats expérimentés, avaient recommandé sa libération conditionnelle, estimant qu’il ne représentait plus de danger. Rien n’y fit.
En 2013, une nouvelle décision favorable est bloquée par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. En 2014, la Cour européenne des droits de l’homme est saisie. L’affaire prend un tour symbolique. En 2020, alors que les prisons françaises sont vidées de nombreux détenus pour cause de pandémie, Abdallah reste incarcéré.
Pourquoi ? Pour les uns : « l’ingérence américaine ». Pour d’autres : le refus de l’État français d’assumer une possible libération d’un homme qui, jusque dans sa cellule, continue d’appeler à la lutte armée contre l’impérialisme occidental et le sionisme.
Un retour triomphal… et dérangeant
À Beyrouth, les scènes sont historiques. Des milliers de personnes, jeunes et vieux confondus, certains venus du sud chiite, d’autres des milieux communistes ou même de la diaspora chrétienne, acclament son retour. « Libérez la Palestine ! », « Gloire aux résistants ! », « À bas l’occupation ! ».
Dans une déclaration enflammée depuis son village natal, il déclare :
« Gaza est un tombeau à ciel ouvert, un ossuaire pour enfants. Et le monde arabe ? Une foire du silence. »
Puis il ajoute, en arabe littéraire, repris en boucle par les chaînes satellitaires :
« إسرائيل تلفظ أنفاسها الأخيرة، لكن من يتنفس بدلها؟ أنظمة القهر أم شعوب المقاومة؟ »
« Israël vit ses derniers souffles. Mais qui respirera à sa place ? Les régimes oppresseurs ou les peuples de la résistance ? »
Ce discours, porté par une rhétorique révolutionnaire inchangée, galvanise certains, inquiète d’autres. Les chancelleries occidentales, elles, sont silencieuses — mais pas les États-Unis. Dans un communiqué officiel, l’ambassade américaine à Paris condamne la libération :
« Un dangereux précédent. Un signal désastreux envoyé aux ennemis de la paix. »
La France : prisonnière de sa propre raison d’État ?
En France, la décision de libérer Abdallah a été prise dans un contexte discret. Officiellement, l’expulsion est présentée comme une mesure administrative. En réalité, plusieurs sources indiquent que la France a cédé à une pression diplomatique inversée : celle du Liban, qui menaçait d’interrompre certaines coopérations, et celle d’une opinion publique arabe indignée par le silence français face à la guerre à Gaza.
La presse française est embarrassée. Le Monde parle d’« un cas d’école de justice empêchée ». Le Figaro, quant à lui, évoque un « provocateur libéré en catimini ». En réalité, la France ne savait plus que faire d’un détenu devenu mythe.
Le poids du mythe, l’ombre des combats
Georges Abdallah est devenu, malgré lui, un point de ralliement pour les gauches radicales, les mouvements propalestiniens, les milieux anti-impérialistes et certains secteurs chiites. Il incarne l’époque des luttes armées, des utopies marxistes et du refus absolu de l’ordre mondial américano-centrique.
Mais ce retour soulève aussi une question cruciale : y a-t-il encore une place, en 2025, pour ce type de discours révolutionnaire dans un monde multipolaire et ultra-connecté ?
Abdallah ne croit pas aux compromis. Il parle d’occupation, pas de processus de paix. De lutte armée, pas de négociation. Il ne s’excuse de rien. Pour beaucoup de jeunes, il est un dinosaure charismatique. Pour d’autres, un repère clair dans un monde trouble.
Conclusion : la fin d’un cycle, ou le début d’un autre ?
La libération de Georges Abdallah est une victoire symbolique pour ses soutiens. Elle met un terme à l’une des plus longues détentions politiques du monde occidental. Elle ouvre aussi une séquence plus large : celle du retour des récits oubliés, des résistances tues, des luttes longtemps jugées obsolètes.
Mais elle pose aussi une série de dilemmes moraux et politiques. Peut-on célébrer un homme dont l’histoire est liée à des actes violents ? Peut-on enfermer quelqu’un à perpétuité pour ses idées ? Et surtout, la cause palestinienne a-t-elle besoin d’icônes martyrs, ou de stratégies nouvelles ?
Une chose est certaine : Georges Abdallah n’est pas rentré pour se taire.
🖋 Par Laala Bechetoula – pour ceux qui savent lire entre les barreaux.
📍 Laghouat | 📍 Paris | 📍 Beyrouth
Source : Algérie Info
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