Mots clés : Maroc, Donald Trump, Front Polisario, Sahara Occidental,
Des politiciens anglo-saxons, des lobbies marocains et une avalanche d’opinionistes favorables à Rabat exhortent Donald Trump à inscrire le mouvement sahraoui sur la liste des organisations terroristes.
Par Ignacio Cembrero
Le Front Polisario est-il une organisation terroriste ? Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les lobbies marocains s’efforcent de le démontrer, dans l’espoir, peut-être, que les États-Unis l’inscrivent sur la liste noire des mouvements terroristes, fournissant ainsi un prétexte supplémentaire pour ne pas s’asseoir à la table des négociations avec lui.
Au cours du mois d’avril, les publications et les déclarations se sont multipliées, présentant des analyses et des données qui étayeraient prétendument les liens du mouvement sahraoui avec l’Iran, le Hezbollah libanais ou le djihadisme qui ravage le Sahel.
Le déclencheur de cette campagne a été un article publié à la mi-avril par la chercheuse Zineb Riboua, d’origine marocaine, au sein du think-tank américain néoconservateur Hudson Institute, intitulé : « L’argument stratégique pour désigner le Polisario comme organisation terroriste étrangère ». Riboua mélange dans son article des éléments qui mettent en doute la bonne gestion des camps de réfugiés sahraouis par le Polisario, comme de présumés détournements d’aide humanitaire, avec d’autres qui pourraient révéler ses liens avec des organisations radicales comme le Hezbollah, les Gardiens de la Révolution iraniens.
Elle l’accuse également de trafic d’armes au profit des djihadistes au Sahel. « Nous ne sommes pas face à un mouvement pacifique, mais à une organisation aux ramifications dangereuses », écrit Riboua.
Parallèlement, le journal The Washington Post a publié une information affirmant que l’Iran « a entraîné des combattants du Front Polisario » et que « des centaines d’entre eux sont maintenant détenus par les nouvelles forces de sécurité syriennes ». Il citait comme sources deux fonctionnaires, un Syrien et un Européen. Ahmed Attaf, le ministre algérien des Affaires étrangères, avait déjà démenti la participation de militaires algériens à la guerre civile en Syrie.
Le Polisario a nié à son tour que ses miliciens aient été formés par l’Iran ou ses alliés comme le Hezbollah. Alger a, cependant, maintenu des relations étroites avec le régime syrien de Bachar al-Assad et avec Téhéran. Cette dernière relation perdure. La thèse exposée par Riboua au Hudson Institute a incité certains politiciens anglo-saxons à encourager Trump à classer le Polisario comme terroriste.
Le congressiste républicain Joe Wilson a été le premier à saluer l’article « incisif » sur X et à demander ensuite que le mouvement sahraoui soit étiqueté comme terroriste. « Trump résoudra cela », a-t-il prédit. Liam Fox, ancien ministre de la Défense du Royaume-Uni, s’est joint à lui, entre autres.
Ensuite, une cohorte de politiciens latino-américains, comme le Brésilien Eduardo Bolsonaro, fils de l’ancien président Jair, ou le député de Buenos Aires Álvaro González, ont fait irruption sur les réseaux sociaux, exprimant soudainement leur intérêt pour le conflit du Sahara Occidental. Ils ont demandé à l’unisson à leurs gouvernements d’étiqueter sans délai le Polisario comme terroriste.
Simultanément, une avalanche d’éditorialistes marocains, à commencer par Lahcen Haddad, sénateur et ancien ministre du Tourisme, et jusqu’à Cherkaoui Roudani, expert en géopolitique, a émergé. Ce dernier a affirmé sur le site d’information espagnol Atalayar, proche des autorités marocaines, que « reclassifier » le Polisario était rien de moins qu' »une nécessité doctrinale pour assurer le flanc sud de l’OTAN (…) ».
Un journal, Le 360, lié à Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi Mohammed VI, a même publié de prétendus documents confidentiels de 2012 des services secrets syriens sur leurs liens avec les Sahraouis. Pour illustrer son information, il a également publié sur son site web des dessins animés dans lesquels Brahim Ghali, leader du Polisario, apparaît vêtu d’un t-shirt et d’une casquette de l’État islamique.
Ce journal et d’autres rappellent qu’un Sahraoui, surnommé Adnane Abou Walid, né à El Aaiún en 1973, était l’un des fondateurs de l’État islamique au Sahel. Il a ordonné l’embuscade dans laquelle quatre soldats américains ont été tués au Niger en octobre 2017. Le terroriste est décédé lors d’un bombardement de l’armée de l’air française en septembre 2021. Il est vrai qu’une poignée de Sahraouis ont rejoint les rangs du djihadisme, mais les Marocains qui ont franchi ce pas sont beaucoup plus nombreux.
Le Polisario s’est construit à l’image de l’Algérie, un pays qui a subi dans les années 90 les ravages du terrorisme et qui exerce une tutelle sur les camps sahraouis pour éviter tout débordement. Le mouvement sahraoui a également un historique d’affrontements avec les djihadistes. Ses miliciens se sont, par exemple, engagés en décembre 2011 à tenter de sauver les trois volontaires catalans enlevés par la branche maghrébine d’Al-Qaïda. Pour ce faire, ils ont affronté à coups de feu un groupe de narcotrafiquants dans le désert mauritanien. Ils n’ont cependant pas réussi à retrouver les otages.
Au-delà des démentis du Polisario, aucun Sahraoui capturé par les nouvelles autorités syriennes n’est apparu devant les caméras pour témoigner qu’il a été envoyé là-bas pour s’entraîner ou combattre pour Al-Assad. Aucun responsable de la police ou des services secrets européens n’a non plus signalé les Sahraouis pour leurs liens avec le terrorisme. Dans ses derniers rapports déclassifiés, qui remontent aux années 80, la CIA le décrivait comme une « guérilla ».
Peu avant le début de la guerre de Gaza, en octobre 2023, ce journaliste a eu l’occasion de s’entretenir longuement à Madrid avec un général israélien qui venait de quitter son poste dans le renseignement militaire de son pays. Il a affirmé qu’ils n’avaient jamais détecté de relation entre le Polisario et l’Iran ou le Hezbollah.
Le mouvement sahraoui a repris la guerre contre le Maroc en novembre 2020 après que l’armée marocaine a franchi le mur derrière lequel elle se retranche pour entrer dans une zone restreinte, violant ainsi l’accord militaire de cessez-le-feu. Équipé de la ferraille d’armement fournie par l’Algérie, sa guerre est de très faible intensité. Bien qu’il ait annoncé qu’il disposerait de drones, ceux-ci n’ont jamais survolé le ciel du Sahara.
Du côté de l’UE, personne n’a demandé que le Polisario soit inscrit sur la liste européenne des groupes terroristes. Au contraire, Josep Borrell, alors Haut Représentant pour la politique étrangère, a répondu en 2023 à une question au Parlement européen que l’UE « ne dispose pas d’informations sur une éventuelle collaboration entre le Polisario et des groupes terroristes dans la région ».
La Cour de justice de l’UE a reconnu le Polisario, dans ses arrêts d’octobre 2024, comme représentant légitime du peuple sahraoui, ayant la capacité juridique d’agir devant les tribunaux européens. « Étiqueter le Front Polisario comme organisation terroriste équivaudrait à criminaliser un mouvement de libération nationale soutenu par le droit international », a écrit le socialiste français Selim Djellab, très actif sur les réseaux sociaux en défense des Sahraouis.
« Cela constituerait un précédent dangereux dans les processus de décolonisation » comme celui qui est en suspens au Sahara, a-t-il ajouté. Il reste à voir ce que fera l’administration Trump face à cette aspiration marocaine de diaboliser le Polisario. En ses trois mois d’existence, la diplomatie trumpiste a confirmé à nouveau, le 8 avril, qu’elle « reconnaît la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental et soutient la Proposition d’Autonomie » pour l’ancienne colonie espagnole, comme elle l’avait déjà fait en décembre 2020.
Washington n’a pas annoncé l’ouverture d’un consulat à Dakhla (ancienne Villa Cisneros), comme Trump l’avait promis en 2020, et les manœuvres militaires américano-marocaines qui se déroulent actuellement n’englobent pas le Sahara Occidental. Enfin, la diplomatie américaine ne s’est pas mobilisée pour impulser cette grande conférence internationale, tant souhaitée par Rabat, dans laquelle Occidentaux, Africains et Arabes apporteraient, en marge de l’ONU, un soutien majeur à la solution d’autonomie que le Maroc préconise pour résoudre le conflit du Sahara.
Source : El Confidencial, 05/05/2025
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