Etiquettes : France, Algérie, relations bilatérales, cohabitation, politique française vis-à-vis de l’Algérie, François Mitterrand, Jacques Chirac, Emmanuel Macron,
Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, les relations entre Paris et Alger oscillent entre tensions et rapprochements, influencées par des enjeux historiques, économiques et migratoires. Si la politique étrangère française relève en principe du domaine présidentiel, la cohabitation – lorsque le chef de l’état doit gouverner avec une majorité parlementaire d’un autre bord politique – complexifie l’exercice du pouvoir. François Mitterrand, Jacques Chirac et, potentiellement, Emmanuel Macron ont tous été confrontés à cette situation. Mais dans quelle mesure la cohabitation a-t-elle réorienté la politique française vis-à-vis de l’Algérie ?
La Ve République française accorde au président un rôle prépondérant en matière de politique étrangère et de défense. Toutefois, en période de cohabitation, le Premier ministre, issu de la majorité parlementaire, prend le contrôle des affaires intérieures et économiques, ce qui peut affecter la mise en œuvre des décisions présidentielles. Dans le cas des relations franco-algériennes, où les questions mémorielles, migratoires et économiques sont étroitement imbriquées, cette dualité de pouvoir peut créer des divergences de ligne politique.
La première cohabitation de l’histoire de la Ve République (1986-1988) voit s’affronter François Mitterrand, président socialiste, et Jacques Chirac, Premier ministre issu du RPR (droite). À cette période, l’Algérie traverse une phase d’instabilité croissante qui aboutira quelques années plus tard à la décennie noire. Mitterrand, qui a un passé complexe avec l’Algérie – ayant notamment été ministre de la Justice durant la guerre d’indépendance –, adopte une posture prudente. Chirac, quant à lui, privilégie une approche pragmatique en renforçant la coopération économique avec Alger.
Pourtant, en octobre 1988, des émeutes éclatent dans la capitale algérienne, signe avant-coureur d’un basculement politique. La France adopte une position de neutralité officielle, évitant toute ingérence, mais l’absence d’une ligne politique claire illustre les limites imposées par la cohabitation. La troisième cohabitation (1997-2002) met face à face un président gaulliste, Jacques Chirac, et un Premier ministre socialiste, Lionel Jospin. Cette période est marquée par des débats sur la mémoire coloniale, thème sur lequel les deux dirigeants adoptent des positions opposées. Chirac, bien que soucieux d’apaiser les tensions avec l’Algérie, reste prudent sur la question de la reconnaissance des crimes coloniaux. Jospin, en revanche, s’ouvre davantage à la reconnaissance du passé, notamment à travers des initiatives symboliques sur les massacres du 17 octobre 1961 à Paris.
Malgré ces divergences, la coopération franco-algérienne se renforce sur d’autres fronts, notamment en matière économique et sécuritaire. La lutte contre le terrorisme islamiste, après les vagues d’attentats commis en France par le Groupe islamique armé (GIA), pousse les deux pays à renforcer leur collaboration, au-delà des clivages politiques internes.
La cohabitation sous Macron
Emmanuel Macron est le premier président de la Ve République à avoir exercé un premier mandat sans cohabitation avant de se retrouver dans une situation de quasi-cohabitation lors de son second mandat. Si la politique étrangère reste une prérogative présidentielle, l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale depuis 2022 a modifié la dynamique de pouvoir, influençant, entre autres, la relation entre la France et l’Algérie.
Durant son premier mandat, Macron a tenté de redéfinir les relations franco-algériennes sous le prisme de l’apaisement mémoriel et de la coopération économique. En 2017, dès sa campagne présidentielle, il qualifie la colonisation de « crime contre l’humanité », une déclaration qui marque une rupture avec ses prédécesseurs. En 2021, il commande un rapport à l’historien Benjamin Stora sur la mémoire de la guerre d’Algérie, qui préconise plusieurs initiatives pour la réconciliation, sans pour autant présenter d’excuses officielles. Malgré ces gestes, les relations avec Alger oscillent entre rapprochements et crispations.
En octobre 2021, Emmanuel Macron critique le « système politico- militaire » algérien et remet en cause l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française. Ces propos provoquent une crise diplomatique, avec le rappel de l’ambassadeur algérien et l’interdiction de survol du territoire algérien aux avions militaires français engagés au Sahel. Après sa réélection en avril 2022, Macron perd la majorité absolue aux élections législatives de juin. Face à une Assemblée dominée par des oppositions fortes, le président doit composer avec un gouvernement fragile dirigé par Élisabeth Borne, puis Gabriel Attal en 2024.
Cette situation affecte directement sa politique algérienne. Si Macron a tenté de poursuivre son travail de réconciliation avec Alger, la droite et l’extrême droite françaises freinent ces démarches. Des propositions de loi visant à reconnaître la responsabilité de l’Algérie dans les exactions contre les harkis ou à revaloriser la mémoire des colons « pieds-noirs » gagnent du terrain, suscitant des tensions avec Alger.
En parallèle, les débats sur la réforme du droit d’asile et de l’immigration compliquent les relations franco-algériennes. La droite parlementaire pousse pour une révision de l’accord franco-algérien de 1968, qui accorde des facilités de séjour aux Algériens. Alger y voit une remise en cause des accords d’Évian, ce qui exacerbe les tensions. La reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc. sur le Sahara occidental en juillet 2024, sous la pression du Parlement et dans un contexte de rapprochement stratégique avec Rabat, provoque une crise diplomatique avec Alger qui rappelle son ambassadeur et suspend plusieurs accords économiques.
La pression parlementaire a également conduit à une réduction de l’engagement militaire français en Afrique, notamment après la fermeture des bases françaises au Niger et au Mali. Cette perte d’influence bénéficie à l’Algérie, qui renforce son rôle régional. Contrairement aux cohabitations classiques où le Premier ministre et le président sont issus de camps opposés, Macron doit composer avec une majorité relative. Cette situation limite sa marge de manœuvre sur des dossiers sensibles comme la mémoire coloniale, l’immigration et les alliances stratégiques en Afrique du Nord.
Si la diplomatie reste une compétence présidentielle, l’opposition parlementaire freine plusieurs initiatives, contribuant à une relation franco-algérienne marquée par des avancées hésitantes et des tensions persistantes. L’examen des différentes périodes de cohabitation montre que si le président français conserve un rôle central en diplomatie, la présence d’un gouvernement issu d’un autre courant politique peut influer sur la relation franco-algérienne. Que ce soit sous Mitterrand, Chirac ou potentiellement Macron, la cohabitation a souvent complexifié la gestion de dossiers sensibles, sans toutefois bouleverser en profondeur les relations bilatérales.
Sonia H.
Source : E-Bourse
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