Etiquettes : Algérie, Maroc, Sahara Occidental, Libye, Etats-Unis, Chadli Bendjedid,
DIRECTORAT DES RENSEIGNEMENTS 28 août 1985
Résumé
Les preuves disponibles n’indiquent pas que l’Algérie constitue une menace imminente telle que décrite récemment aux responsables américains par le Premier ministre marocain. Leur relation historiquement troublée est à un niveau bas à cause du conflit au Sahara occidental et de l’union politique du roi Hassan avec la Libye. Néanmoins, selon notre évaluation, Alger ne souhaite pas que la situation se détériore au point que des hostilités militaires à grande échelle soient probables. En ce qui concerne le problème du Sahara occidental, de petites escarmouches continueront probablement avec peu d’avertissement le long du mur défensif marocain. L’Algérie voudra maintenir la pression sur le roi Hassan pour le forcer à négocier un arrangement permettant une certaine autonomie saharienne. Le plus grand danger est que ces affrontements mineurs pourraient mener à une guerre non préméditée. Cependant, nous ne croyons pas qu’Alger cherche activement à renverser Hassan, ce qui pourrait aboutir à un gouvernement plus hostile à Rabat. La volonté de Bendjedid de resserrer l’étau sur Rabat pourrait également être limitée par l’union de Hassan avec la Libye et par le risque qu’Alger doive soudainement faire face à des hostilités sur ses frontières orientale et occidentale.
Ce mémorandum a été préparé par la branche Maghreb, division arabo-israélienne, Bureau de l’analyse du Proche-Orient et de l’Asie du Sud. Il a été demandé par le bureau du vice-président. Les informations datant du 28 août 1985 ont été utilisées pour sa préparation. Les questions et commentaires doivent être adressés au chef de la division arabo-israélienne.
Dissidents marocains : un nouvel angle ?
Le dernier incident mettant en lumière la rivalité entre le Maroc et l’Algérie concerne les accusations de Rabat, vivement niées par Alger, selon lesquelles les Algériens tenteraient de fomenter l’instabilité politique au Maroc. La semaine dernière, le gouvernement marocain a jugé 17 dissidents, qu’il a affirmé avoir capturés en juillet après être entrés dans le pays depuis l’Algérie. Rabat prétend également que les dissidents ont été formés par des responsables de la sécurité algériens.
Nous ne pouvons pas confirmer le lien entre les dissidents et l’Algérie, ni déterminer l’étendue de l’éventuel soutien algérien à d’autres dissidents marocains.
Si le rôle présumé de l’Algérie est avéré, Alger aurait peut-être décidé de mettre la pression sur le régime du roi Hassan en semant des troubles au Maroc, afin de faire bouger les choses sur la question du Sahara occidental. Le président Bendjedid subit des pressions de la part de ses hauts responsables militaires pour prendre des mesures plus fermes contre le Maroc. Ils s’inquiètent du refus de Bendjedid d’empêcher Rabat de terminer son réseau étendu de murs défensifs au Sahara occidental. Les officiers plus orientés à gauche sont mécontents du rapprochement de Bendjedid avec les États-Unis et l’Occident, en particulier en raison du soutien militaire continu des États-Unis et de la France au Maroc. Ces officiers veulent donner plus d’armes aux guérillas du Polisario et intensifier la guerre contre le Maroc. Bendjedid pourrait avoir décidé de soutenir l’activité des dissidents marocains comme concession à ces officiers.
Un autre scénario serait que les dissidents aient été autorisés à résider en Algérie, mais que leurs activités n’aient pas été étroitement surveillées par le gouvernement. Des responsables de la sécurité et de l’armée, opposés à Bendjedid, auraient également pu soutenir les infiltrations, en s’attendant à ce qu’elles échouent, dans le but d’embarrasser Bendjedid en illustrant aux étrangers les « contradictions » dans l’image de politique étrangère modérée qu’il cherche à établir. Nous pensons que cela pourrait être le cas de la tentative de raid infructueuse du printemps dernier planifiée par l’OLP contre le quartier général de la défense israélienne.
Un héritage d’amertume
Les accusations de Rabat concernant le soutien algérien aux dissidents s’inscrivent dans une longue histoire d’antagonisme entre le Maroc et l’Algérie. Ces tensions sont alimentées par des suspicions profondes liées à des facteurs politiques, géographiques, économiques et psychologiques. Les deux pays possèdent les plus grandes populations et les ressources les plus abondantes du Maghreb, et chacun considère l’autre comme le principal obstacle à sa propre domination régionale. En outre, leurs systèmes politiques – socialisme révolutionnaire contre monarchie féodale – sont fondamentalement opposés.
La principale source de tension entre l’Algérie et le Maroc au cours de la dernière décennie a été la revendication de Rabat sur le Sahara occidental. Les dirigeants algériens estiment que leur soutien au Polisario est nécessaire, à la fois pour contrer ce qu’ils perçoivent comme l’expansionnisme marocain et pour démontrer l’engagement de leur pays envers les groupes étrangers qui mènent des guerres de libération nationale. Bien que l’Algérie ait remporté jusqu’à présent la bataille politique au sein de l’OUA et du mouvement des non-alignés, en obtenant une reconnaissance diplomatique généralisée de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), ses perspectives sur le champ de bataille – où le véritable enjeu se joue – sont sombres. L’engagement de 80 000 hommes par le Maroc et la construction d’un périmètre défensif au cours des deux dernières années se sont avérés efficaces pour défendre le territoire contre les attaques des 3 500 combattants du Polisario. De plus, l’union politique du roi Hassan avec la Libye a créé une menace potentielle à la frontière orientale de l’Algérie, et l’Algérie doit désormais envisager une éventuelle action hostile de la part de la Libye si elle devait être impliquée dans une crise avec le Maroc.
Alger a essayé différentes stratégies, souvent contradictoires, dans sa lutte pour contrer ces revers diplomatiques et militaires. Plus tôt cette année, le président Bendjedid a mis l’accent sur la recherche d’une solution politique, réalisant presque certainement que la campagne du « mur » marocain exclut toute possibilité de victoire militaire du Polisario. Le rejet par Hassan des plans de paix algériens semble cependant avoir encouragé Alger à adopter une politique plus conflictuelle envers le Maroc. Par exemple, les contacts entre les deux pays ont été réduits, et nous constatons des efforts algériens plus intensifs parmi les pays non-alignés pour obtenir une reconnaissance diplomatique plus large pour le Polisario (le Liberia a récemment reconnu la RASD) et certains rapports de presse suggèrent que l’Inde pourrait faire de même.
La stratégie algérienne : Davantage de la même chose
Cependant, selon notre jugement, le soutien continu de l’Algérie au Polisario, et ses querelles diplomatiques avec Rabat, sont les principaux éléments du programme de Bendjedid pour harceler Hassan pour son « intransigeance » sur la question du Sahara occidental. Les Algériens croient probablement qu’ils peuvent rendre le conflit au Sahara occidental si coûteux que Hassan finira par accepter une certaine autonomie sahraouie. L’Algérie pourrait également anticiper que son soutien au Polisario dissuadera Hassan de toute tentative plus ambitieuse de ressusciter l’idée d’un « Grand Maroc », incluant non seulement le Sahara occidental, mais aussi la Mauritanie et des parties du sud-ouest algérien.
Nous croyons que le gouvernement Bendjedid ne souhaite pas un conflit militaire majeur avec le Maroc. Bien que l’Algérie bénéficie d’un avantage militaire écrasant le long de la frontière, ses dirigeants réalisent presque certainement que le terrain accidenté le long de la frontière limiterait l’action militaire à des frappes transfrontalières qui pourraient mener à une guerre d’usure prolongée. Alger pourrait également réaliser que le Maroc a un net avantage le long de la portion sud de la frontière, et pourrait envahir Tindouf, le seul établissement algérien significatif dans le sud-ouest et le siège politique et militaire du Polisario. Rabat pourrait également lancer des frappes aériennes contre les installations stratégiques de pétrole et de gaz naturel de l’Algérie.
Scénarios alternatifs
Un certain nombre de développements pourraient obliger l’Algérie à réévaluer sa position vis-à-vis du Maroc et encourager ses dirigeants à adopter une politique encore plus dure. Une décision du roi Hassan de poursuivre les guérilleros du Polisario en « chasse à chaud » en Algérie, ou peut-être dans le nord de la Mauritanie, pourrait amener les Algériens à s’impliquer plus directement dans les combats et à utiliser leur armée pour harceler les Marocains le long de la frontière nord. Cela pourrait conduire à un conflit non prémédité entre les deux pays.
Il existe d’autres scénarios moins probables, selon nous, qui pourraient aboutir à une posture plus agressive contre Hassan. L’achat par le Maroc de systèmes d’armement très sophistiqués, par exemple, pourrait amener Bendjedid à se sentir plus menacé et à envisager une frappe militaire préventive. Le gouvernement Bendjedid répondrait probablement militairement s’il croyait que le Maroc et la Libye planifiaient une agression contre lui, ou en représailles pour un acte hostile, tel qu’un acte terroriste. Bendjedid pourrait même envisager l’option militaire s’il percevait une implication maroco-libyenne dans une opération clandestine visant à subvertir son gouvernement.
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