Face à Poutine, Macron joue du clairon !

En France même et à travers le monde, on se disait que cette nouvelle tocade du président Emmanuel Macron n’était qu’une foucade diplomatique de plus, et qu’on allait vite l’oublier

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Noureddine Khelassi

On sait que le clairon est un instrument à vent. Utilisé encore dans certains corps traditionnels de l’armée française, tels l’infanterie de marine et la légion, c’est un objet d’ordonnance, c’est-à-dire qu’il sert à la transmission des ordres militaires grâce à des sonneries aisément reconnaissables : le rassemblement, l’appel aux couleurs et à la soupe, ou à commencer le feu, etc. Et par extension, celui qui en joue est un «sonneur», appelé aussi un clairon. Avec ces rodomontades exprimant son récent virage belliciste face à Vladimir Poutine, Emmanuel Macron joue manifestement du clairon, brassant de l’air et se piquant ainsi au jeu grisant du hâbleur présidentiel exhibant de virtuels gros muscles sur les réseaux sociaux.

Il a donc déclaré tout seul la guerre à la Russie en parfait Bonaparte d’Instagram, de X ou de Facebook. La diversion de politique intérieure était évidente au départ, mais il a soufflé encore dans le clairon de la crânerie, avec la diffusion de la croquignolesque photo de ses muscles photoshopés. Une armée de clercs médiatiques particulièrement bravaches s’est alors mobilisée, et les plateaux de télé ont retenti de toutes les balivernes et de toutes les niaiseries possibles de ceux qui oubliant l’Histoire napoléonienne veulent marcher sur Moscou ! Y compris des militaires d’active ou pas, qui se sont précipités dans les médias en mode Paul Déroulède, le député de la 3ème République et un des précurseurs du fascisme à la française, comme s’ils déclamaient son fameux poème Le Clairon : «L’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge, et les zouaves s’en vont chantant…» Pendant ce temps, les Russes rigolent, quelques roquets européens comme les pays baltes jappent à l’unisson de la France marconienne, quant aux Américains, leur presse a montré qu’ils n’en avaient cure.

Qu’est-ce qui peut expliquer alors la dérive guerrière d’Emmanuel Macron amorcée à l’occasion de la conférence des 30 pays organisée en février à Paris ? On l’avait alors vu prendre une initiative diplomatiquement absurde et déroutante en déclarant qu’il ne fallait pas exclure l’intervention de troupes de l’OTAN contre l’armée russe en Ukraine. Ce fut immédiatement un tollé dans les capitales des pays participants qui rappelèrent que cette éventualité n’avait pas été discutée, et qu’il n’en était pas question. Jusqu’à John Kirby, porte-parole de Joe Biden faisant remarquer, d’un air ironique, que «même Zelensky ne l’avait pas demandé».

En France même et à travers le monde, on se disait que cette nouvelle tocade d’un président erratique n’était qu’une foucade diplomatique de plus, et qu’on allait vite l’oublier. Mais le problème, c’est que Macron a emprunté de nouveau la voie martiale avec une forme de déclaration de guerre à la Russie. À commencer par la signature en urgence de traités avec l’Ukraine et la Moldavie, jugés inconstitutionnels et contraires même au Traité de l’Atlantique Nord constitutif de l’OTAN, et, au passage, une violation de la Constitution moldave qui impose la neutralité à ce pays. Et sous le regard ahuri de la communauté internationale, pour cette fois-ci Occident et Sud global réunis, le chef de l’État français, a poursuivi son escalade guerrière. Il a monté une coalition biscornue avec les petits pays baltes, la Pologne, et le général pro-Ukraine et ex-haut gradé de l’OTAN qui sert de président à la République tchèque.

Mais alors pourquoi Emmanuel Macron s’est-il lancé dans cette croisade insensée ? Qui ne pourrait produire qu’une escalade dangereuse et contraire de toute évidence aux intérêts stratégiques de son pays. Plusieurs clés de compréhension ont été avancées, mais demeure entière la question de la suite et du changement d’approche macronien du conflit en Ukraine. Le président français est passé brutalement d’une attitude de nuance appelant à la nécessité de «ne pas humilier la Russie», à une surenchère belliqueuse finalement incompréhensible.

Il y a probablement, à la base, son éventuelle et soudaine prise de conscience de la défaite stratégique inéluctable de l’Ukraine et, derrière, le retrait des États-Unis, de l’Otan et de l’Europe suiviste. Surtout que l’élection probable de Donald Trump pour un autre mandat à la Maison-Blanche serait annonciatrice de désengagement de Washington du conflit ukrainien. Les coups de menton du président Macron en direction de Vladimir Poutine, plutôt le signe d’une volonté de relancer son deuxième mandat qui s’essouffle alors qu’il a le souffle électoral chaud de Marine Le Pen dans la nuque ? Réélu confortablement en avril 2022 pour un deuxième mandat, il ne pourra pas se présenter à un troisième en 2027, c’est évident. Ce qui signifie qu’à partir de fin 2024, son autorité politique déjà assez faible, va s’amoindrir encore. Et ses différents soutiens politiques vont s’organiser en dehors de lui pour le scrutin à venir.

S’ajoute à cette situation particulière la défaite de juin 2022 aux élections législatives qui a installé une majorité relative et une opposition morcelée au Palais-Bourbon. Ce qui a fait de l’Assemblée nationale un instrument malcommode sinon assez inadapté à l’exercice typiquement macronien du pouvoir. Les projets de loi sont l’objet de manœuvres de contorsions et de contournement qui exaspèrent les Français, comme le montrent les baromètres d’opinion. Macron, pourtant soutenu par une presse mainstream connivente et complice, est contraint tout de même d’exister davantage à travers des opérations de pure communication, comme celle des biceps photoshopés et ostensiblement tendus vers l’Ours russe.

En même temps, des mises en scène de remaniements ministériels assurant la promotion aux postes essentiels de profils improbables, nominations fantasques soulignées par des voix politiques et des plumes éditoriales en France même. En outre, multiplication des cérémonies aux Invalides, entrées devenues quasiment régulières au Panthéon, gymnastique institutionnelle comme l’inutile inscription de l’IVG dans la Constitution. Dès qu’il vient sur le terrain directement politique, confronté à une opinion qui le rejette, il fait monter par conséquent l’ancien Front National dans les sondages, et se trouve parfois obligé de surenchérir politiquement à sa droite même !

Cela étant, il est toujours le chef de l’Exécutif de son pays. Mais quelles sont en fin de compte ses perspectives ? Il sera bientôt le perdant qui s’en ira et qui verra ses anciens amis politiques soucieux de leur place dans le nouveau pouvoir à venir, s’éloigner de lui, un à un. Pour les élections européennes, son parti Renaissance subira probablement un échec retentissant, comme le prédisent les sondages successifs.

Quelles sont donc ses marges de manœuvre face à l’éventuelle bérézina électorale de juin prochain ? Dissoudre l’Assemblée nationale serait courir le risque de se retrouver avec une majorité Rassemblement National (RN). Trois ans de cohabitation avec Marine Le Pen à inaugurer les chrysanthèmes ? Dans le meilleur des cas, si cette dissolution ne débouchait pas sur une majorité RN, la nouvelle Assemblée nationale serait quand même encore plus problématique que celle de juin 2022. Emmanuel Macron est déjà dans la situation d’un monarque présidentiel au pouvoir dévitalisé et démonétisé.

Le Soir d’Algérie, 02/03/2024

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