Qatargate: le patron des syndicats, Luca Visentini, désavoué sur fond de rapports accablants

Luca Visentini, inculpé pour corruption, a été démis ce week-end de ses fonctions de secrétaire général de la Confédération syndicale internationale. Il a reconnu avoir reçu près de 50.000 euros cash des mains d’Antonio Panzeri. Les enquêtes interne et externe dans les organisations syndicales qu’il a dirigées sont cruelles pour l’Italien.

Luca Visentini à la tête de la coupole mondiale des syndicats, clap de fin. Le conseil général de la Confédération syndicale internationale (CSI) a « décidé que Luca Visentini n’avait plus sa confiance en tant que secrétaire général », a-t-elle indiqué samedi dans un communiqué. Un « congrès mondial extraordinaire » sera organisé « dès que possible en vue d’élire un nouveau secrétaire général », précise le texte. Ce « vote de confiance » au sujet du syndicaliste italien, faisant suite à son inculpation pour corruption début décembre, s’est transformé en un sévère désaveu : sur 70 votants, 57 ont voté contre Luca Visentini, 12 pour et une abstention.

Le nom de Luca Visentini (54 ans) est apparu dès le 9 décembre dans ce « Qatargate ». Lors de l’opération de police ayant mené à l’arrestation d’Antonio Panzeri et consorts, M. Visentini avait été privé deux nuits de liberté, avant d’être libéré avec une double inculpation pour corruption et blanchiment, décernée par le juge d’instruction Claise. Des accusations qu’il conteste.

Les enquêteurs avaient les preuves – notamment grâce à des micros posés par la Sûreté de l’Etat dans l’appartement schaerbeekois de M. Panzeri – d’au moins une remise d’argent liquide. En audition, Luca Visentini a reconnu avoir reçu moins de 50.000 euros cash des mains prodigues du fondateur de l’ASBL Fight Impunity, pour financer sa campagne électorale.

Anciennement patron de la Confédération européenne des syndicats (CES), Luca Visentini briguait en effet le poste de secrétaire général de l’organisation mondiale, la CSI. Une coupole qui représente quelque 200 millions de travailleurs dans le monde. Il sera effectivement élu à ce poste lors d’un congrès, à Melbourne (Australie), le 22 novembre 2022. Pas le temps de savourer ce succès : moins de 20 jours plus tard, il était interpellé par les enquêteurs belges.

Défaillances systémiques
Son éviction ce samedi fait suite à divers rapports de la CES et de la CSI, notamment un audit externe de l’organisme européen, conclu le 10 février dernier, et celui de la commission spéciale d’enquête de la CSI, rendu début mars. Ces deux rapports, que Le Soir s’est procurés, sont accablants pour Luca Visentini et pointent des défaillances systémiques (en particulier pour la gestion des financements en liquide) dans le chef des deux organismes.

Les enquêtes ont retrouvé la trace de 43.000 euros, répartis ainsi : 10.000 euros déposés le 21 septembre 2022 auprès de la CES (100 billets de 100 euros), présentés comme des fonds apportés par le syndicat italien de M. Visentini – ce qui s’avérera être un mensonge. L’ex-secrétaire général ajoutait le 10 novembre 3.000 euros en coupures de 20. Du côté de la CSI, Luca Visentini a confié 23.000 euros cash au numéro 2 de l’organisation, Owen Tudor, et à un trésorier. Restaient 7.000 euros donnés par l’ancien eurodéputé – selon les aveux de MM. Panzeri et Visentini eux-mêmes – qui n’avaient pas « encore » été imputés à des dépenses électorales au moment de l’opération judiciaire.

La Confédération européenne note dans son rapport que le premier versement de 10.000 euros est intervenu avant la remise en cash captée par les micros de la Sûreté de l’Etat. Laissant supposer au moins une autre remise d’argent. « Il est tout simplement impensable qu’une personne publique, qui apparaît d’ailleurs comme une figure exposée du mouvement syndical européen, reçoive des sommes d’argent substantielles sans arrière-pensée” », s’indignent les rapporteurs de l’enquête externe pour la CES. Les mêmes fustigent la volonté de l’Italien de continuer à percevoir un salaire de la CES fin 2022 alors qu’il venait d’obtenir le poste suprême au niveau de la CSI. Sans compter que Luca Visentini « a régulièrement utilisé sa position de pouvoir pour réaliser des nuitées particulièrement haut de gamme et coûteuses ainsi que des visites de restaurants exceptionnellement luxueux ». Les auditeurs soulignent à quel point Luca Visentini a « endommagé considérablement » l’image du mouvement syndical européen.

Rendu peu avant l’éviction de ce week-end, le rapport de la CSI est tout aussi sévère avec M. Visentini. Sans omettre de fustiger l’organisation elle-même, pour avoir accepté les yeux fermés autant d’argent liquide venant, soi-disant, d’une ONG. En revanche, le rapport de la CSI n’a pas vu d’effet « pro-Qatar » ou « pro-Maroc » suite à ces dépôts de cash. Le rapport n’aborde pas non plus les nouvelles accusations du repenti Panzeri, révélées récemment par Le Soir, Knack et La Repubblica, selon qui 50.000 euros avaient été mis à la disposition de l’ex-candidate italienne au poste de secrétaire générale de la CSI, Susanna Camusso. C’était en 2018, toujours de la part du Qatar, à croire le « repenti » Panzeri. Mme Camusso a vertement réfuté toute réception de fonds occultes pour sa campagne perdue contre Sharan Burrow.

https://www.lesoir.be/500522/article/2023-03-13/marie-arena-sest-fait-offrir-son-insu-un-luxueux-sejour-au-maroc