Au Maroc, un précieux refuge pour les mères célibataires

Reportage L’Association solidarité féminine a été pionnière dans la défense de ces mères seules avec leurs enfants nés hors mariage victimes de nombreuses discriminations au Maroc. L’annonce d’une réforme du code de la famille suscite de l’espoir.

Rémy Pigaglio, de notre correspondant à Casablanca, le 10/03/2023 à 10:43

L’agitation est à son comble dans la cuisine du restaurant de l’Association solidarité féminine (ASF), dans le quartier Palmiers, à Casablanca. Il est 11 heures, et les bénéficiaires s’activent pour que tout soit prêt pour le déjeuner, sous l’œil vigilant de Hakema Bennasser, formatrice en cuisine marocaine. Les 17 bénéficiaires, de 19 à 34 ans, sont toutes des mères célibataires. L’objectif : leur enseigner un métier pour gagner en autonomie et faire face aux nombreux obstacles rencontrés au Maroc.

À l’étage, Houda (1), la trentaine, dresse les tables, avant l’arrivée des clients. La naissance de sa fille en septembre a été une déflagration dans sa vie. Le père l’a abandonnée, comme la famille pour laquelle elle travaillait en tant qu’employée de maison. « Même ma famille m’a laissée tomber », soupire-t-elle les yeux remplis de larmes.

L’opprobre des familles

Juste après la naissance, elle trouve refuge à l’association. Grâce au travail de réconciliation de l’ASF, elle a renoué avec sa mère et ses sœurs. Ses frères ne veulent toujours pas lui parler. Houda a songé, un temps, abandonner sa fille. « Mais, ici, elles m’ont convaincue de la garder, je suis si heureuse d’avoir changé d’avis ! », sourit-elle.

L’ASF a été fondée en 1985 alors que la situation des mères célibataires était très largement taboue. « Elles n’avaient aucune voix, statut social ou moyen de subsistance. Nous avons créé l’association pour défendre leurs droits et ceux de leurs enfants », explique Laila Majdouli, une des fondatrices, au côté de la présidente Aïcha Ech-Chenna, dont le décès en septembre 2022 a provoqué une intense émotion dans le pays.

L’enjeu de la filiation

Aïcha Ech-Chenna était devenue une icône de la lutte pour les droits des femmes. Son combat lui a pourtant attiré, il y a une vingtaine d’années, les foudres de certains conservateurs. Mais son travail et ses prises de parole ont empêché de détourner le regard de ces femmes, mal vues et discriminées par la loi. Beaucoup sont abandonnées par le père de l’enfant, dont la reconnaissance de filiation est principalement conditionnée par le mariage.

À quelques pas des premiers clients qui s’installent, Hania Bounouar, assistante sociale, veille sur le centre d’écoute. Les employées de l’association y orientent les mères célibataires vers les services de l’ASF, d’autres associations ou de l’État, selon leurs besoins.

50 000 naissances hors mariage par an

L’association mène aussi un travail de plaidoyer pour faire évoluer les lois. Les relations sexuelles extraconjugales et l’avortement restent passibles de prison. En 2004, une réforme du code de la famille – la Moudawana – avait néanmoins permis de premières avancées pour les femmes. Et il est aujourd’hui possible de donner un nom de famille à l’enfant né hors mariage.

« Mais il est crucial de changer la loi et, en particulier, de permettre la reconnaissance automatique de ces enfants par le père. L’objectif est avant tout d’éviter les abandons d’enfants. Beaucoup y sont prêts, y compris même dans les milieux religieux », assure Hania Bounouar. D’après l’association Insaf, 50 000 enfants naissent chaque année hors mariage au Maroc. Nombre sont abandonnés et parfois retrouvés morts.

Les consultations se poursuivent depuis des mois en vue d’une réforme de la Moudawana. Le roi Mohammed VI s’était déclaré en faveur de ce chantier en juillet 2022. Mais rien n’a filtré sur le contenu de la réforme. « Je veux rester optimiste, assure Hania Bounouar. Il faut absolument que nous arrivions, sur la question de la parentalité, à une égalité parfaite entre femmes et hommes. »

(1) Le prénom a été modifié.

https://www.la-croix.com/Monde/Au-Maroc-precieux-refuge-meres-celibataires-2023-03-10-1201258567