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Réadmission: Chantage permanent pour le Maghreb

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L’obsession de la réadmission par L’UE

Dans son nouveau livre, l’universitaire marocain, Abdelkrim Belguendouz, apporte une critique documentée au nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile. Il alerte aussi sur les sous-traitants de cette politique au Maroc. Tribune, en deux parties.

Par Abdelkrim Belguendouz *

Partie n°1**

Annonçant déjà ce que signifiera pour l’Afrique le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile (PEMA), la communication conjointe de la Commission européenne et de la Haute représentation de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, portant le titre « vers une stratégie globale pour l’Afrique » (9 Mars 2020) précise qui suit:

« La coopération en matière de retour et de réadmission ainsi que les taux de retour effectifs devraient être améliorés. L’UE et l’Afrique devraient œuvrer en faveur de mécanismes plus efficaces et durables, notamment en soutenant les retours volontaires, et grâce à la mise en œuvre et la conclusion effective d’accords de réadmission. Les retours devraient s’accompagner d’une réintégration durable dans les pays d’origine ».

Par ailleurs, fournissant les éléments essentiels en termes de réadmission inclus dans le nouveau PEMA, la communication conjointe précitée sur le nouveau programme en Méditerranée (9 Février 2021), énonce que l’Union européenne (UE) mobilise tous les instruments dont elle dispose : « le renforcement de la coopération en matière de retour, de réadmission et de réintégration durable et l’amélioration de l’efficacité des retours sont des éléments importants de ces politiques pour soutenir ces partenariats, l’UE mobilise l’ensemble des politiques, outils et instruments pertinents de l’UE dans le cadre d’une approche globale. Compte tenu de l’importance des retours volontaires et de la réintégration, elle définira de nouvelles approches en termes de conception, de promotion et de mise en œuvre des programmes d’aide au retour volontaire et à la réintégration » (SWD(2021)23 final, p20). Elle propose en conséquence notamment les deux mesures suivantes : «  intensifier la coopération en matière de retour effectif et de réadmission; soutenir les mesures d’aide au retour volontaire et à la réintégration durable depuis l’UE, mais entre les différents pays partenaires »

Ceci constitue de notre point de vue un rappel insistant de l’UE pour que les accords communautaires de réadmission ne visent pas uniquement les ressortissants des pays d’origine en situation irrégulière au sein de l’UE qui auraient transité par ces mêmes pays, à charge pour ces derniers de les réadmettre vers leur lieu d’origine.

Vision actuelle par l’UE des accords communautaires de réadmission

Constituant le résultat du processus de communautarisation de la gestion des flux migratoires irrégulières à l’intérieur de l’UE et s’inscrivant au cœur de l’actualité des relations migratoires euro-méditerranéennes avec une grande sensibilité politique et diplomatique, les accords communautaires de réadmission sont considérés par l’UE comme la pièce maîtresse pour faciliter le retour forcé des migrants en situation irrégulière en Europe dans leur pays d’origine ou de dernier transit. Comme l’a bien dit la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Juhansson, lors de la présentation du projet de nouveau Pacte, « Nous devons nous concentrer davantage sur le retour (…) il y a dans notre paquet aujourd’hui nombre d’initiatives pour atteindre une efficacité accrue des retours (…) Un point crucial est bien entendu d’avoir de bons accords de réadmission dans les pays-tiers, et c’est ce qui sera une priorité ».

Actuellement, selon les chiffres de la Commission, énoncés dans sa communication en date du 27 avril 2021, seul un tiers des migrants déboutés quitte effectivement le territoire de l’UE. En effet, sur les 491 195 ressortissants de pays tiers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire de l’UE en 2019, seuls 142 320 ont été renvoyés par les États membres. Le taux de retour et de réadmission que Bruxelles juge « insuffisant » est dû d’après un autre document communautaire, aux divers « défis auquel les États membres sont confrontés lorsqu’ils mettent en œuvre les procédures pour coordonner le retour des migrants en situation irrégulière et lorsqu’ils coopèrent avec les Etats-tiers en matière de réadmission ».

Dans cet esprit, au point 6.5 intitulé « favoriser la coopération en matière de réadmission et de réintégration », la communication de la Commission européenne relative au nouveau Pacte, traduit l’attention obsessionnelle de l’UE sur la réadmission.

En effet, à la page 25, l’impératif suivant est mis en avant : « Il faut avant tout mettre pleinement et efficacement en œuvre les vingt-quatre accords et arrangements européens existants en matière de réadmission avec les pays tiers », il s’agit ici non pas des accords bilatéraux signés par les États membres mais des accords communautaires conclus par l’EU en tant que telle, achever les négociations de réadmission en cours et, si nécessaire, lancer de nouvelles négociations et trouver des solutions pratiques afin d’accroître le nombre de retours effectifs.

Dans la perspective d’intensifier concrètement la réadmission et les retours, la Commission énonce certaines mesures qui vont être prises pour être opérationnalisées, en particulier l’établissement d’un système commun de l’UE en matière de retour, qui requiert la mise en place de règles et de procédures claires; la mise en place d’une gouvernance solide en matière de retour avec la désignation d’un coordinateur chargé des retours, qui pourra s’appuyer sur un réseau de haut niveau et collaborant étroitement avec l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), qui joue le rôle de police des frontières extérieures de l’UE.

Ainsi, la préoccupation centrale de l’UE est de s’attacher avant tout à cette recherche d’efficacité en matière de retour, plutôt qu’à la mise en place de garanties concrètes de protection des droits humains des migrants en situation administrative irrégulière.

Avec cet impératif, il est devenu impossible pour les États d’origine ou de transit cibles, de coopérer avec l’UE dans un domaine spécifique quelconque, sans que les objectifs européens en matière migratoire ne soient imposés. En d’autres termes, la question migratoire devient une condition centrale incontournable dans tous les secteurs et domaines de coopération de l’UE avec les États tiers.

L’UE lie ainsi toutes ses propositions à un pays du voisinage, à la signature d’un accord communautaire de réadmission. De la sorte, l’externalisation de la politique européenne de réadmission cherche moins la promotion des droits fondamentaux des migrants « sans-papiers », que l’implication des États du voisinage, en particulier dans le contrôle frontalier ainsi que le retour forcé et la réadmission, comme c’est le cas pour le Maroc.

Jusqu’à présent, l’UE a signé 15 accords communautaires de réadmission avec le pays suivant : l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, Hong Kong, le Cap-Vert, Macao, la Macédoine Du Nord, la Moldavie, le Monténégro, l’Ukraine, le Pakistan, la Russie, la Serbie, le Sri Lanka, Bosnie-Herzégovine, Biélorussie et la Turquie.

Sur incitation et instigation de l’Espagne, le projet d’accord communautaire de réadmission UE-Maroc est sur la table depuis 2000. Bien que sa conclusion « imminente » ait été annoncée par la partie européenne à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, le blocage persiste. Les autres États tiers partenaires potentiels sont les suivants : Chine, Algérie, Tunisie, Mali, Nigeria. L’UE a signé également six arrangements en matière de réadmission avec les pays suivants : Afghanistan, Gambie, Guinée, Bangladesh, Ethiopie et Côte d’Ivoire. Par ailleurs, des dispositions relatives à la réadmission sont également présentes dans des accords plus généraux de l’UE avec certains pays tiers ou région, comme l’accord succédant à l’accord de Cotonou entre l’UE et 79 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, au sujet duquel un accord a été paraphé le 15 avril 2021, la signature formelle définitive devant avoir lieu le second semestre de 2021.

Arrêtons-nous donc sur la dimension de la réadmission à partir de l’Union européenne pour le cas du Maroc.

Quelles sont les exigences attendues du Maroc par l’UE en matière de réadmission ? Comment peut-on expliquer le refus par le Maroc de signer l’accord communautaire de réadmission, en discussion depuis pratiquement le début de ce siècle ? L’accord de réadmission n’étant pas encore conclu jusqu’à présent, quelles pourraient en être les raisons majeures ? Comment expliquer la résistance marocaine et quel impact pourrait avoir le nouveau pacte sur les négociations euro-marocaines sur la réadmission ?

L’interpellation du Maroc par l’UE concernant la réadmission

Déjà en 1996, dans le cadre de l’Accord d’association, l’UE était parvenue à imposer au Maroc l’acceptation de négocier la réadmission des migrants en situation irrégulière. L’article 71, alinéa B de cet accord prévoit « la réinsertion des personnes rapatriées en raison du caractère illégal de la situation au regard de la législation de l’ État considéré ». Par ailleurs, au Conseil européen de Tampere en Finlande des 15 et 16 octobre 1999, qui a jeté les bases à de l’élaboration d’une politique européenne commune « dans les domaines distincts  mais étroitement liés de l’asile et des migrations », les conclusions du sommet ont préconisé, outre un partenariat avec les pays d’origine et de transit à travers une approche globale des migrations (aspects politiques, développement), « une gestion plus efficace des flux migratoires » et la « nécessité d’exercer aux frontières extérieures un contrôle cohérent afin de stopper l’immigration clandestine (…) ».

Lors du même conseil européen, ont été adoptés également des rapports spécifiques établis sur le Maroc, l’Afghanistan, l’Irak, la Somalie et le Sri Lanka par le Groupe de Haut Niveau Asile Migration, institué par le Conseil en décembre 1998. Établi à la demande expresse de l’Espagne, qui s’est sentie plus concerné, compte tenu du voisinage immédiat (Détroit De Gibraltar et les deux présides Sebta et Melilla encore colonisés par l’Espagne), le Plan d’action Maroc d’inspiration ultra sécuritaire comme les cinq autres, proposait en particulier, sur l’impulsion de l’Espagne, la signature entre l’Union européenne et le Maroc d’un accord communautaire de réadmission des migrants en situation irrégulière qui engage par conséquent l’ensemble de l’Union. C’est sur cette base que le Conseil a donné à la Commission européenne (à laquelle la compétence pour négocier de tels accords a été transférée en 1999), un mandat de négociations avec une série de pays dont le Maroc, pour la conclusion de cet accord.

Maillon essentiel de la lutte contre l’immigration irrégulière ou clandestine, l’accord communautaire de réadmission est un instrument technique de prédilection de la politique migratoire des pays du dispositif. Il établit, sur une base de réciprocité, les conditions dans lesquelles doit être effectué le retour forcé vers les pays contractants des populations étrangères dont le séjour n’est pas ou n’est plus autorisé sur le territoire de l’autre partie. L’accord prévoit des obligations, fixe les modalités et les procédures de cette opération et facilite le retour contraint (champ d’application, gestion opérationnelle, comme le laissez-passer, financement et prise en charge, délais…).

Au travers du projet d’accord communautaire de réadmission entre l’Union européenne et le Maroc, les exigences et engagements attendus de ce derniers pays (pays requis) par la partie requérante (UE) sont multiples: rapidité d’exécution ; extension de l’accord aux immigrés étrangers en situation irrégulière en Europe, présumés avoir transité par le Maroc avant de rejoindre le territoire de l’Union ; prise de relais par le Maroc de la réadmission vers les pays d’origine des irréguliers venant d’Europe. Voyons de plus près ces exigences européennes.

La célérité d’abord

Présentée comme une procédure administrative et opérationnelle, la réadmission concerne l’éloignement rapide d’étrangers considérés comme non autorisés à séjourner dans le pays concerné. Elle revient à faciliter le renvoi contraint et forcé vers le pays d’origine ou de transit des migrants appréhendés, dés en situation irrégulière par le territoire de l’ État de séjour ? Sont concernés non seulement les ressortissants des parties contractantes à un accord, mais aussi les ressortissants de pays-tiers ainsi que les apatrides ayant transité sur le territoire des parties contractantes.

Ce qui est recherché dans le projet d’accord euro-marocain, c’est la rapidité et l’efficacité de la réadmission d’abord des nationaux marocains, qui ne doit souffrir aucune entrave de procédure par les consulats marocains, qui doivent fournir notamment des laissez-passer, aussi bien pour ceux entrés illégalement que pour les personnes qui ne répondent plus aux critères fixés par la législation en cours concernant le séjour dans les différents État membres de l’UE. Dans ces deux cas, le Maroc s’engage selon le projet communautaire à établir « des procédures rapides et efficaces d’identification et de renvoi ».

Marocains irréguliers et étrangers « illégaux » en Europe en transit par le Maroc 

Dans les négociations euro-marocaines visant la conclusion d’un accord communautaire de réadmission des nationaux marocains des ressortissants de pays-tiers ayant transité par le territoire marocain, les deux exigences sont indissociables. Dans la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative à une politique communautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier, en date de 2002, la Commission européenne précise que les accords de réadmission visent à faciliter l’éloignement : « des personnes qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus leur condition d’entrée, de présence ou de séjour dans l’État requérant ».

Il y a d’abord la réadmission des ressortissants marocains. Dans l’article 2 du projet d’accord de réadmission, il est précisé que : « le Maroc réadmet, à la demande d’un État membre de l’UE et sans formalités, toute personne qui, se trouvant sur le territoire de l’État membre requérant, ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée, de séjour en vigueur, lorsqu’il est établi ou valablement présumé, sur la base du commencement de preuve fournie, la nationalité du Maroc ».

Cependant, le projet d’accord de réadmission que l’Union européenne s’est fixé de faire entériner par le Maroc, concerne également la réadmission de ressortissants de pays tiers ou même d’apatrides. C’est ainsi que l’article 3 stipule que « le Maroc admet, à la demande d’un État membre de l’UE et sans formalités, toute personne qui, se trouvant sur le territoire d’un État membre, ayant transité par le Maroc, ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour en vigueur sur l’État membre requérant, lorsqu’il est établi ou valablement présumé, sur la base du commencement de preuve fournie que ces personnes : 

  1. sont en possession d’un visa ou d’un permis de séjour en cours de validité par le Maroc, ou 
  2. sont entrés sur le territoire des États membres de manière illégale en provenance du Maroc » (alinéa 1 l’article 3 du projet d’accord de réadmission UE-Maroc).

Dans ce cas, la même procédure de délivrance des document de voyage que pour les ressortissants marocains doit être suivie par le Maroc, sinon l’UE lui imposera un document type de voyage aux fins d’expulsions vers le Maroc : « Si le Maroc n’a pas répondu à la demande d’un État dans les 15 jours, il sera supposé accepter l’utilisation du document type d’expulsion » (JOI 1996 c 274, p.18) .

L’annexe trois du projet d’accord euro-marocains, euro-marocain énumère les listes communes des documents qui sont considérés comme une preuve des conditions de réadmission des ressortissants des pays tiers et des apatrides :

Accords en chaîne à signer par le Maroc, en particulier avec les pays subsahariens

Précisons ici que, selon l’article 13 du projet d’accord communautaire de réadmission décrivant la procédure de transit, celui-ci peut ne pas se limiter au Maroc, mais aller jusqu’à la frontière de l’État de destination finale. Ceci sous-entend que l’UE (ou bien le Maroc avec l’aide de l’UE) va, dans le cadre d’un « réseau », établir des accords de « libre-échange » particuliers, à l’intérieur de la zone migratoire potentielle pour pouvoir organiser le transit. Deux situations pour le Maroc peuvent se présenter :

La réflexion des auteurs du Plan d’Action Maroc (dans le cadre de la politique européenne de voisinage), adopté le 17 décembre 2004 par le Conseil européen, va dans ce sens puisque, dans le cadre de la prévention et lutte contre la migration illégale vers et à travers le Maroc, une des mesures prises, faisant allusion à la clause de réadmission insérée dans l’article 13 de l’accord de Cotonou, consiste dans « l’action de l’UE en amont auprès des pays d’origine et de transit et mise en œuvre effective des accords ACP en particulier en matière de réadmission ».

Ceci veut dire par exemple qu’un migrant verra sa demande d’asile examinée dans le pays de renvoi ou le pays de transit dans lequel il a été admis, ou sera renvoyé dans son pays de transit avec son pays d’origine.

Ceci signifie en particulier que le projet d’accord communautaire UE-Maroc, de réadmission des migrants en situation irrégulière, va demander la mise en place de centres de rétention ou de détention pour abriter ces irréguliers. Il s’agit aussi de sécuriser ces camps, de permettre l’identification des refoulés et de s’assurer que les réadmis ne quittent à nouveau le Maroc, à destination de l’Union européennes, ce qui est redouté au plus haut point par l’Europe. Les conditions et procédures de réadmission sont ensuite précisées dans le projet d’accord.

[…]

*Abdelkrim Belguendouz est analyste et observateur actif de la scène migratoire marocaine. Cet universitaire marocain est l’auteur de plusieurs ouvrages et d’études en matière de migration et d’émigration notamment sur les politiques publiques adressées à la communauté marocaine résidante à l’étranger.

Partie 2 **

Relevons que depuis 2003, année du lancement du dialogue formel (après deux années de discussions informelles) euro-marocain pour l’établissement d’un accord communautaire de réadmission des immigrés irréguliers avec l’Union européenne (Marocains en situation administrative irrégulière en Europe et migrants présumés avoir transité par le Maroc, principalement Africains subsahariens), les responsables européens au niveau communautaire ou à celui des États de l’UE, n’ont cessé d’exercer d’énormes pressions et chantage pour amener Rabat à s’y soumettre. Cette obsession de la réadmission a été présentée soit pour rappeler l’importance cruciale d’un tel accord, soit pour regretter la non signature du Maroc ou alors pour donner un “ ultimatum” ou fixer de manière arrogante une date impérative de conclusion de l’accord par le Maroc. Prenons quelques exemples parmi tant d’autres.

Dans sa déclaration à l’occasion du 5ème Conseil d’association UE-Maroc tenu le 23 novembre 2005, l’UE note, avec un brin d’irritation et d’impatience à peine retenues, que: « le projet d’accord sur la réadmission a déjà fait l’objet de huit cycles de négociations. Elle invite le Maroc à poursuivre les progrès en vue de conclure un accord de réadmission avant la fin de cette année ».

Chantage certain et d’une nette conditionnalité

Trois années plus tard, lors du septième Conseil d’association UE-Maroc tenu à Luxembourg le 13 octobre 2008, on observe la formulation d’un chantage certain et d’une nette conditionnalité dans la Déclaration de l’UE sur le statut avancé accordé au Maroc, Bruxelles ayant recours à son poids politique et économique pour tenter de faire plier Rabat, en l’acculant à finaliser l’accord communautaire de réadmission et satisfaire ainsi son exigence. Dans le point 26 de ce document, il est mentionné que l’approfondissement du dialogue bilatéral pour la concrétisation de ce statut avancé qui renvoie à un vaste domaine, nécessitant une approche globale, est conditionné et subordonné plus particulièrement à la prise en charge de manière responsable et sérieuse par le Maroc de la réadmission par la signature en la matière d’un accord communautaire avec l’UE. Sur ce plan, l’UE déclare clairement sans la moindre réticence ou hésitation, qu’elle est « prête à développer sa coopération avec le Maroc (…) dès que les négociations avec la Commission européenne et le Maroc relatives à l’accord de réadmission auront été achevées avec succès ».

En clair, tant que l’accord de réadmission n’est pas signé, il ne peut y’avoir de possibilité de développement ou d’approfondissement de la coopération et du partenariat bilatéral dans ses aspects et dimensions multiples. Or cette politique de conditionnalité suivie par l’UE est aux antipodes du principe de réciprocité et de l’esprit partenarial, consacré nettement par le partenariat euro-méditerranéen de Barcelone.

En termes moins diplomatiques encore et prenant une attitude de maître à élève, l’ambassadeur en poste à l’époque de l’UE à Rabat, Eneko Landaburu, s’était habitué à exercer le forcing sur le Maroc, à le sommer à des échéances à respecter coûte que coûte.

C’est ainsi que dans une longue interview accordée au journal casablancais « Akhbar Al Yaoum » du 22 mars 2010, il déclarait notamment : « Pas de partenariat avancé avec le Maroc sans reprise des immigrés clandestins ayant transité par le Maroc».
Pour l’ambassadeur de l’UE de l’époque, cette exigence devrait se concrétiser impérativement courant 2010…

Fin février 2011, lors d’une conférence de presse, le même ambassadeur déclarait de manière catégorique: « il n’y a aura pas d’avancées sur la facilitation des visas sans qu’au préalable, un accord soit trouvé et signé sur la réadmission » (La Nouvelle Tribune du Maroc, n°733 du 3 mars 2011).
Cet aspect a été fréquemment soulevé par les responsables et les diplomates UE à Rabat pour que l’opinion publique marocaine elle-même, qui ne cesse de demander l’assouplissement de l’octroi du visa européen, exerce de fortes pressions sur le gouvernement marocain pour qu’il cède à cette « ouverture » et « générosité » de l’UE.

L’autre exemple de chantage est la « Déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le Royaume du Maroc et l’Union européenne et ses États membres » (7 juin 2013), qui prévoit que l’accord sur les possibilités de facilitation de délivrance des visas, ne peut être conclu que si de manière parallèle, simultanée et comme condition incontournable, le Maroc signe avec l’UE l’accord communautaire de réadmission avancé par la Commission européenne depuis s l’ouverture des négociations en septembre 2000.

Par ailleurs, datée du 6 mars 2016 sous le titre « rapport d’avancement sur la mise en œuvre de l’agenda européen en matière de migration », la communication de la Commission au Parlement européens et au Conseil européens précise à la page 14 : « Des négociations sont en cours avec le Nigeria, la Tunisie et la Chine et celles avec le Maroc devraient reprendre rapidement. Lorsque cela est nécessaire, un plus large éventail de leviers, relevant de toutes les politiques pertinentes de l’UE, devrait être actionné en étroite coordination avec les leviers utilisés au niveau des États membres. La politique de l’UE en matière de visas a déjà contribué à faciliter les négociations sur la réadmission et le mécanisme de suspension de l’exemption de visa a aidé à contrôler étroitement les obligations dans le domaine de la réadmission » (COM (2019)126 final).

Dix-sept rounds formels depuis 2003

Cependant, après quelques 17 rounds formels depuis 2003 et quatre ateliers sur le flagrant délit (ces derniers organisés par l’OIM), et en dépit de la pression continue, de la conditionnalité permanente, du forcing et du chantage incessant, la résistance marocaine a été continue jusqu’à nos jours en juillet 2021, selon toute vraisemblance d’après nous, sur directives du sommet de l’État marocain, ce qui n’empêche nullement Bruxelles de continuer à insister, persister et signer en la matière.

Dernièrement, à la suite des événements de Sebta de fin mai 2021, le Parlement européen, au lieu de combattre les accords communautaires de réadmission comme contraires aux droits humains, s’est inscrit dans la même logique. Dans sa résolution du 10 juin 2021 sur la migration des mineurs marocains, il critique au même moment de façon indirecte le Maroc pour tarder à signer l’accord général de réadmission avec l’UE, puis plus particulièrement le Maroc afin de passer très rapidement à son exécution, comme si ce type d’accord devrait être conclu coûte que coûte et qu’il ne soulevait pas des objections majeures à prendre en compte nécessairement.

*Abdelkrim Belguendouz est un analyste et observateur actif de la scène migratoire marocaine. Cet universitaire marocain est l’auteur de plusieurs ouvrages et d’études en matière de migration et d’émigration notamment sur les politiques publiques adressées à la communauté marocaine résidante à l’étranger.

** Maroc, réservoir de talents et de compétences…Pour l’UE. Alerte au nouveau pacte européen CONTRE la migration et l’asile…des Africains, Rabat (2021).

Enass Media, 16/02/2022

Lire aussi : Maroc-UE: Projet d’accord sur la réadmission des clandestins

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