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L’ONU à l’épreuve des enjeux géopolitiques et stratégiques

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par Kharchi Nadjib Messaoud*


L’Organisation des Nations unies (ONU) a été officiellement créée le 24 octobre 1945, à la suite de la ratification de la Charte de San Francisco par les cinq puissances du moment (Etats-Unis, URSS, Chine, Royaume-Uni, France) et les quarante-six autres Etats signataires, tous désignés comme membres fondateurs.

Le terme de « Nations unies » apparait pour la première fois dans l’intitulé même de la « Déclaration des Nations unies » du 1er janvier 1942, signée à Washington par les représentants de vingt-six Etats qui se sont solennellement engagés à poursuivre ensemble la guerre contre les forces de l’Axe et à ne conclure ni armistice ni paix séparés. Le texte de ladite déclaration se référait expressément à la « Charte de l’Atlantique » du 14 août 1941, établie entre les Etats-Unis et l’Angleterre, dont le contenu se présente sous la forme d’un énoncé de principes en huit points devant servir de fondements au maintien d’une paix durable et à garantir la sécurité internationale, une fois la deuxième guerre mondiale terminée.

Les rédacteurs de la « Charte de San Francisco » qui a donné naissance à l’ONU se sont inspirés tout à la fois de la « Charte de l’Atlantique » de 1941 et de la « Déclaration des Nations unies » de 1942, pour en définir les principes fondamentaux, les objectifs et les moyens d’intervention.

La présente contribution a pour objet de mettre en perspective le rôle de l’Organisation des Nations unies, tel que défini par la Charte de San Francisco, avec le contexte politico-stratégique propre au monde du 21éme siècle en devenir. Bien que de nombreuses variables rendent aléatoire toute tentative d’anticipation des évolutions à moyen ou long terme qui vont probablement remodeler le champ des relations internationales, il s’agit à travers cette analyse de situer les enjeux et les défis qui interpellent l’ONU en tant qu’institution chargée de la gouvernance mondiale. Au regard de ces considérations, il conviendra de s’interroger si l’organisation onusienne, dans ses multiples champs de compétences, est en mesure de répondre efficacement aux défis actuels et à venir. Sinon, faut-il repenser l’ONU dans ses missions, son fonctionnement et ses processus opérationnels, autrement dit réformer en profondeur une institution datant du siècle dernier, vielle de plus de soixante-quinze ans.

La Charte de San Francisco, à l’origine de la création de l’ONU, marquait l’avènement d’une ère nouvelle promise à la paix et la sécurité internationales. Par sa portée historique, sa vision des relations entre Etats et son universalité, elle ouvrait des perspectives inédites à la communauté des nations.

Dans son allocution de clôture de la Conférence de San Francisco qui donna naissance à la « Charte des Nations unies », le président Truman s’adresse aux délégués et autres participants en ces termes : « La Charte des Nations unies que vous venez de signer constitue une base solide sur laquelle nous pouvons édifier un monde meilleur… Entre la victoire en Europe et la victoire finale dans la plus destructrice des guerres, vous avez remporté une victoire sur la guerre elle-même… Grâce à cette Charte, le monde peut commencer à entrevoir le moment où tous les êtres humains pourront vivre une vie décente d’hommes libres ».

La Société des Nations, ancêtre de l’ONU

La Société des Nations (SDN) a été fondée le 28 juin 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, par le traité de Versailles qui mit fin aux hostilités entre l’Allemagne et les Alliés. Dans sa partie 1 intitulée « Pacte de la Société des Nations », il est expressément déclaré à l’article 11 que « toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des membres de la Société, intéresse la Société tout entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations… »

En tant qu’organisation à vocation universelle, la SDN devait, en application du principe de la sécurité collective, promouvoir les valeurs de paix entre les nations, tout comme l’amitié entre les peuples. Elle devait en outre réduire les arsenaux des Etats au minimum compatible avec la sécurité nationale et développer la coopération internationale.

L’approche diplomatique qui présida à la création de la SDN représentait un changement fondamental dans le système international tel qu’il avait prévalu jusqu’alors. Nombre d’Etats craignaient que la puissance de cette organisation supranationale eût pu les restreindre dans l’exercice de leur souveraineté sur les questions de haute politique extérieure.

Le commentaire officiel britannique sur le Pacte de la Société des Nations, présente celle-ci en ces termes : « Ce n’est pas la constitution d’un super-Etat mais, comme son nom l’indique, un accord solennel entre Etats souverains qui consentent à limiter leur liberté totale d’action sur certains points dans l’intérêt de leur propre existence et celui du monde en général… »

Bien que la SDN apporta des solutions à des conflits frontaliers entre Etats et évita ainsi la guerre, elle ne put faire face à la succession de crises et à la militarisation de l’Allemagne qui aboutirent inéluctablement à une déflagration mondiale.

En somme, la SDN est restée enfermée dans une conception classique où l’Etat-nation s’inscrivait au cœur du système international et demeurait maître de ses décisions. La souveraineté nationale et les intérêts supérieurs qui s’y attachent faisaient obstacle à tout pouvoir supranational. L’incapacité de la SDN à mettre en place un ordre mondial régulé par le droit international, finira par donner raison à Clausewitz, pour qui, « la guerre est la politique continuée par d’autres moyens ».

Indéniablement, la SDN a failli à la mission qui fut à l’origine de sa création, et dont l’objectif premier était d’assurer la sécurité collective. Malgré une volonté affirmée de préserver la paix mondiale, elle ne parvint à aucun résultat probant dans le règlement des crises et conflits. Elle ne put enrayer ni la guerre civile espagnole, ni l’agression italienne contre l’Ethiopie, comme elle fut impuissante devant les politiques belliqueuses et agressives de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste et du Japon impérialiste, qui préludaient au déclenchement de la deuxième guerre mondiale.

La SDN n’aura duré qu’une vingtaine d’années, le temps d’une grande illusion entre deux guerres mondiales.

L’ONU, née de la guerre pour mettre fin à la guerre

L’ONU a vu le jour dans des circonstances similaires à celles qui présidèrent à la fondation de la SDN en 1919, à savoir la fin d’un conflit armé à l’échelle mondiale. Elle devait être la clé de voûte des relations entre peuples et nations. Par sa vocation et ses compétences universelles, l’ONU constitue un forum unique, ouvert à tous les Etats sans exception. « Une conférence diplomatique permanente », disait de l’ONU son ancien Secrétaire général, Dag Hammarskjöld.

La communauté internationale fondait de grands espoirs sur la naissance de l’ONU. A travers le système des Nations unies, l’organisation mondiale allait poser les fondements d’un nouvel ordre international capable de surmonter les échecs de la SDN. Le préambule de la Charte des Nations unies déclare d’emblée : « Nous, peuples des Nations unies, résolus :

– à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,

– à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

– à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,

– à favoriser la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage,

– à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun,

– à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples… »

Dans cette partie préliminaire du préambule de la Charte de San Francisco, les principes fondamentaux qui sous-tendent les missions de l’ONU se confondent avec les hauts idéaux de l’humanité. La paix entre les nations représente la mission fondatrice et la vocation première de l’ONU. Par son universalité, elle est l’instance la mieux indiquée pour apporter une réponse globale aux grands défis et aux multiples périls auxquels l’humanité est confrontée. De par leur dimension, ils dépassent de beaucoup les capacités d’une nation ou d’un groupe de nations, aussi puissantes fussent-elles.

L’article 1 de la Charte des Nations unies stipule que les Etats membres doivent « réaliser par les moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, le règlement de différents ou de situations de caractère international susceptibles de mener à une rupture de la paix ». A cette fin, la notion d’Etat de droit inscrite dans la Charte garantit le respect du droit international et des principes fondamentaux de la justice.

En 1948, l’ONU a adopté la « Déclaration universelle des Droits de l’Homme, à laquelle ont adhéré tous les Etats sans exception. Ces dernières années, l’organisation mondiale se concentre activement sur les questions qui touchent à la démocratie et les droits humains, compte tenu de la dégradation de la situation en la matière dans nombre de pays.

Aujourd’hui, l’ONU compte 193 Etats membres, tous égaux en droits et obligations. Ils se sont engagés solennellement à s’abstenir de recourir à la menace ou l’emploi de la force contre tout Etat, afin que la paix et la sécurité internationales ne soient pas mises en danger. Il reste que le caractère fondamentalement imprévisible des évènements dans le monde ne permet pas dans tous les cas de figure d’anticiper au mieux leur évolution. Le jeu des relations internationales est bien trop complexe si l’on considère le nombre illimité de variables qui peuvent changer une situation donnée dans un contexte géopolitique incertain où les principaux acteurs restent muets sur leurs véritables desseins.

Les failles originelles inhérentes au système des Nations unies

De par son organisation, son fonctionnement et le champ de ses missions, l’ONU devait, dans l’esprit de ses fondateurs, pouvoir surmonter les échecs de la SDN. Ceux-ci estimaient que son incapacité à préserver la paix mondiale tenait au fait qu’elle ne disposait pas de moyens coercitifs, entre autres une armée propre, et qu’elle ne revêtait pas un caractère universel, puisque les Etats-Unis, l’URSS, le Japon et l’Allemagne n’en étaient pas membres.

Le système des Nations unies est organisé fonctionnellement et techniquement autour des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale ; à savoir les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’URSS (Russie depuis 1991), la Chine et la France.

Les deux principales instances de l’ONU sont l’Assemblée générale, où chaque Etat membre dispose d’une voix, et le Conseil de sécurité, qui comprend cinq membres permanents avec droit de veto et dix membres élus par l’Assemblée générale pour deux ans. Le Secrétaire général assure les fonctions administratives de l’ONU. Il est élu pour cinq ans par l’Assemblée générale. Toujours choisi parmi les pays qui ne sont pas de grandes puissances, il est rééligible sans limitation du nombre de mandats. Le Secrétaire général incarne l’ONU dans le concert des nations. Bien qu’il ne dispose pas d’un pouvoir de décision, il exerce une certaine influence auprès des acteurs de la communauté internationale.

Aux trois organes majeurs de l’ONU, il convient d’ajouter les institutions représentatives du pouvoir judiciaire que sont la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale créée en 1998. Par ailleurs, l’ONU dispose d’un certain nombre d’institutions spécialisées chargées d’une mission précise, tel que le Conseil économique et social, le FMI, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’UNICEF pour la protection de l’enfance, l’UNESCO pour la culture, la FAO, la CNUCED ou le Bureau international du travail…

Le Conseil de sécurité constitue en quelque sorte l’organe exécutif de l’ONU. Par résolution il décide des sanctions à appliquer contre celles des nations qui ne respectent pas les règles internationales fixées par la Charte. Ces sanctions vont du simple avertissement aux sanctions économiques, jusqu’à l’utilisation de la force armée. Toute résolution nécessite pour son adoption l’accord des 5 membres permanents du Conseil de sécurité. Chacun d’eux dispose d’un droit de véto qui peut bloquer toute prise de décision. Un pouvoir exorbitant qui affecte lourdement le fonctionnement de l’ONU. Le droit de veto est d’autant plus excessif voir abusif, qu’il remet en cause la règle de la majorité. Paradoxalement, l’Assemblée générale où siègent l’ensemble des nations prend des résolutions, qui n’ont ni force exécutoire, ni ne sont contraignantes, alors que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité peuvent prendre des décisions qui s’imposent à tous. L’abstention ou l’absence d’un membre permanent qui opte pour la « Chaise vide » lors d’un vote au Conseil de sécurité sont assimilés à un consentement. Cette règle a l’avantage de permettre d’exprimer son désaccord sur la teneur d’une décision sans pour autant la bloquer dans son application. Par ailleurs, le droit de veto ne peut en aucun cas être utilisé pour empêcher le débat autour d’un projet de résolution même s’il existe de fortes probabilités qu’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en fasse usage.

Le veto obère toute possibilité d’intervention du Conseil de sécurité, lorsqu’une résolution est contraire aux intérêts d’un de ses membres permanents. Ce droit à maintes fois paralysé l’ONU pour le règlement de conflits, à l’exemple de la guerre d’Algérie où les Nations unies n’ont pu agir, en raison de la menace que la France agitait d’en faire usage, et ce contre l’avis majoritaire des autres membres du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis ont souvent utilisé leur droit de veto dès lors qu’il s’agit de protéger Israël, leur allié stratégique et bras armé au Moyen-Orient. Le paradoxe réside dans le fait que le conflit israélo-palestinien paralyse les consciences à l’échelle mondiale sans que l’ONU puisse déboucher depuis 1948 sur une solution en direction du peuple palestinien. Cet exemple et bien d’autres encore montrent à quel point le veto constitue un moyen de blocage et d’affaiblissement du rôle de l’ONU.

Depuis la création de l’ONU, la Russie, y compris l’ex URSS, a recouru 143 fois au veto, les Etats-Unis 86 fois, le Royaume-Uni 30 fois, la Chine et la France 18 fois chacune. Le fonctionnement de l’ONU n’est pas démocratique, loin s’en faut. Le droit de veto qui donne des pouvoirs absolus aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, est contradictoire avec le principe d’égalité entre tous les Etats membres de l’ONU, tel qu’affirmé par la Charte de San Francisco.

Les limites de la gouvernance mondiale de l’ONU

Tandis que le monde entame la troisième décennie du 21éme siècle, l’espoir que véhiculait l’ONU à sa création est aujourd’hui largement entamé. La réalité du système de gouvernance mondiale a montré ses limites. Bien que l’ONU peut se prévaloir d’un certain nombre de succès, celle-ci est incontestablement diminuée dans son rôle de garante de la paix et la sécurité internationales.

La fin de la guerre froide Est-Ouest consécutive à la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, n’a régénéré ni le droit international ni l’ONU. Les hostilités déclenchées par les Etats de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) contre la Yougoslavie, en 1999, montre que les grandes puissances peuvent contourner le Conseil de sécurité. Cette dérive s’est accentuée après les attentats du 11 septembre 2001, où la « guerre contre le terrorisme » lancée par les Etats-Unis a justifié tous les dépassements. Du renversement des Talibans, en l’absence d’une agression armée préalable juridiquement imputable à l’Etat afghan ; à l’intervention en Irak de 2003, déclenchée sans autorisation du Conseil de sécurité. La guerre unilatérale a effectué un retour spectaculaire sur la scène mondiale.

Malgré leur rigueur, les règles introduites par la Charte de San Francisco n’ont pu empêcher le déclenchement de nombreuses guerres en dehors des mécanismes prévus pour le règlement pacifique des conflits entre nations. Au nom de « justes causes » les Etats-Unis ont entrepris des actions militaires unilatérales à Cuba en 1961, au Nicaragua en 1980, à la Grenade en 1983 ou au Panama en 1989.

Seul organe de l’ONU à pouvoir évaluer la licéité d’actions militaires, la Cour internationale de justice (CIJ) a été peu sollicitée depuis 1945. Alors que le débat faisait rage sur une éventuelle intervention en Irak en 2002-2003, aucun Etat n’a cru opportun de demander l’avis des juges de La Haye.

L’ONU a montré ses limites dans la politique de maintien de la paix internationale. Un de ses échecs les plus manifestes fut son incapacité à empêcher le génocide rwandais de 1994. La multiplication des foyers de conflits dans le monde (Yémen, Syrie, Irak, Palestine, RDC, Lybie, Ukraine…) est une illustration de l’échec des Nations-Unies à garantir la paix dans le monde. Une soixantaine d’années plus tard le conflit entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire est toujours d’actualité. Après trois guerres de 1948 à 1949 et malgré les résolutions de l’ONU, aucune solution fiable n’a été trouvée, tandis que les tensions entre les deux Etats restent persistantes. La question du peuple sahraoui n’est pas en reste. Depuis 1975, la décolonisation de ce territoire est encore inachevée. Le colonisateur marocain a remplacé le colonisateur espagnol, faisant abstraction des droits nationaux du peuple sahraoui. Les émissaires de l’ONU en charge de ce dossier se succèdent dans le temps, constatent les faits, mais la situation demeure en l’état.

L’ONU ne manque pas de dossiers ouverts et non résolus. Ce sont autant de situations en instance de dégénérer en conflits et susceptibles de rendre le chemin de la paix, l’objectif initial, plus difficile encore. Le risque de voir exploser les zones de tension que les efforts diplomatiques de l’ONU n’arrivent pas à contrôler est une menace constante.

Le constat d’échec de l’ONU dans sa mission de paix mérite cependant d’être tempéré. L’organisation compte à son actif des conflits résolus grâce à son entremise. Les guerres de l’ex-Yougoslavie qui se sont déroulées entre les années 1991 et 2001 (Bosnie Herzégovine, Serbie, Kosovo, Macédoine) en sont l’exemple le plus illustratif. L’intervention des Casques bleus et les médiations menées par les instances onusiennes ont permis de redonner ses droits à la paix.

La densité des relations diplomatiques qui caractérise les relations de l’ONU avec l’ensemble des nations qui en sont membres a souvent été d’un apport décisif dans la réduction de tensions géopolitiques ou la désescalade des conflits potentiels.

L’enlisement de l’ONU dans des missions multiples et variées

Outre sa mission de préservation de la paix et de la sécurité entre les nations, l’ONU est chargée d’améliorer le sort des peuples par la lutte contre les maladies, la faim, l’analphabétisme, tout en veillant à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme.

Le rapport 2019 de la FAO fait état d’une situation d’insécurité alimentaire aigüe dans le monde. Ainsi 690 millions de personnes ont souffert de la faim, soit une augmentation de 10 millions par rapport à l’année 2018. Par ailleurs, la persistance des discriminations raciales, de la persécution des minorités ethniques et religieuses, comme le cas des Rohingya en Birmanie, témoigne de l’incapacité des Nations unies à répondre à leurs multiples et diverses missions. Un constat de la même teneur s’impose pour les catastrophes naturelles et les conflits de grande ampleur où l’ONU peine à mener des actions humanitaires à la hauteur des urgences du moment (Haïti, Syrie, Sud Soudan, Yémen…).

Le changement climatique constitue un problème complexe. Au-delà des aspects environnementaux, ce phénomène a conséquences sur nombre de questions globales, telles que la santé, le développement économique, les déplacements des populations, la sécurité alimentaire mondiale, les ressources en eau. L’Accord de Paris sur le climat a été ouvert à la signature le 22 avril 2016 -Jour de la Terre- au siège des Nations unies à New York. Entré en vigueur le 4 novembre 2016, nombre de pays dont les Etats-Unis en tête, sont réticents à s’unir derrière une action mondiale, afin d’enrayer le réchauffement de la planète et mettre fin aux périls qui menacent la survie de l’humanité. Bien que l’ONU tire régulièrement la sonnette d’alarme sur le scénario catastrophe qui se profile, la mobilisation attendue peine à voir le jour.

Malgré les périls qui se rapprochent de manière irréversible, le Conseil de sécurité réuni le 14 décembre 2021 n’a pu adopter, à la suite d’un veto, le texte d’un projet de résolution établissant un lien entre le réchauffement climatique et la sécurité dans le monde. C’est bien là le résultat des lourds dysfonctionnements qui pèsent sur les organes exécutifs, délibératifs et administratifs de l’organisation des Nations unies.

Les difficultés de l’ONU se sont accélérées ces dernières années. L’institution mondiale est menacée d’enlisement sous l’effet de son propre poids. Les contraintes financières ne sont pas les moindres. Les charges de fonctionnement sont lourdes alors que de nombreux pays ne sont pas à jour de leurs cotisations. Les Etats-Unis sont les plus importants bailleurs de fonds de l’ONU. Ce poids financier significatif leur permet d’exercer un ascendant sur les nominations à la tête des structures du Secrétariat général ou des entités qui lui sont rattachées au détriment d’une représentation plus équilibrée des nations.

Le conflit russo-ukrainien ou la fin de l’ordre international issu de l’après seconde guerre mondiale

La guerre russo-ukrainienne constituerait-elle le signe avant-coureur d’un effondrement de l’ONU avec pour conséquence une refondation géopolitique du monde ? On ne saurait nier que l’ONU est déchue de toute autorité morale. L’ampleur de la fracture qui sépare désormais les grandes puissances marque la rupture du consensus d’après-guerre à l’origine du système des Nations unies. L’onde de choc de la guerre en Ukraine interpelle tous les acteurs de la communauté internationale. L’Inde, L’Indonésie, l’Algérie, la Turquie, le Nigéria, le Brésil, l’Iran et d’autres pays encore sont légitimes à demander de changer la donne par une refonte de l’ordre du monde. L’alliance entre Pékin et Moscou reflète leur priorité stratégique commune, à savoir bousculer un système international dominé par les Etats-Unis.

Quel monde après la guerre en Ukraine ? S’il est sûr que rien ne sera plus comme avant, dans quel sens iront les changements ? La réforme de l’ONU revient sur le devant de la scène plus pressante que jamais.

Les conséquences globales et systémiques des crises actuelles et à venir qu’elles soient humanitaires, économiques ou environnementales, sont considérables. Les conflits larvés ou de basse intensité, les guerres ouvertes dénotent un monde de plus en plus violent et instable. La guerre en Ukraine rebat les cartes de la géopolitique à l’échelle mondiale. Elle a mis a nu la fragilité du système des Nations unies. Les chaînes mondiales de production redéploient leurs stratégies et réduisent leurs interdépendances, notamment avec la Chine. La mondialisation devient un problème après avoir été la solution. La scène internationale connait actuellement des bouleversements géopolitiques majeurs, à l’origine d’une brusque accélération de l’histoire.

La nécessité impérieuse d’une réforme de l’ONU

L’ONU sert-elle encore à quelque chose ? La question est pertinente à plus d’un titre. Dans un discours du 10 septembre 1960, le général de Gaulle disait par dérision : « Le machin, qu’on appelle ONU ». Une boutade certes, mais aussi et surtout une critique acerbe de l’institution mondiale et de son utilité.

Les espoirs fondés sur l’ONU ont-ils atteints leurs limites ? Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, déclarait le 14 avril 2022 dans le cadre du conflit ukrainien : « La perspective d’un conflit nucléaire autrefois impensable, figure bien aujourd’hui parmi les possibilités ».

De graves menaces pèsent sur la paix et la sécurité internationales. De nombreux signes de tension existent de par le monde que le système des Nations unies n’arrive plus à contenir. L’avenir s’avère plus menaçant que jamais, alors que l’organisation onusienne semble avoir atteint la limite de ses capacités d’intervention et d’intermédiation.

L’ONU se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Est-ce le déclin d’une institution dévitalisée ? Bien que le bilan de l’ONU oscille entre réussites et échecs, il n’en demeure pas moins que malgré les imperfections et les faiblesses du système des Nations Unies, une telle institution est indispensable à la marche du monde actuel, dans la mesure où elle offre un cadre de débat et de dialogue unique sur des questions majeures communes à l’ensemble des nations.

Le système des Nations unies a organisé autour du club fermé des pays riches, d’institutions internationales totalement dépendantes et d’une société civile mondiale qui relaie la volonté hégémonique des puissants, fonde toute sa légitimité sur le droit du plus fort. D’où la nécessité de dépasser cette logique de domination et de diktat par l’élargissement du Conseil de Sécurité de l’ONU à d’autres membres permanents, au-delà des cinq puissances historiques qui sont à la fois juge et partie.

Depuis la décolonisation, la composition de l’Assemblée générale s’est radicalement modifiée avec l’admission massive de pays nouvellement indépendants. Ces pays dits du Tiers-monde forment à présent la grande majorité de ses membres. Tous ne veulent plus du jeu de veto entre les deux supergrands, ni d’une Assemblée générale dépourvue de tout pouvoir. Les pays émergents sur l’échiquier international tiennent aussi le même langage. La dictature du veto est obsolète à plus d’un titre.

A l’initiative du Liechtenstein, l’ONU a adopté récemment un projet de résolution qui oblige les cinq membres permanents du Conseil de sécurité à justifier le recours au veto, afin de l’apprécier à sa juste valeur. L’idée déjà ancienne a été relancée après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais le problème de fond demeure entier.

Confisquée par les grandes puissances et plus particulièrement les Etats-Unis, l’ONU a besoin d’une réforme en profondeur pour remédier aux nombreuses carences du système international. A cet égard, le ministre des Affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger, Ramtane Lamamra, a appelé à « jeter les bases d’un nouveau multilatéralisme fondé sur une gouvernance mondiale concertée et inclusive… Les défis universels, a-t-il souligné, ont besoin de solutions universelles. Toutes les voix doivent être entendues- pas seulement celles des plus puissants ». Tout est dit.

Le monde multipolaire d’aujourd’hui ne peut plus s’accommoder d’une organisation des Nations unies où les pays occidentaux imposent leur vérité et leur droit ; celui de gouverner le monde à leur guise, de faire la guerre selon leur propre volonté, ou d’apparenter des nations à l’axe du mal. N’est-il pas étonnant que les pays occidentaux se battent la coulpe pour les victimes civiles de la guerre en Ukraine, alors qu’ils restent muets devant les massacres de populations innocentes en Palestine et l’utilisation d’armes interdites par le protocole III de la convention sur certaines armes classiques entrée en vigueur en 1983.

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » disait le célèbre penseur Blaise Pascal. L’Occident a usé et abusé de ses vérités falsifiées, de sa défense des droits de l’homme sélective et de ses mensonges protecteurs de l’injustice envers le peuple palestinien brimé de ses droits nationaux. Dans ce monde du 21éme siècle caractérisé par la multipolarité, l’Occident a perdu le monopole des sentences et jugements sans appel.

En ces temps incertains, un nouvel ordre mondial esquisse ses premiers contours, les rapprochements stratégiques autour d’intérêts communs, les sommets multipartites régionaux, les traités d’alliance de tout ordre ont tendance, à travers des initiatives partagées, à proposer une alternative aux Nations unies, notamment le Conseil de sécurité. L’environnement géopolitique mondial ainsi que le système des relations internationales connaissent de profondes mutations que la guerre en Ukraine a sensiblement accélérées. Une nouvelle page de l’histoire du monde est en train de s’écrire. Qui saura dire à quoi pourrait ressembler le monde de demain ?

*Fonctionnaire

Le Quotidien d’Oran, 29 mai 2022

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