Maroc / Câbles américains confidentiels : Washington était soupçonnée d’implication dans l’attaque contre le Boeing du roi Hassan II

Deux câbles américains parlent de la tentative de coup d‘Etat de Skhita. L’un daté du 17 août 1972 et l’autre du 8 septembre 1972.

Dès le début des événements, le soupçon de l’implication de Washington était évident. C’est ce qu’on découle de ces deux documents dont nous reproduisons ci-après la transcription littérale :

17 août 1972

Sujet : Tentative d’assassinat du roi Hassan. Évaluation préliminaire

Ref . Rabat 3746

1. Nous avons vu cet après-midi et cette soirée ce qui apparaît maintenant comme l’échec d’une nouvelle tentative désespérée d’éliminer le roi Hassan de la direction du Maroc. Le roi a eu ce qui peut seulement être décrit comme une sortie miraculeuse. Il est difficile de comprendre comment un pilote de chasse entraîné volant en tant qu’escorte a pu échouer à abattre l’avion du roi, bien qu’un de nos collaborateurs MUSLO ait noté que les pilotes de chasse F-5 n’ont pas eu beaucoup d’occasions de s’entraîner avec des munitions réelles depuis la tentative de coup d’État de Skhirat l’année dernière.

2. Il est maintenant évident que la tentative d’assassinat a été menée par un petit groupe d’élie de pilotes de chasse avec le soutient d’au moins quelques hommes enrôlés de l’armée de l’air. L’absence de preuve jusqu’à présent de toute collusion avec d’autres éléments militaires ou civils suggère que la seule mission auto-assignée aux escadrons F-5 était de destituer le roi. Ils ont vraisemblablement parié que la destitution effective du roi serait acceptée par le reste de l’armée, y compris Oufkir, et par le pays en général (Il semble que l’ami proche d’Oufkir, Amekrane, qui aurait atterri à Gibraltar était dans le complot).

3. Le pari est perdu, et il est impossible de dire comment le roi va à réagir à la tentative d’assassinat. Une chose est sûre : le fait que la marine américaine soir présente à Kenitra et que l’escadron de chasseurs F-5 marocains soit entraîné par la force aérienne américaine n’échappe à personne et pourrait avoir un effet sur la présence militaire américaine ici. J’ai déjà insisté auprès du Ministre des affaires étrangères, M. Benhima, sur le fait qu’il n’y a absolument aucune implication des Etats-Unis – même involontaire- dans ce qui était manifestement une affaire strictement marocaine. Sur les instructions du Département, je cherche à voir Benhima encore ce soir pour transmettre formellement notre choc et consternation à toute suggestion prétendant que les américains pourraient, en quelque sorte, être impliqués dans une activité menaçant la sécurité du royaume et pour demander au gouvernement du Maroc d’agir promptement pour prévenir la poursuite de telles rumeurs.

De Tarr

8 sept 1972

Sujet : Audience avec le roi Hassan

1. Résumé : Le roi Hassan est convaincu que Medbouh et Oufkir ont été manipulés mais il dit qu’il ne sait pas par qui ; il est déterminé à nettoyer l’establishment militaire ; il souhaite établir un régime démocratique d’une majorité sous la légitimité de la monarchie ; il compte sur les élections et le nouveau parlement pour promouvoir cela ; il semble en forme et semble confiant en sa capacité de continuer à gérer les affaires de l’Etat. Fin du résumé.

2. Le 7 septembre, j’ai été reçu en audience par le roi Hassan au Palais de Skhirat. Comme demandé, j’ai réitéré au roi notre plaisir et notre soulagement qu’il ait réussi à surmonter la honteuse tentative d’attentat contre sa vie, et notre profonde et sympathique préoccupation pour les problèmes auxquels il est maintenant confronté : j’ai ajouté que j’avais également été chargé de demander son évaluation personnelle de la situation actuelle, avec une référence particulière à l’armée et aux partis politiques.

3. Après m’avoir remercié chaleureusement pour ces sentiments, le roi a commencé par dire qu’il était convaincu que les deux généraux Medbouh et Oufkir avaient été  » manipulés « . Il a eu la franchise de dire, cependant, qu’il n’avait aucune preuve qui lui permette de savoir  » quel nom ou quel drapeau  » attacher aux manipulateurs. Lorsque j’ai demandé au roi pourquoi il était certain qu’un élément extérieur était à l’origine des deux tentatives d’assassinat qui ont échoué, il a répondu qu’il  » devait en être ainsi  » car ni Medbouh ni Oufkir n’auraient pu diriger le pays par eux-mêmes, dépourvus de toute base populaire : ils devaient compter sur quelqu’un qui serait prêt, à son propre profit, à fournir l’assistance dont l’équipe Medbouh-Oufkir auraient eu besoin pour répondre aux besoins du Maroc et se maintenir ainsi au pouvoir. Afin d’éviter le chaos, et en raison du souci de légitimité du peuple marocain, l’un ou l’autre général aurait également dû trouver un membre de la dynastie alaouite à utiliser comme marionnette.  » J’ai beaucoup de cousins, bien sûr, mais intellectuellement qu’est-ce qu’ils sont ? « Les généraux n’auraient eu que peu d’aide de ce côté-là, dit le roi. Ils ont dû compter sur un élément extérieur.

4. Le roi espérait que les « forces vives » de la nation finiraient par comprendre que les deux tentatives n’étaient pas dirigées contre la monarchie en soi ou « contre lui personnellement » mais plutôt contre la liberté et la civilisation au Maroc. Si les groupes Medbouh ou Oufkir avaient réussi, ils auraient fait en sorte que les partis politiques soient mis hors d’état de nuire de façon permanente et que le gouvernement soit fermement établi par une junte militaire.  » Personne n’aurait été à l’abri « .

5. Le Roi a déclaré qu’il était déterminé à établir la démocratie suivant le principe de la majorité sous la légitimité de la monarchie. Il comptait sur les élections à venir et le parlement qui en résulterait pour promouvoir cet objectif. Il ne pouvait pas souscrire à la thèse d’Oufkir selon laquelle les pays sous-développés ne peuvent pas avoir de démocratie ; même si les partis politiques d’opposition se retrouvaient en position minoritaire au Parlement à la suite des élections, cela n’empêcherait pas leurs représentants d’être nommés au gouvernement et peut-être même au poste de Premier ministre. Le Roi a été encouragé par le nombre important d’inscriptions aux élections qui ont eu lieu. Les partis, a-t-il dit, ont ordonné à leurs membres de s’inscrire.

6. En ce qui concerne l’armée, le Roi a déclaré qu’elle devait être nettoyée. Il est déterminé à ce que les coupables de l’événement du 16 août soient punis  » jusqu’à la limite « . L’armée devait être maîtrisée. J’ai fait remarquer que nous avions eu l’impression qu’il y avait beaucoup de ressentiment parmi les officiers militaires, et une attitude négative envers lui personnellement, à la suite de ses paroles acerbes envers les militaires et parce que les munitions avaient été enlevées aux unités militaires. Le Roi a déclaré que les unités militaires devaient avoir leurs munitions avec elles ; dans la plupart des pays, en temps de paix, les munitions étaient conservées à l’écart des unités dans des lieux de stockage spéciaux.

7. Le Roi conclut en disant qu’il est un « homme libre », loyal mais non soumis à ses amis. Cela peut déplaire à certains, mais il est déterminé à poursuivre dans cette voie.

8. Ahmed Osman, qui était la seule autre personne présente pendant l’audience, est passé à la maison après pour continuer la discussion. Quand je lui ai dit que nous n’avions absolument aucune indication d’une quelconque manipulation de Medbouh ou d’Oufkir, et que je me demandais vraiment pourquoi le roi semblait si sûr qu’il y avait quelqu’un derrière les généraux, Osman a simplement dit que le roi avait déduit cela de la logique de la situation telle qu’il me l’avait exprimée.

9. Osman a poursuivi en disant qu’il n’y avait rien que le roi aimerait plus que d’être un monarque constitutionnel comme la reine Elizabeth.  » Tu crois qu’il aime se faire tirer dessus ? « . S’il sentait qu’il existe une structure politique capable de diriger le pays, il se retirerait immédiatement dans une position constitutionnelle. Il pourrait même, dans de telles circonstances, renoncer au trône et résider au Maroc en tant que simple citoyen,  » puisque tous ses biens sont ici « . Cependant, une telle structure politique n’existe pas et ne peut être créée.

10. Osman a dit que dans sa franchise caractéristique avec ses amis américains, le Roi avait dit au secrétaire adjoint Newsom lors de sa visite ici l’année dernière qu’il s’attendait à annoncer dans les prochains jours la formation d’un gouvernement de coalition avec les représentants de l’opposition. Le Roi avait dit cela parce qu’il croyait vraiment que l’opposition avait accepté son offre de  » dix ministères, y compris le premier ministère, et même un poste de sous-secrétaire au ministère de l’intérieur « . Cependant, lorsqu’il a reçu les délégués du front national quelques minutes après le départ de Newsom, ceux-ci lui ont dit, à sa grande stupéfaction, qu’au lieu d’accepter ce qu’il avait offert, ils voulaient  » tout sauf la défense et les PTT « . Le roi ne pouvait pas accepter cela, puisque le front national n’avait pas obtenu le droit par des élections de représenter tout le pays, donc les négociations avaient échoué. L’empressement du roi à accorder autant de postes à l’opposition montre son désir sincère de partager le pouvoir. Il est révélateur que les représentants du front national aient franchement avoué au roi qu’ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur le choix du premier ministre. Osman a mis en garde contre le fait que ce que les dirigeants politiques disent publiquement ne reflète souvent pas ce qu’ils pensent vraiment.

11. Osman espérait que le Maroc serait épargné d’une autre des expériences traumatisantes qu’il avait récemment vécues et de lui donner le temps de travailler à l’établissement par le roi de la démocratie majoritaire que le roi souhaitait tant. Le Maroc, et le roi, ne méritaient pas ce qui s’était passé. J’ai fait remarquer que le roi avait un sérieux problème d’image. Osman était d’accord.

12. Osman a dit que le peuple était favorable à la limitation de l’armée. Elle était redoutée en raison des excès qu’elle avait commis contre des civils. Le gouvernement a reçu des rapports de ressentiment parmi les officiers militaires similaires à ceux que j’avais mentionnés au roi.

13. Le roi, dit Osman, est un intellectuel. Il accueillerait favorablement l’arrivée de quelqu’un de sa stature au sein de l’autorité afin que les problèmes puissent être débattus de manière significative.

14. Osman a conclu en disant qu’ils comptaient sur la sympathie et l’aide continues des États-Unis.

15. Commentaire : Le roi avait l’air aussi bien que je ne l’ai jamais vu et semblait pleinement maître de lui-même. Il était éloquent et sûr de lui lorsqu’il a discuté de la situation en réponse à mes questions.

16. Je ne crois pas qu’il pense réellement qu’il y avait une main derrière les deux complots. Il trouve utile d’avancer cette thèse, qui exagère tellement l’importance du Maroc, pour détourner les gens des causes réelles des deux attentats. Son refus obstiné d’admettre qu’une quelconque défaillance de sa part ait pu être responsable de ce qui s’est passé était évidente au cours de la conversation.

17. Quant à la manière dont il entend procéder au cours des prochaines semaines pour assurer le maintien du pouvoir royal au Maroc, il semblerait qu’il ait l’intention d’essayer d’inciter les partis politiques à participer aux élections et qu’il pourrait bien être prêt à voir le parlement qui en résultera exercer un plus grand degré d’autorité. Entre-temps, il va purger l’armée afin d’essayer d’éliminer tout danger supplémentaire du quartier. Je ne pense pas qu’il ait l’intention d’abdiquer, et j’imagine que si un parlement aux pouvoirs plus étendus devait être établi, il aurait quelques difficultés à empêcher l’empiètement royal sur ses prérogatives.

18. Je suis maintenant heureux que le ministère m’ait demandé de voir le roi. J’avais hésité à demander une audience de peur que, sous l’effet des effets persistants du 16 août, il ne dise quelque chose de désagréable sur notre présence militaire. Cependant, il s’est montré extrêmement cordial et n’a fait aucune référence à notre armée ou à un quelconque embarras découlant de l’angle américain des événements du 16 août. Néanmoins, les arguments qu’il a avancés concernant le  » nom ou le drapeau  » qui se cachait derrière les conspirateurs pouvaient évidemment être appliqués aux États-Unis si l’on souhaitait le faire. Nous pensons qu’il y a dans son entourage des personnes qui allèguent une complicité américaine dans l’attentat du 16 août. Je réitère cependant ma conviction que le Roi ne pense pas réellement que nous étions impliqués, il utilise la théorie du facteur étranger pour détourner l’attention des faiblesses du régime et de ses propres faiblesses et pour maintenir les gens, y compris nous-mêmes, dans l’incertitude.

Rockwell

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