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Affaire Ben Barka : un blocage inexplicable

Les interrogations qui entourent l’affaire Ben Barka atteignent leur paroxysme suite à un nouveau rebondissement. Le général Hosni Benslimane semble être au dessus des lois internationales.
par Hicham Bennani

Un nouvel épisode de l’affaire Ben Barka a éclaté au grand jour le jeudi 1er octobre. Dans la soirée, un représentant du ministère de la Justice informe les médias que les mandats d’arrêts internationaux émis par Interpol contre quatre ressortissants marocains impliqués dans l’affaire vont enfin être diffusés. Le lendemain, à 19h30 sur France 3, Maurice Buttin, avocat de la famille Ben Barka, se félicite de la décision du ministère. Une source proche du ministère de la Justice marocain, interrogée par l’AFP, se dit alors «surprise de cette annonce, car c’est une ancienne histoire qui revient à la surface chaque fois qu’une “partie occulte” veut salir les relations excellentes entre le Maroc et la France». Le gouvernement marocain, quant à lui, reste muet. Mais, coup de théâtre, deux heures après, le même ministère revient sur sa décision. «Le parquet de Paris demande la suspension de la diffusion de ces mandats, dans l’attente des précisions demandées au juge d’instruction», indique un communiqué de l’AFP, qui précise : «Interpol (organisation internationale de police criminelle) a demandé des précisions afin de les rendre exécutables. Sans ces précisions, ces mandats sont inexécutables».

L’après Rachida Dati

L’origine de cet énième rebondissement remonte en fait au mois de juillet 2009. A ce moment là, Maurice Buttin écrit à Michèle Alliot-Marie pour la féliciter d’avoir été nommée à la tête du ministère de la Justice. Il en profite pour lui rappeler que lorsqu’elle était ministre de la Défense, elle avait eu le courage de libérer les dernières pièces du dossier du SDECE (ancêtre de la DGSE) sous scellés au Tribunal de Grande Instance de Paris, alors que les ministres de la gauche ne l’avaient pas fait. Il lui signale également d’une part que la justice marocaine n’exécute pas les Commissions rogatoires internationales (CRI) qui lui ont été adressées par le juge Patrick Ramaël depuis cinq ans, en dépit de la convention judiciaire franco-marocaine, alors que toutes les CRI, dans n’importe quelle autre affaire, sont parfaitement exécutées par la justice marocaine. Et d’autre part, que depuis deux ans les mandats d’arrêt lancés à l’encontre de personnalités visées par ces CRI (en raison de leur non exécution) ne sont pas diffusés par Interpol. La ministre répond à l’avocat le 28 août suivant, en le remerciant et en lui précisant qu’elle prenait attache avec le Directeur des affaires criminelles pour lui soumettre les problèmes soulevés. Tout ceci explique donc l’annonce du 1er octobre. Sur cinq mandats d’arrêt, quatre sont décrétés valables. La ministre les transfère alors au ministère de l’Intérieur français. Le cinquième, qui concerne Boubker Hassouni, ex-agent du Cab 1 (unité secrète des services marocains), a fait l’objet d’une demande de complément d’information qui a été exaucée, à savoir la date de naissance et les origines de l’accusé.

Les quatre mandats d’arrêt qui marquent l’actualité concernent le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie royale marocaine, le général Abdelhak Kadiri, ancien patron des renseignements militaires, Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, l’homme qui aurait organisé tout le volet opérationnel en France et Abdelhak Achaachi, agent du Cab 1, qui aurait accompagné Chtouki dans des chambres d’hôtel avant l’assassinat. «Benslimane était au Cab 1, plusieurs témoins attestent qu’il répercutait tous les appels et coups de fil. Il est cité dans des PV d’audition d’ONG», précise Joseph Tual, journaliste à France 3, spécialiste de ce dossier.

Ce qui est étrange, c’est que ces mandats d’arrêt ont été signés il y a deux ans (le 18 octobre 2007) par le juge Patrick Ramaël, chargé du dossier. «C’est à cause du blocage de la justice marocaine que les mandats d’arrêt ont été lancés. Si la justice marocaine avait décidé d’appliquer la commission rogatoire du juge Ramaël en présentant des personnes par des juges marocains il y a deux ans, on n’en serait pas arrivés là !», clame Bachir Ben Barka, fils de Mehdi Ben Barka, joint par téléphone. Le lancement des mandats d’arrêt avait été rendu public par les médias le 22 octobre 2007, le jour même où le président Nicolas Sarkozy et Rachida Dati étaient à Marrakech pour une visite d’Etat officielle. Une annonce qui a eu l’effet d’une bombe. Mais force est de constater que ces mandats d’arrêt n’ont pas été officialisés par Interpol dans le monde entier. En effet, le général Benslimane est allé aux JO de Pékin (24 août 2008), en tant que président marocain du CIO, sans avoir été inquiété. «Le constatant, j’ai demandé au juge pourquoi le général n’avait pas eu d’ennuis», nous déclare Maurice Buttin. Après s’être informé, le juge lui explique que les mandats n’étaient effectivement pas délivrés hors de France… «On comprend mal comment ce qui est vrai en France, n’est plus vrai en dehors de la France», s’indigne Bachir Barka.

Décision politique

«Interpol pointe des insuffisances dans ces mandats d’arrêt et demande que ces insuffisances soient complétées», a déclaré à l’AFP Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la Justice. Bachir Ben Barka, qui s’était félicité de la première annonce, se dit profondément indigné : «On constate qu’un ministre s’est déjugé en 24h. Ma famille et moi-même sommes abasourdis. On ne pouvait pas imaginer que la raison d’Etat puisse prendre des formes aussi cyniques. On était habitués à des formes sournoises, mais là c’est le cynisme de la réforme d’Etat à l’état brut». Selon lui, l’argument du ministère «ne tient pas la route, c’est une décision politique». Même son de cloche du côté de Maurice Butin : «Officiellement, le dossier a été de nouveau bloqué pour des raisons « techniques » en quelque sorte. Ce n’est pas très sérieux, car ces mêmes raisons existaient forcément il y a deux ans. C’est donc sans conteste une raison politique». On pourrait en déduire que l’Elysée est très vraisemblablement derrière cette décision. «Je note que ce ne serait pas la première fois, depuis son arrivée au pouvoir suprême, que le président Sarkozy revient sur une décision d’un de ses ministres, voire du Premier ministre lui-même», précise l’avocat. Aujourd’hui, Interpol se refuse à communiquer. «Interpol doit être en train d’avoir des rendez-vous au plus haut niveau en France, car ils sont visiblement instrumentalisés. Pour Interpool il n’y a aucun problème pour diffuser les mandats d’arrêt à travers le monde entier», indique Joseph Tual. «Interpol va sans doute exécuter les « conseils » qui lui sont prodigués en haut-lieu…», confirme pour sa part Maurice Buttin.

La 76è Assemblée générale d’Interpol s’était ouverte lundi 5 novembre 2007 à Marrakech. Ce que l’histoire ne dit pas, c’est que Hosni Benslimane en personne avait ouvert ce colloque. Ceci expliquerait en partie le mutisme d’Interpol après ces événements récents. A l’heure où nous mettons sous presse, une source proche du dossier assure que les mandats ont bien été diffusés depuis 2007. Des pays comme l’Espagne, où Benslimane s’est pourtant rendu, n’auraient donc pas appliqué les demandes d’Interpol. En n’exécutant pas les commissions rogatoires internationales, le gouvernement marocain semble encore refuser de mettre enfin la lumière sur la disparition de Ben Barka. Pour Maurice Buttin, «cette vérité est à Rabat, je l’ai toujours dit. Ce gouvernement contresigne ainsi toute la responsabilité du pouvoir d’alors, en la personne du roi Hassan II».
Quarante-quatre ans après la disparition de l’opposant Mehdi Ben Barka devant la brasserie Lipp à Paris, l’affaire qui est probablement la plus emblématique des années de plomb, demeure toujours une énigme. Des deux cotés de la Méditerranée, la vérité fait toujours peur.

Le Journal Hebdomadaire, octobre 2009

Source : Hicham Bennani

Tags : Maroc, Mehdi Ben Barka, France, Hassan II,

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