Site icon Maghreb Online

Maroc : En affaires, Mohammed VI supporte très mal la concurrence

Invitée : Catherine GRACIER, co-auteur du livre : « Le Roi Prédateur », aux Editions du SEUIL

Arnaud PONTUS : « Le Roi Prédateur », main basse sur le Maroc, c’est le titre d’un livre qui vient de paraître aux Editions du SEUIL, il est signé Eric LAURENT et Catherine GRACIET. Un ouvrage à charge contre le Roi du Maroc, Mohamed VI. L’un de ses auteurs – Catherine GRACIET – est l’invité de Nicolas CHAMPEAUX.

Nicolas CHAMPEAUX

Catherine GRACIET, bonjour.

Catherine GRACIET

Bonjour.

Nicolas CHAMPEAUX

Quels commentaires vous inspirent les manifestations qui ont parfois dégénéré en violences ces dernières semaines à Taza, et plus récemment dans deux villes du Rif ?

Catherine GRACIET

Eh bien, c’est que, aujourd’hui, les manifestations ont quitté les grands centres urbains, comme Casablanca et Rabat, et s’étendent un peu partout au Maroc, donc certes, dans des régions qui sont traditionnellement rebelles, mais aussi à d’autres régions qui jusqu’ici n’avaient pas connu d’agitations sociales. Deuxième nouveauté, on voit une nette évolution depuis douze mois des slogans, pendant longtemps, ces slogans ont été pour protester contre la vie chère, et maintenant, on entend des slogans très hostiles au monarque, qui peuvent aller jusqu’à « Mohamed VI, dégage ! ».

Nicolas CHAMPEAUX

Est-ce que cette évolution est liée aux « Printemps arabes », qui ont ouvert une brèche ou est-ce que c’est parce que le malaise social est plus profond ?

Catherine GRACIET

Il y a bien sûr un effet « Révolutions Arabes », mais il y a aussi une évolution interne, les gens sont mieux renseignés, les gens sont davantage révoltés, et puis, il y a aussi l’effet de la crise, beaucoup d’entreprises françaises et européennes qui sous-traitent au Maroc, et là, maintenant, la crise, voilà, ils l’ont de plein fouet, avec un taux de chômage qui augmente, et cela crée des mécontentements populaires.

Nicolas CHAMPEAUX

D’autant plus que les contribuables marocains supportent les coûts de l’entretien des palais, des résidences royales, et du personnel du monarque, ils sont conséquents, vous avez mené l’enquête là-dessus.

Catherine GRACIET

Oui, tout à fait. Eh bien, le Roi dispose d’une liste civile qui n’est, certes, pas très précise, mais enfin, on a une idée des montants qui sont assez importants, puisqu’on atteint plusieurs dizaines – vraiment – de millions d’euros.

Nicolas CHAMPEAUX

Et alors, dans votre livre : « Le Roi Prédateur », vous expliquez que le Roi est, indirectement finalement, bénéficiaire des subventions allouées par le gouvernement.

Catherine GRACIET

Oui, disons que le Maroc a mis en place, et ça, sous Hassan II déjà, un système, qu’on appelle la caisse de compensation, qui permet de garantir aux Marocains et aux ménages marocains les plus modestes l’accès à des prix abordables aux biens de première nécessité, comme l’huile ou le sucre. Et il est intéressant de constater que pendant très longtemps, parce que justement, le palais est en train de vendre ces entreprises-là aujourd’hui, pour mieux investir ailleurs, eh bien, ces produits, comme le sucre, l’huile, étaient majoritairement produits par les entreprises royales. Donc on voyait bien que, d’un côté, ils vendaient aux Marocains, et que de l’autre côté, ils récupéraient les subventions de l’Etat. Ça, on le voit extrêmement bien dans les énergies renouvelables, on voit très bien que l’entreprise NAREVA, donc qui appartient au Roi, produit de l’électricité qui est revendue à l’Office nationale de l’électricité marocain, qui ensuite le revend, voilà, aux Marocains.

Nicolas CHAMPEAUX

Et est-ce que le Marocain de la rue est conscient de l’étendue de l’empire du monarque…

Catherine GRACIET

De plus en plus, les gens le savent, ça faisait rigoler jusqu’ici, aujourd’hui, ça fait de moins en moins rigoler, y compris dans les campagnes, j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de Marocains qui se rendent compte que le Roi Mohamed VI a un empire qui dépasse l’entendement par rapport à la taille et à la richesse du pays. Pourrait-on imaginer par exemple qu’en France, qu’au Royaume-Uni, qu’aux Etats-Unis, dans n’importe quel pays, le chef de l’Etat possède une bonne partie de l’économie du pays, ça, on peut sérieusement en douter.

Nicolas CHAMPEAUX

Parce qu’il détient les pleins pouvoirs, malgré la nouvelle Constitution.

Catherine GRACIET

Oui, Mohamed VI a eu l’intelligence de céder un petit peu, à fin 2011, il y a eu les élections législatives les plus transparentes que le Maroc ait connues, ça, il faut le souligner, et il a choisi d’appliquer les nouveaux textes qu’il a fait voter lui-même à des taux, certes, nord-coréens, mais enfin, bon, il a décidé donc de donner le gouvernement aux islamistes et de nommer un Premier ministre islamiste.

Nicolas CHAMPEAUX

Si l’on revient aux affaires, en revanche, il supporte très mal la concurrence.

Catherine GRACIET

C’est une ligne rouge absolue, qui lui fait de l’ombre sur les secteurs qui l’intéresse vont connaître des jours difficiles.

Nicolas CHAMPEAUX

Est-ce que cela n’aboutit pas à étouffer, décourager l’initiative économique, même locale, au Maroc, les Américains semblent s’en plaindre, si l’on se réfère notamment à un télégramme diplomatique publié par WIKILEAKS.

Catherine GRACIET

Alors les Américains le déplorent, mais ils sont loin d’être les seuls, les premières victimes et les premiers à protester, mais toujours en off, et toujours anonymement, c’est le patronat marocain qui aujourd’hui voit la monarchie occuper des positions et des parts de marché qu’ils estiment devraient en partie leur revenir, et voilà, ce n’est pas le cas, donc cette grande bourgeoisie marocaine d’affaires qui, officiellement et publiquement, cire les bottes du Roi, en privé, est beaucoup plus tranchante et critique à son égard.

Nicolas CHAMPEAUX

Catherine GRACIET, je vous remercie.

Arnaud PONTUS

Catherine GRACIET, co-auteur du « Roi Prédateur », édité aux SEUIL. Elle répondait aux questions de Nicolas CHAMPEAUX. 08:49:26. FIN#

RFI ACTUALITES – Le 20/03/2012 – 08:44:33

Tags : Maroc, Mohammed VI, Le roi prédateur, Catherine Graciet,

Quitter la version mobile